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La Cour des comptes s'interroge sur l'utilisation des crédits de la politique de rétention

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Constatant l'incapacité à mesurer le coût budgétaire de la politique de rétention des étrangers en situation irrégulière, la commission des finances du Sénat a confié à la Cour des comptes une enquête sur la gestion des centres de rétention administrative (CRA). Le fruit des travaux de la Haute Juridiction financière a été rendu public le 1er juillet. Dans son rapport, assez critique à l'égard du gouvernement, elle s'interroge notamment sur l'efficacité du dispositif de la rétention. Et égratigne le ministère de l'Immigration en s'interrogeant sur la pertinence budgétaire de la réforme engagée en matière d'assistance juridique aux étrangers placés en CRA.

L'efficacité du dispositif de la rétention en question

De manière générale, le rapport pointe d'« importantes lacunes » dans le suivi des coûts. « La dispersion des intervenants dans l'affectation et la gestion des crédits constitue un obstacle majeur à l'évaluation du coût global de la rétention administrative », indiquent-ils. La Cour des comptes s'est toutefois efforcé de calculer son coût direct, hors frais d'interpellation, d'éloignement et de justice. D'après son estimation, « le coût total par an de la rétention en CRA en métropole » s'est ainsi élevé en 2008 à « environ 190,5 millions d'euros », soit 5 550 par retenu. Ramené au nombre d'éloignements forcés - 14 411 en 2008 -, ce coût s'élève à 13 220 € par étranger retenu effectivement reconduit.

Le dispositif de la rétention est-il efficace ? Pour les magistrat, son efficacité « doit s'apprécier par rapport à son aptitude à participer à des reconduites effectives à la frontière tout en faisant respecter les droits des personnes concernées ». Or, remarquent-ils, la reconduite à la frontière représente moins de la moitié des cas à la sortie des CRA. De 2002 à 2006, précise encore le rapport, le quasi-doublement des interpellations et la multiplication par cinq des mesures prononcées ont conduit à doubler le nombre de reconduites, au prix d'un doublement du nombre de places en rétention et du délai de rétention. Mais depuis 2006, le nombre d'interpellations a continué de progresser tandis que le nombre de mesures exécutées hors retour volontaire a diminué, tout comme celui du nombre de retenus effectivement reconduits. « C'est pourtant parallèlement la période où l'Etat [a investi] de manière importante dans le système de rétention. » Aussi, si cette évolution devait se poursuivre - et ce « malgré les mesures pour améliorer l'efficacité du système » -, « il conviendrait de s'interroger sur la nature même et les caractéristiques des objectifs poursuivis », écrivent les magistrats.

Quelles sont les causes d'échec à l'éloignement ?

Outre les libérations pour motifs de santé, de situation familiale ou de nationalité française, trois grandes catégories se dégagent, remarque la cour : les étrangers libérés par une décision de justice (40 %), ceux n'ayant pu être reconduits faute de laissez-passer consulaire délivré à temps (près de 30 %) (1) et ceux libérés faute de place en CRA (20 %).

Des réserves sur l'allotissement du marché de l'assistance juridique

Au-delà de la question de l'efficacité du dispositif de rétention, les magistrats de la rue Cambon estiment que le bilan des constructions et des mises aux normes des CRA est globalement satisfaisant. Ils font part toutefois de plusieurs interrogations sur la cartographie de leurs implantations, la taille optimale des centres, le problème de la rétention des mineurs et des femmes... mais aussi sur la pertinence budgétaire du choix de l'allotissement du service d'assistance juridique. Une pierre dans le jardin du ministère de l'Immigration, opposé depuis des mois à la Cimade, seule association habilitée jusqu'ici à fournir une aide aux sans-papiers placés en centre de rétention. Le ministère veut mettre fin à ce monopole en ouvrant les portes des CRA à d'autres intervenants. Un décret a ainsi introduit la possibilité pour toute personne morale de soumissionner, l'idée étant qu'il n'y ait qu'un seul intervenant par centre. L'objectif affiché par le ministère est, rappelle le rapport, de maîtriser, grâce à cette mise en concurrence, le coût global de l'accompagnement social, compte tenu notamment de l'accroissement du nombre de places en CRA. Mais la réforme - qui prévoit la répartition en huit lots, selon des zones géographiques, de la trentaine de centres de rétention existants - tarde à entrer en application, freinée par les actions en justice de ses détracteurs. Le dernier appel d'offres fait par le ministère, auquel six associations ont répondu, a ainsi été suspendu par une ordonnance de référé du tribunal de Paris (2).

Pour la Cour des comptes, « la démarche du ministère appelle trois remarques au regard de l'utilisation optimale de l'argent public ». En premier lieu, les magistrats constatent que « le choix de l'allotissement géographique, censé améliorer l'efficacité de la dépense, n'a pas fait l'objet d'une analyse détaillée préalable de ses coûts et de ses avantages au regard des objectifs fixés ». « Le ministère indique certes que ce dispositif permet de formaliser ses exigences pour faciliter la certification du service fait, considérée jusqu'à présent comme insuffisante », mais pour la cour, « ce résultat aurait pu être atteint sans l'allotissement ». Pour appuyer sa démarche, le ministère a également souligné que des éléments d'analyse coûts-avantages ont été employés dans la rédaction des pièces et le dépouillement des offres. Un argument qui n'a pas plus convaincu les magistrats pour qui « ceci relève d'une formalisation de critères de choix plus que d'une étude de l'intérêt ou non de l'allotissement géographique et de ses conséquences ».

Deuxième remarque : « l'utilisation de la procédure d'allotissement, qui fait appel à six personnes morales différentes, nécessite en contrepartie une analyse rigoureuse et approfondie de la qualité de l'expertise et surtout des références dont elles disposent, sur lesquelles la cour n'a pas eu d'information précise ».

Enfin, les magistrats considèrent qu'il est « incertain qu'un dispositif éclaté entre plusieurs intervenants par grandes régions puisse être plus efficace et moins coûteux qu'un dispositif national, dès lors qu'il est réellement souhaité conserver une vision d'ensemble sur les conditions d'assistance juridique et garantir qu'un retenu qui changerait de CRA bénéficie d'une continuité dans l'aide juridique apportée ».

Ainsi, en définitive, la Cour des comptes « n'est pas convaincue », sur le plan budgétaire, par les arguments donnés par le ministère de l'Immigration pour justifier le choix d'un dispositif d'allotissement géographique, de préférence à d'autres modalités pratiques, en vue d'assurer une diversité des personnes morales intervenantes.

Au cours d'une audition au Sénat, le 1er juillet, le ministre de l'Immigration, Eric Besson, s'est défendu en affirmant que « le coût moyen, par place en CRA, des services d'assistance juridique diminuera de 22 % après mise en place de cet allotissement »... bien que son objectif initial ne soit pas « de faire des économies mais de garantir le respect de la concurrence », a-t-il ajouté.

Disponible dans la docuthèque, rubrique « infos pratiques », sur w w w .ash.tm.fr}

Notes

(1) Pour qu'un étranger soit reconduit, il est nécessaire de déterminer sa nationalité et que son pays accepte de le reconnaître comme son ressortissant. Pour ceux démunis de passeport, ce qui est le plus souvent le cas, il faut donc obtenir du pays un laissez-passer consulaire.

(2) Voir en dernier lieu ASH n° 2612 du 5-06-09, p. 21.

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