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La démarche qualité : à la recherche de l'objet perdu ?

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Formalisme administratif d'un côté, stérilité idéologique de l'autre... Jean-René Loubat, psychosociologue, formateur et consultant en ressources humaines, pointe les écueils qui guettent la démarche qualité des établissements sociaux et médico-sociaux. Et plaide pour une approche dépassionnée de cette question.

«Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? La question de la qualité fait son bonhomme de chemin dans les secteurs social et médico-social avec des bonheurs variables. Parfois, ceux-là mêmes qui la décriaient s'y sont résignés... de guerre lasse ou touchés par la grâce. Certains établissements s'y adonnent comme ils l'ont déjà fait concernant les autres exigences de la loi 2002-2, après avoir surmonté leur molle motivation et bénéficié des reculades répétées de l'administration. Il est vrai que cette dernière n'a pas fait preuve en la matière de la plus grande des cohérences... après avoir failli s'égarer dans des concepts mal maîtrisés, avoir poussé quelque chant polyphonique, et produit des instances en quête de leur rôle exact.

Pourtant, il est de nombreux établissements et services qui se sont courageusement lancés dans l'aventure et qui s'en sortent plutôt bien. Après quelques légitimes débats conceptuels et quelque incrédulité de départ, les professionnels ont bien saisi in fine toute l'opportunité qu'offrait cette mise à plat des fonctionnements des structures, ainsi que les perspectives de rénovation professionnelle qu'on pouvait en attendre. Ici ou là, des démarches ont été projetées, des groupes d'auto-évaluation se sont instaurés et ont joué le jeu de cet examen systématique.

Si je suis donc un artisan convaincu de la démarche qualité (1), j'avoue demeurer encore quelque peu dubitatif quant aux intentions finales et aux voies empruntées par l'administration et ses instances. Oh, rien de bien grave dans ce vague à l'âme, seulement quelques réflexions.

Tout d'abord, je m'interroge sur la raison de tant d'errances conceptuelles et méthodologiques à l'endroit d'une question - la qualité - pourtant bien balisée depuis des décennies dans les organisations en général. Pourquoi diable avoir cherché à tout re-questionner, à tout re-découvrir, à tout re-conceptualiser, bref, à réinventer le fil à couper le beurre ? Etait-ce pour appliquer la fameuse devise des Shadoks : «pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?» ? Cette voie tortueuse explique à elle seule le retard important pris dans la mise en oeuvre de l'exigence de la loi - nous en sommes déjà à 2002 plus sept ! Si l'on prend en compte que l'exigence qualitative date de 1996 dans le domaine sanitaire, et a donc questionné les secteurs social et médico-social dès cette époque, cela fait même une quinzaine d'années qu'elle est dans l'air ! Certes, le législateur a lancé une exigence sans mesurer l'énorme écart culturel qui pouvait exister entre l'intention et sa réalisation, dans des secteurs qui n'étaient en rien préparés à une telle approche. Mais est-ce la véritable cause des débuts si laborieux de la qualité ?

L'un des arguments fréquemment avancés est la fameuse «exception», aux couplets bien réchauffés depuis des lustres : «nos secteurs sont différents» «on ne vend pas des petits pois», «on travaille dans l'humain», etc. Le particularisme de l'activité serait un obstacle à la mise en oeuvre de démarches venues d'autres univers. Pourtant, rassurez-moi, ces autres univers n'ont rien d'extraterrestres et peuvent revendiquer, pour un grand nombre, d'oeuvrer également dans le monde des services. S'il est légitime de chercher à adapter des outils importés, était-il besoin de repartir de zéro au prix d'une telle débauche d'énergie et de temps ?

Terrain miné

La vraie raison en est que la démarche qualité dessine de multiples enjeux et met en exergue les divergences d'intérêts des acteurs : elle représente un terrain miné, au même titre que les questions du mode de financement ou de la gestion des compétences, parce que chacun cherche à s'en faire une idée qui l'arrange. Elle est faussement consensuelle dès que l'on aborde véritablement son objet et sa méthode, et que l'on dépasse le lieu commun de la bientraitance et des droits fondamentaux, qui obtient, sinon l'adhésion enthousiaste, du moins l'acquiescement de tous.

Les nombreux débats et polémiques sur la question de la qualité n'ont pas fait avancer les questions techniques qui se posaient réellement - et c'est bien dommage - mais ont plutôt joué efficacement le rôle de retardateur et de «pompe à brouillard» quant à une mise en oeuvre effective. D'ailleurs, la plupart des débats n'ont pas eu lieu là où on pouvait les attendre - sur le terrain - mais dans des instances et des sphères d'intérêt stratégique. S'est-on intéressé à ce que l'on cherchait véritablement à qualifier, à la nature et la portée des indicateurs, à l'exhaustivité que l'on souhaitait, au niveau d'assurance qualité que l'on visait, à l'exploitation de l'auto-évaluation, à la mise en place durable d'une démarche qualité et ses incidences de tous ordres, à la manière de la mettre en oeuvre, à ce qu'on allait faire des résultats de l'évaluation, etc. ? Les débats se sont noyés dans des limbes idéologiques, des catégories du discours et des jeux de défense territoriale, à l'image des référentiels qui ont poussé de tous les côtés, épousant parfois des intérêts d'obédience et s'imposant plus ou moins à des clientèles captives.

Mes craintes s'avèrent opposées : le formalisme administratif d'un côté et la stérilité idéologique et démagogique de l'autre côté. Pour être plus explicite, ma première crainte est que la volonté de qualification ne se détourne de son objet essentiel : l'offre de service, et donc de la réponse aux besoins des bénéficiaires, pour se diriger vers un exercice de style purement formaliste, obsédé par le seul respect de certaines procédures, règles ou exigences. Autrement dit, que l'on transforme cet outil de satisfaction, interrogeant fondamentalement la relation de service, en un outil de gestion technocratique débouchant sur un blanc-seing de bonnes pratiques patentées. Ma seconde inquiétude est encore que l'on détourne la démarche de son objet essentiel : l'offre de service, et que l'on idéologise la démarche pour la rendre bien pensante et mieux disante, c'est-à-dire politiquement correcte, pour n'en faire plus qu'un bréviaire de pieuses recommandations dans l'air du temps, délivrant un certificat de bonne conduite.

Obsédés de la bientraitance

A ce titre, l'espèce de superposition entre la qualité et la bientraitance, réalisée par l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux, m'interroge. La bientraitance, c'est bien, à l'évidence, mais ne pouvait-on penser que la bientraitance était nécessairement subsumée sous la qualité... ? Peut-on sérieusement rendre un service relationnel de qualité en maltraitant ses bénéficiaires ? D'ailleurs, qui revendique le contraire ? La bientraitance, c'est la moindre des choses et la qualité va bien au-delà ! Mais passer de la qualité (un état évaluable) à la bientraitance (une intention morale) est-il anodin, dans un milieu empêtré dans ses vieux démons idéologiques et historiques ? S'agit-il d'un retour aux sources ? Entre bientraitance - un néologisme qui fait bondir les correcteurs d'orthographe de nos ordinateurs - et bienfaisance, l'écart sémantique s'avère des plus minces... Etait-il réellement nécessaire de se transformer en obsédés de la bientraitance, au point où cela en devient suspect : aurions-nous donc tant de maltraitance à nous faire pardonner ?

Ne risque-t-on pas de se détourner de l'objet même de la qualité : la satisfaction du client et l'efficience de l'opérateur ? De continuer, de subtile manière, à penser à la place des bénéficiaires ce qui est bon pour eux ? Et de contourner du même coup la redoutable question de l'efficience... en évitant ainsi toute remise en cause ? N'oublions pas la raison d'être de services en action sociale et médico-sociale : répondre aux attentes et besoins des bénéficiaires ! Pourquoi tant de contorsions et d'évitement ? Est-ce donc si compliqué d'admettre que les établissements sociaux et médico-sociaux (ESMS) et leurs professionnels doivent laisser leur panache de chevaliers blancs au vestiaire et soient au service de personnes qui ont sans doute besoin d'eux, mais pas forcément de ce qu'on leur propose ? La démarche qualité étant justement là pour le savoir et l'améliorer, et non pas pour s'autorassurer, s'autocongratuler ou s'autoflageller.

« Grande peur »

Le déplacement que nous craignons témoigne d'une difficulté congénitale à définir et délimiter une offre de service vis-à-vis de personnes et à interroger fondamentalement son utilité sociale, d'autant qu'il s'agit de le faire sur un fond historique de mutation et donc de «grande peur». Sommes-nous utiles ? Sommes-nous indispensables ? Pouvons-nous assurer un certain niveau de qualité dans nos réponses faites aux bénéficiaires ? Devons-nous changer nos propositions ? En faisons-nous assez (»satisfaction» vient du verbe latin satis facere : «faire assez») ? En faisons-nous assez pour ce que l'on nous donne en échange ? Pour les ressources dont nous disposons ? Pour les moyens que nous mobilisons ? Ne pouvons-nous pas être plus efficients par de nouvelles formes d'organisation innovantes ? Telles sont les questions lancinantes qui peuvent fâcher. Ce sont pourtant à ces questions essentielles que nous amène inéluctablement toute démarche qualité. Sommes-nous prêts à nous y confronter sérieusement ? Mettre l'usager au centre n'est pas seulement un ethos, un parti pris affectif ou idéologique, mais une réalité relationnelle, sociale et stratégique. Les ESMS vivent grâce à des bénéficiaires qui obtiennent un certain nombre de réponses à leurs besoins. La simple reconnaissance de cette nue réalité n'est pas si évidente. Elle est pourtant consubstantielle avec la question de la qualité.

La qualité n'est pas une idéologie mais une méthode qui interroge puissamment la relation qui se joue entre deux acteurs aux intérêts potentiellement différents : un offreur et un demandeur. Une démarche qualité n'est pas au service de certitudes incantatoires, mais de la volonté rationnelle d'en savoir plus. En ce sens, elle n'est ni bonne ni mauvaise, elle vise à optimiser les moyens que nous nous donnons pour atteindre des buts toujours soumis à la négociation sociale. »

Contact : 100 A, cours Lafayette - 69003 Lyon -Tél. 04 72 60 98 79 - jean-reneloubat@wanadoo.fr - www.jeanreneloubat.fr

Notes

(1) Jean-René Loubat a récemment publié un manuel pour mettre en oeuvre cette démarche dans les établissements et services sociaux et médico-sociaux : La démarche qualité en action sociale et médico-sociale - Ed. Dunod, 2009.

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