«La société a légué aux jeunes d'aujourd'hui ses dettes. Elle doit maintenant honorer la sienne à leur égard et leur permettre de prendre leur place sans délai et sans parcours du combattant. » Voilà résumé en quelques lignes « l'état d'esprit » de la commission de concertation sur la politique de la jeunesse, qui a levé le voile le 7 juillet sur ses recommandations, compilées dans un livre vert (1). Présidée par le Haut Commissaire à la jeunesse, Martin Hirsch, elle rappelle qu'« un pays se juge à l'attention qu'il porte à toute sa jeunesse, y compris et surtout à celle qui est la plus en difficulté », avant d'avancer pas moins de 57 propositions pour fonder une nouvelle politique de la jeunesse. Autant de leviers pour modifier le sort des jeunes, de pistes qui n'ont pas toutes fait l'objet d'un consensus : « certains membres exprimeront des réserves sur certaines, souhaiteront aller plus loin ou soutiendront certaines préconisations plus volontiers que d'autres, mais aucune de ces préconisations ne suscite l'hostilité ou le refus », insiste la commission, en ajoutant que le « canevas » qu'elle propose constitue ainsi « une feuille de route partagée ».
Interrogé sur le calendrier législatif (2) et sur le coût des mesures préconisées par le livre vert, l'ancien président d'Emmaüs France a avoué « ne pas savoir » précisément ce qu'il en sera et « ne pas avoir fait les chiffrages dans les détails ». « Chaque chose en son temps », a-t-il ajouté... tout en précisant qu'à ses yeux, « mieux vaut battre le fer tant qu'il est chaud ».
Au fil du processus de concertation, ouvert en mars dernier, d'« évidents éléments de dissensus » se sont fait jour entre les membres de la « commission Hirsch ». Cela vaut tout particulièrement pour la question cruciale des ressources et de l'accès à l'autonomie des jeunes. Finalement, le livre vert propose de « tracer une voie entre le statu quo et l'extension pure, simple et immédiate des mécanismes de solidarité qui concernent les plus de 25 ans ». La solution qu'il préconise repose sur une double logique. D'une part, mettre en oeuvre des mesures immédiates pour renforcer l'attractivité des formations initiales et continues et mieux accompagner les jeunes dans leur recherche d'emploi. D'autre part, préparer à travers des expérimentations de grande échelle (et avec l'ambition de les généraliser dans un calendrier précis) un système de soutien à l'autonomie des jeunes qui ont déjà choisi une voie professionnelle, intégrant le soutien aux jeunes en formation et en activité professionnelle et construit à partir de leurs besoins. Ce soutien à l'autonomie pourrait prendre la forme d'une dotation ou d'une allocation contractualisée entre la collectivité publique et le jeune.
La commission sur la politique de la jeunesse propose également un soutien équivalent au revenu de solidarité active (RSA) pour les jeunes de moins de 25 ans déjà en emploi. En d'autres termes, d'ouvrir un système équivalent au RSA « complément de revenu » (ou « chapeau »), le cas échéant à partir d'une durée minimale de travail et de cotisations sociales. La question de savoir si ce dispositif doit concerner les étudiants aussi bien que les autres jeunes en emploi n'a pas fait consensus entre ses membres.
Sur les autres sujets, de « forts éléments de consensus » sont en revanche apparus. Ainsi, par exemple, le livre vert propose « des changements importants intégrant l'amont des politiques de jeunesse », comme la création d'un livret de compétences systématique assurant la prise en compte des compétences des élèves tout au long de leur parcours, permettant de valoriser leurs atouts et d'élargir les critères selon lesquels ils sont évalués. Cela conduit à une réforme profonde du système d'orientation avec la création d'un service public de l'orientation, compétent pour l'orientation tout au long de la vie depuis l'orientation scolaire jusqu'à l'orientation dans l'enseignement supérieur et l'orientation vers la vie active. Un service public de l'orientation, connecté à l'école mais indépendant de l'Education nationale, rassemblant les différents acteurs de l'orientation, avec des missions larges, des moyens propres et une responsabilité à l'égard de l'ensemble des jeunes, « y compris ceux qui ne demandent rien et sont orientés par défaut ».
La commission préconise par ailleurs de prolonger l'obligation scolaire à 16 ans par une obligation, jusqu'à 18 ans, de se former ou d'être dans un parcours d'entrée dans la vie active.
Au-delà de 18 ans, le livre vert préconise que les différentes institutions soient obligées d'organiser contractuellement le parcours des jeunes et le partage de leur prise en charge, pour « mettre fin aux discontinuités de parcours ou aux trous de prise en charge de certaines catégories » d'entre eux. Cela conduit à repositionner les missions locales, à la fois comme responsables de la prise en charge de tous les jeunes d'un territoire en difficulté d'insertion et comme pivot d'un réseau institutionnel avec les services publics de l'orientation et de l'emploi, les institutions judiciaires et les associations d'insertion, afin de permettre l'accès des jeunes aux différentes réponses à leurs besoins (logement, santé, etc.). « Les missions locales doivent être confortées dans leur rôle de pivot de l'insertion des jeunes éloignés de la formation et de l'emploi ou ayant des problématiques sociales particulières, avec un financement tenant mieux compte de leurs performances et de leur capacité à suivre l'ensemble des jeunes d'un territoire », précise la commission. Cela suppose également, selon elle, de redonner des moyens au contrat d'insertion dans la vie sociale pour apporter un soutien renforcé aux jeunes présentant les plus grandes difficultés d'insertion.
Par ailleurs, la commission préconise d'interdire les stages hors cursus.
Plusieurs autres mesures visent à améliorer l'insertion des jeunes dans la vie active, autrement que par des emplois précaires et en misant sur les contrats à durée indéterminée : le doublement des contrats en alternance chez les moins de 25 ans d'ici à 2015, la création et le financement d'une « convention de transmission intergénérationnelle », la sécurisation d'un système de prérecrutement permettant aux jeunes d'être payés pendant leur formation contre un engagement au sein de l'entreprise qui les forme.
La commission propose aussi de lier la politique d'insertion professionnelle des jeunes à une politique par branches de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, avec des engagements contractuels d'intégration durable des jeunes dans ces branches. Engagements de branche qui, suggère-t-elle, pourraient prévoir « les mécanismes d'engagements réciproques garantissant que l'effort public se traduise par une augmentation du nombre de jeunes intégrés durablement dans l'emploi ».
Partant du constat que la mobilité des jeunes dans les petits logements provoque de fréquents changements de bail avec des augmentations exagérées du loyer, la commission préconise l'instauration d'un bonus-malus sous forme d'une mesure fiscale qui avantagerait les propriétaires vertueux et pénaliserait ceux qui jouent l'inflation des loyers au moment du changement de bail. Par ailleurs, dans le parc privé, elle suggère que les pouvoirs publics prennent en charge pendant les cinq prochaines années le coût de l'assurance contre les défaillances pour inciter les propriétaires à louer à des jeunes. La mise en place de la garantie des risques locatifs, ouverte à tous les jeunes, quelle que soit leur situation, doit être l'occasion de mettre fin aux « discriminations anti-jeunes » dans le secteur du logement, souligne aussi la commission.
Au-delà, des solutions de logement « innovantes et diversifiées » pour les jeunes doivent être développées « sur une large échelle avec des objectifs chiffrés fixés dans les plans départementaux pour le logement des jeunes et les programmes locaux de l'habitat ».
Donner aux jeunes majeurs de 18 à 21 ans sans ressources et en rupture familiale l'accès à une mesure de protection, c'est un autre changement qu'appelle de ses voeux la « commission Hirsch ». Cette mesure, dont le pilotage pourrait être assuré par le conseil général, serait accessible à tous les jeunes répondant à ces conditions, qu'ils aient ou non fait l'objet d'une mesure éducative ou de protection judiciaire ou administrative pendant leur minorité. Il s'agirait d'une mesure à géométrie variable adaptée aux besoins de chaque jeune : elle pourrait ainsi comprendre, selon les cas, l'accès à l'hébergement ou au logement, l'accès aux soins, l'insertion professionnelle et un accompagnement éducatif et social, explique la commission. Une telle mesure devrait permettre, selon elle, de « faire baisser sensiblement le nombre des jeunes en errance ou en situation de désinsertion sociale ».
Au-delà, le livre vert propose de réintroduire le sujet « politique de la jeunesse » dans l'agenda politique, avec notamment des débats périodiques au Parlement autour d'une loi d'orientation et de programmation sur la jeunesse et la tenue régulière du comité interministériel pour la jeunesse - qui s'est réuni fin janvier dernier, pour la première fois depuis... 1990.
Par ailleurs, elle prône la prise en charge étendue du permis de conduire pour tous les jeunes qui en ont besoin pour avoir accès à l'emploi. Et la mise en place d'un service civique, sur une base volontaire, ayant vocation à concerner 10 % d'une classe d'âge d'ici à cinq ans, et pouvant à terme être systématisé, en fonction d'une évaluation de ses impacts. Enfin, pour s'assurer qu'aucun jeune ne renonce aux soins pour des raisons financières, la « commission Hirsch » recommande entre autres de doubler le montant de l'aide à l'acquisition d'une couverture complémentaire santé (qui passerait de 100 € à 200 € ).
(1) Consultable sur
(2) Plusieurs des mesures avancées par le livre vert nécessitent en effet une traduction législative.