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Scolarisation : les déficients sensoriels hors du droit commun

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Les textes d'application de la loi du 11 février 2005 maintiennent, en matière de scolarisation, nombre de dérogations spécifiques aux jeunes déficients visuels et auditifs, regrette Jean-Yves Le Capitaine, chef de service à l'Institut public de jeunes sourds et malentendants La Persagotière, à Nantes (1).

«La loi du 11 février 2005 a engagé de façon volontariste à une scolarisation des enfants et adolescents en situation de handicap. Depuis cette date, plusieurs textes ont été publiés, encadrant la mise en oeuvre de ce processus. Modifient-ils les principes et les réalités de la scolarisation des enfants déficients sensoriels ?

La situation de ces derniers, au regard du cadre général de la scolarisation des enfants handicapés, présente des caractéristiques singulières et 'extrême diversité des solutions mises en oeuvre est frappante.

Il y a bien entendu des situations de scolarisation dans l'établissement scolaire de proximité ou de choix de la famille, ce qui était nommé auparavant «intégration individuelle». Les jeunes enfants ou adolescents peuvent être accompagnés selon diverses modalités : présence d'un auxiliaire de vie scolaire, intervention d'un service médico-social spécialisé, mise en place d'aides techniques. Ils peuvent aussi ne pas être accompagnés par un service spécialisé et parfaitement réussir une fois la compensation mise en place dans leur plus jeune âge.

La deuxième modalité de scolarisation est collective, sous forme de classes d'intégration scolaire (CLIS) ou d'unités pédagogiques d'intégration (UPI) spécifiques à chaque déficience, qui ont pour objectif de répondre à des besoins auxquels le système de droit commun d'éducation n'est pas en mesure de faire face : adaptation des rythmes d'acquisition des apprentissages, mise en place de modalités spécifiques de communication, apprentissages spécifiques... Ils ont aussi pour objectif de faire participer les jeunes, lorsque c'est possible, aux activités que mènent les autres enfants de leur âge dans leurs classes. Ces dispositifs sont installés de plein droit dans le système éducatif de droit commun, même s'ils constituent parfois de facto des îlots de ségrégation ou d'exclusion à l'intérieur même de ce système.

La troisième modalité de «scolarisation» n'est pas nommée comme telle parce qu'elle n'est pas réalisée dans le cadre du système éducatif de droit commun. Elle est réalisée par les établissements spécialisés pour déficients sensoriels, parfois à l'intérieur de leurs murs, bien plus souvent sous forme de classes externalisées au sein d'établissements scolaires ordinaires. Dans la majorité des cas, les enseignants relèvent du ministère chargé des personnes handicapées, contrairement aux dispositifs de scolarisation des jeunes présentant un autre handicap que sensoriel, où les enseignants sont issus du et réfèrent au ministère de l'Education nationale.

Les écoles de sourds et les écoles d'aveugles ont instruit des générations (2). Les «élèves» de ces établissements rattachés au secteur médico-social n'ont toutefois jamais été pris en compte dans les statistiques de la scolarisation : un grand nombre de sourds et d'aveugles apparaissaient ainsi comme n'étant pas «scolarisés», au sens administratif. Alors même que les objectifs et les modalités d'instruction pouvaient être complètement «scolaires», avec les références aux programmes de l'Education nationale, les passations des mêmes diplômes et des mêmes évaluations. Alors même que les dispositifs d'«instruction» étaient externalisés sous forme de classes ou de groupes et que les jeunes étaient intégrés dans des temps d'apprentissages scolaires, avec ou sans accompagnement. Alors même que ces dispositifs étaient parfois plus intégratifs que certaines CLIS.

Dans les derniers textes publiés, on peut observer des avancées significatives. Les jeunes sourds et les jeunes aveugles, quelle que soit la modalité de scolarisation ou d'accompagnement, auront ainsi un projet personnalisé de scolarisation (PPS) (3), qui sera réalisé sous l'égide de l'enseignant référent, à travers les modalités de l'équipe de suivi de scolarisation. Autre point : avec le décret du 2 avril 2009 sur la coopération entre les établissements scolaires et les établissements et services médico-sociaux (4), les enseignants exerçant dans ces derniers, et titulaires d'un diplôme extérieur à l'Education nationale (5), pourront postuler à des fonctions d'enseignant référent. C'est une manière (nouvelle pour l'Education nationale) de considérer qu'ils possèdent des qualifications d'enseignement, et que ceux à qui ils s'adressent doivent bien être considérés comme «scolarisés».

Mais l'arrêté du 2 avril 2009 sur les unités d'enseignement (6) contient une série de dérogations qui sortent les jeunes sourds et aveugles de l'égalité de droits. Ainsi, c'est le préfet, et non l'inspecteur d'académie, qui détermine les moyens, ce qui fait perdurer le financement de la scolarité par l'assurance maladie (7) ; les enseignants peuvent relever du ministère chargé des personnes handicapées ; les enseignants des unités d'enseignement pour déficients sensoriels relèvent «du contrôle pédagogique des corps des inspecteurs pédagogiques et techniques des établissements de jeunes sourds et de jeunes aveugles du ministère chargé des personnes handicapées» et non des inspecteurs de l'Education nationale chargés de la scolarisation des élèves handicapés. Tant de dérogations constituent véritablement une «exclusion» : tous les enfants, sauf les jeunes sourds et aveugles, sont scolarisés dans le droit commun. Car que se passe-t-il sur le terrain, au regard de ces possibilités ?

Une unité d'enseignement est installée dans une école élémentaire, encadrée par des enseignants sous la responsabilité du ministère des personnes handicapées : les enfants ne sont pas inscrits à l'école (ou alors ils sont inscrits du bout du stylo lorsqu'un temps partagé de scolarisation a pu être mis en place), ils n'accèdent pas (sauf de manière volontariste) aux ressources et aux activités des autres enfants, leurs parents ne peuvent jouer un rôle éventuel de représentation au sein de l'école... Et lorsque tout le monde est d'accord sur leurs besoins de partager des temps de scolarisation en classe «ordinaire», ce n'est pas possible puisqu'ils ne sont pas comptabilisés, faute d'inscription, dans les effectifs déjà souvent chargés et ne peuvent influer sur une éventuelle ouverture de classe.

Une unité d'enseignement est installée au collège, encadrée par cette même catégorie de professionnels : l'inscription n'est pas possible dans les effectifs du collège, les jeunes déficients sensoriels ne peuvent pas bénéficier du contrôle continu en raison de leur non-inscription et doivent se présenter en candidats libres, ils rencontrent de multiples difficultés pour contourner les différents logiciels de choix d'orientation et avoir les mêmes choix en la matière.

On le voit, les innombrables obstacles à faire reconnaître que les jeunes sourds ou les jeunes aveugles ont le droit, comme n'importe quel enfant, d'être scolarisés dans et par le système de droit commun ne sont pas levés, bien au contraire, par ces textes. Malgré des avancées significatives, les dispositifs demeurent verrouillés sur des modèles antérieurs à la loi du 11 février 2005, dans lesquels l'existence d'une double filière était «naturelle».

Il ne faut pas pour autant considérer que les dispositifs collectifs de l'Education nationale (CLIS ou UPI) développent davantage une perspective d'égalité des droits, malgré leur appartenance au droit commun. Ces dispositifs constituent des moyens de ne pas «scolariser à égalité de droits et de chances» des enfants sourds ou aveugles. Ainsi, par exemple, au niveau du collège, qui est toujours «unique», c'est-à-dire qui a vocation à accueillir tous les élèves des classes d'âge correspondantes, les jeunes sourds ou aveugles vont, à difficultés égales avec d'autres jeunes, se retrouver en UPI et non en classe ordinaire ou en SEGPA. Là où ils auraient dû partager les conditions d'apprentissage (avec les aides appropriées relatives à leur déficience), les difficultés et les enjeux, et les modes de réponses institutionnelles aux jeunes en difficulté, ce sont des dispositifs spécifiques qui leur sont destinés.

Hiérarchisation inconsciente

Les dispositifs collectifs sont encore aujourd'hui, pour les déficients sensoriels, des dispositifs d'exclusion du droit commun (unités d'enseignement) ou d'illusion du droit commun (CLIS ou UPI). Cela ne signifie pas pour autant que les jeunes déficients sensoriels n'ont pas besoin de regroupements dans des dispositifs collectifs. Pour un certain nombre d'entre eux, c'est même la seule solution pour faire des apprentissages scolaires, pour se doter d'un outil linguistique de communication, pour se construire comme personne ayant une identité positive, pour maîtriser des outils de compensation... Dans ce contexte, l'égalité des droits peut être en contradiction avec l'égalité des chances. En effet, une hiérarchisation inconsciente s'instaure, plaçant tout en haut la scolarisation individuelle de proximité, au milieu les dispositifs collectifs de l'Education nationale, et en bas les dispositifs médico-sociaux. Alors même que l'égalité des chances plaiderait pour l'absence de cette hiérarchie, dans la mesure où pour certains enfants, les dispositifs collectifs sont la seule condition de développement global.

La logique des nouveaux textes aurait voulu qu'il y eût conjonction des compétences, au sein des dispositifs de droit commun, des enseignants relevant du ministère des personnes handicapées et des acteurs de l'Education nationale, que les premiers puissent devenir des enseignants de droit commun auprès des jeunes déficients sensoriels. Des enjeux de pouvoir, de territoires, de statuts, englués dans des histoires parallèles et écrasantes, autorisent par conséquent encore aujourd'hui que les déficients sensoriels soient hors de l'égalité des droits et des chances dans la scolarisation. »

Contact : jyleca@gmail.com - http://jyleca.googlepages.com/

Notes

(1) Auteur de Des enfants sourds à l'école ordinaire : l'intégration, des principes aux pratiques pédagogiques - Ed. L'Harmattan, 2004.

(2) Les premières écoles de jeunes sourds datent de la deuxième moitié du XVIIIe siècle.

(3) Voir ASH n° 2469 du 15-09-06, p. 11.

(4) Voir ASH n° 2604 du 10-04-09, p. 5.

(5) Notamment du certificat d'aptitude au professorat de l'enseignement des jeunes sourds (CAPEJS) et du certificat d'aptitude à l'enseignement général des aveugles et des déficients visuels (CAEGADV).

(6) Voir ASH n° 2604 du 10-04-09, p. 6.

(7) Les établissements pour déficients sensoriels ont en effet un financement au prix de journée comprenant les charges d'enseignement.

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