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« Partir en vacances : un droit, bientôt un luxe ? »

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Alors que commence la période estivale, la question du non-départ en vacances se fait plus aiguë. Une proposition de loi pour une aide au départ est en attente depuis un an à l'Assemblée nationale, où un débat sur le sujet doit se tenir le 9 juillet, à l'appel de la Plateforme pour le droit aux vacances de tous les enfants et de tous les adolescents. Les clés du problème avec la sociologue Isabelle Monforte, chargée de mission à l'OVLEJ.

Sait-on combien de personnes ne partent pas en vacances ?

En 2004, près de 3 millions d'enfants ne sont pas partis du tout durant l'année, la définition des vacances étant un séjour de plus de quatre nuits hors de chez soi pour des motifs personnels. Parmi ces 3 millions, les trois quarts ne sont pas même partis un week-end. Nous ne disposons pas de chiffres plus récents, car l'enquête INSEE qui était effectuée tous les cinq ans sur les départs des 5-19 ans n'existe plus. On peut cependant encore s'appuyer sur l'enquête annuelle de la direction du tourisme, qui concerne, elle, les plus de 15 ans. En 2004, chez ces derniers, 65,9 % des personnes étaient parties au moins une fois. En 2007, elles n'étaient plus que 63,6 %. Le taux de départ global apparaît donc en baisse. Après une progression relativement continue jusque dans les années 1990, on a enregistré une stagnation, suivie d'une légère remontée en 2004. Mais, depuis, ce taux de départ décline. On peut penser que c'est également le cas de celui des enfants, leur départ en vacances étant très largement conditionné par celui de leurs parents. L'autre tendance est le creusement de l'écart entre les ménages modestes et les plus aisés, qui voient, quant à eux, leur taux de départ augmenter. Enfin, chez ceux qui partent, on observe deux mouvements. D'abord, une diminution de la durée moyenne des séjours en famille : de 11 jours en 2004, elle est tombée à 9 jours et demi actuellement. Le nombre total de jours de vacances dans l'année diminue lui aussi. En 1979, pour les 5-19 ans, il atteignait 36 jours, contre 26 jours en 2004.

Existe-t-il des disparités régionales ?

Effectivement, cela peut aller du simple au double. Toujours en 2004, chez les 5-19 ans, la fourchette était de 37 à 41 % de non-partants dans le nord de la France, contre 13 à 21 % en Ile-de-France. Sachant que l'Ile-de-France est la région où l'on part le plus en raison d'un niveau socio-économique élevé, mais aussi parce que les habitants des grandes agglomérations ont pris depuis longtemps l'habitude de partir davantage que les personnes vivant en milieu rural. Cette différence semble cependant se réduire. Actuellement, à situation égale, les enfants des campagnes ne partent pas moins que ceux des villes. Il y a, semble-t-il, une homogénéisation du modèle social des vacances.

Pourquoi ne part-on pas en vacances ?

Le principal facteur est évidemment le manque de moyens. C'est la première raison invoquée dans les enquêtes. On observe actuellement deux seuils critiques. En dessous de 12 000 € de revenus annuels, il se produit très peu de départs en vacances. La tendance à la baisse des départs que j'évoquais affecte plus fortement ces très faibles revenus, mais elle est en train de se déplacer vers les classes moyennes. En effet, dans les revenus médians (entre 23 000 et 27 000 € annuels € , le taux de départ tend à diminuer très fortement. Les sondages récents montrent ainsi une baisse continue de ce taux entre 1 200 et 1 900 € mensuels. Et on enregistre une très sévère baisse sur la tranche des 1 900 à 3 000 € mensuels.

Vous expliquez qu'aux inégalités économiques s'ajoutent les inégalités sociales. Que voulez-vous dire ?

Par exemple, on sait que les familles d'agriculteurs ont des contraintes plus fortes que d'autres en ce qui concerne la gestion du temps. Ces familles partent donc moins que d'autres, à revenu égal. A l'inverse chez les cadres, notamment lorsque la mère exerce une activité professionnelle, on va faire en sorte que les enfants puissent partir davantage. Ce qui joue également, ce sont les ressources dont dispose la famille en matière d'accueil familial ou amical et qui ne sont pas distribuées équitablement selon les catégories de population. Il faut savoir que l'hébergement non marchand représente 68 % des nuitées des Français. C'est énorme, et cela augmente. Un certain nombre de familles défavorisées qui ont gardé des racines locales peuvent ainsi faire partir leurs enfants en vacances, mais c'est vrai aussi pour beaucoup de familles plus aisées. Cela ne compense donc pas les inégalités de revenus. Et puis il reste le coût du transport, qui est assez incompressible. Au final, pour les familles modestes, il existe un effet cumulatif des obstacles au départ en vacances. Et la difficulté est encore renforcée pour ceux qui n'ont pas de travail. Les vacances sont avant tout liées au travail et, bien souvent, les personnes qui en sont privées ne s'autorisent pas à partir.

Existe-t-il des freins culturels au départ en vacances ?

L'ANCV a publié récemment une enquête montrant que beaucoup de personnes qui ne partent jamais ne partaient déjà pas dans leur enfance. Quand on n'a pas acquis cette culture des vacances et de la mobilité, il est très difficile, une fois devenu adulte, d'envisager un départ. C'est aussi pour cette raison qu'il est très important d'aider les enfants à partir jeunes. Quand des gens ne parviennent déjà pas à sortir de leur cité ou de leur quartier, on imagine la difficulté de se projeter loin de chez soi et de ses repères. Des dispositifs, tels que Vacances ouvertes, mettent en place un accompagnement qui permet à ces familles de faire partir leurs enfants.

Les séjours en centres de vacances ou les journées en centres de loisirs permettent-ils de compenser l'absence de départ en famille ?

Avec les centres de loisirs, l'enfant reste dans son quartier, même si cela lui permet d'avoir une activité. Ils sont essentiels dans la mesure où ils restent accessibles à la plupart des familles grâce à des tarifs adaptés. A l'inverse, les centres de vacances, qui sont en hébergement et éloignés du domicile, reviennent de plus en plus cher pour les familles. Depuis 1994, les CAF ont réduit fortement leurs aides dans ce domaine. Le départ en colonie de vacances ne sert plus, comme autrefois, à faire partir massivement les enfants qui ne le pourraient pas autrement. Actuellement, les enfants des familles aisées sont surreprésentés dans le public des colonies, avec des séjours assez chers et proposant des prestations attractives.

L'existence d'aides financières, notamment des CAF, a-t-elle un impact sur le départ en vacances des enfants des ménages modestes ?

Ces aides sont aujourd'hui insuffisantes. Seuls 5 % des 5-19 ans ont accès à une aide des CAF. Pourtant, elles permettent d'améliorer significativement le taux de départ pour ceux qui en bénéficient. Lorsque les parents ne partent pas mais ont droit à une aide de la CAF pour faire partir leur enfant, ce taux rejoint celui de la moyenne de la population. Si mes parents ne partent pas, je n'ai que 31 % de chances de partir, mais avec une aide, elles passent à 75 %. C'est donc un levier particulièrement efficace.

Ne pas partir en vacances, est-ce finalement une forme d'exclusion ?

Des études menées en Angleterre dans le cadre de la lutte contre la pauvreté des enfants montrent que le premier signe de pauvreté cité par ces derniers est de ne pas pouvoir partir en vacances. C'est donc une question centrale sur la perception qu'ils ont de leur intégration. Et puis les vacances apportent beaucoup sur le plan du développement personnel et de la socialisation. N'importe quel éducateur le sait, mais on a le sentiment aujourd'hui qu'il faut le prouver. Les vacances sont en train de devenir un luxe, alors qu'on devrait les considérer comme un droit. Ce droit est d'ailleurs inscrit dans la Convention internationale des droits de l'enfant et dans la loi de lutte contre les exclusions. Encore faut-il le mettre en oeuvre.

Quelles seraient alors les solutions envisageables pour plus d'égalité dans les départs en vacances ?

Il faudrait revenir en priorité, au moins pour les enfants, à une politique d'aide au départ incitative. Une proposition de loi déposée en août 2008 par le député PS de la Loire, Regis Juanico, visait justement à instaurer une aide au départ en vacances, sous condition de ressources, pour tous les enfants et adolescents âgés de 4 à 17 ans. Cette proposition est toujours dans les tuyaux et un débat est organisé le 9 juillet à l'Assemblée nationale, à l'initiative de la Plateforme pour le droit aux vacances de tous les enfants et de tous les adolescents, qui regroupe 61 organisations, associations et syndicats.

REPÈRES

Isabelle Monforte est sociologue, chef de projet à l'Observatoire des vacances et des loisirs des enfants et des jeunes (OVLEJ). Créée en 1999, cette association réunit la Caisse centrale d'activités sociales des industries électriques et gazières (CCAS), La Jeunesse au plein air, l'UCPA, l'Union nationale des associations de tourisme (UNAT), la Ligue de l'enseignement, la Mutuelle générale de l'enseignement nationale et les PEP.

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