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Vocations à aider

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Grâce à la mise en place de stages de neuf mois au sein de maisons de retraite ou d'hôpitaux aux alentours de Valence, l'association Parenthèse permet à des personnes en difficulté de revenir dans un milieu de travail ordinaire et de préparer les concours d'aide-soignant ou d'aide médico-psychologique.

Derrière son chariot rempli de carafes d'eau, Brigitte Costet arpente le service des personnes lourdement dépendantes de l'hôpital local Beauregard de Vernoux-en-Vivarais, tranquille bourgade située sur le plateau ardéchois. Affichant une cinquantaine élégante et dynamique, cette mère de deux grands enfants s'arrête devant chaque chambre, frappe avant d'entrer, a un mot pour chacun, incite un vieux monsieur à boire pour ne pas se déshydrater, ouvre les rideaux pour une dame alitée... « Ici, pour moi, ç'a été un nouveau départ. J'ai fait la découverte de l'être humain à travers ces personnes âgées extraordinaires et dont les souffrances physiques ou morales nous remettent à plat dans notre parcours de vie », confie-t-elle en souriant.

Aide au lever, à la toilette, au repas, distribution du linge, animation, etc. Depuis sept mois, Brigitte Costet assure au quotidien toutes les tâches d'un agent des services hospitaliers. Elle a également réussi le concours d'entrée à l'école d'aides-soignants et se prépare désormais à commencer une nouvelle vie. Le point de départ ? Son licenciement en octobre dernier, après avoir travaillé pendant trente ans dans une entreprise de la région, spécialisée dans la fabrication de chaussures de sécurité. Elle a alors contacté rapidement l'hôpital Beauregard, un des plus gros employeurs du canton, et a été orientée vers l'association Parenthèse(1). Laquelle lui a proposé de faire partie du dispositif Pégase, un atelier et chantier d'insertion d'un genre un peu particulier(2).

Créée en 1989 à Toulaud, à quelques kilomètres de Valence, autour d'un lieu de vie destiné à accueillir les personnes ayant des difficultés sociales ou psychologiques, Parenthèse a mis progressivement en place plusieurs dispositifs d'accompagnement et de réinsertion, à l'instar des deux jardins lancés en 2001 et 2008 pour favoriser une réinsertion économique via la pratique de l'agriculture biologique. L'idée de Pégase naît au milieu des années 2000. « Le premier élément déclencheur a été la démarche qualité que nous avons réalisée entre 2003 et 2005, et qui a montré notamment que nous n'étions pas assez bons sur l'accès à l'emploi durable. Le plan de cohésion sociale présenté en 2004 par Jean-Louis Borloo, à travers lequel on disait qu'il fallait aller à fond vers l'entreprise, nous a également amenés à réfléchir à de nouvelles pistes en matière de réinsertion », souligne le directeur de Parenthèse, Paul Bruyelles. En décidant de mettre en place dès 2007 ce dispositif conventionné avec l'Etat, l'association résout en outre des difficultés financières liées à la disparition des subventions de fonctionnement, jusque-là octroyées par le département.

En immersion longue

Pour ses responsables, le principal atout de Pégase réside dans la remise en situation de travail des personnes dans un milieu ordinaire pendant une période de neuf mois. Une durée bien supérieure à celle d'un simple stage, qui permet à des personnes en insertion de retrouver les réalités du travail et de se réadapter à un rythme et à un cadre particuliers par le biais d'une immersion longue. Les structures d'accueil voient également d'un bon oeil cette présence au long cours des stagiaires au sein de leurs équipes. « En dehors du fait que ce partenariat nous aide à faire connaître nos métiers à des personnes qui ne sont pas forcément issues de ce milieu, nous avons trouvé très stimulant d'accueillir les salariés de Pégase aussi longtemps et de ne pas les voir partir, comme c'est le cas pour les stagiaires, au bout de trois ou quatre semaines, au moment où ils deviennent plus autonomes », confirme Julien Chalamet directeur de la maison de retraite Cauzid, à Livron-sur-Drôme, et tuteur de deux salariées de Pégase.

Si la durée du parcours d'insertion n'a pas changé, Parenthèse a, en revanche, sensiblement fait évoluer le projet initial, depuis trois ans, en le recentrant sur les seuls métiers du médico-social au sein des maisons de retraite ou des hôpitaux et en y intégrant un temps de formation en alternance destiné à préparer le concours d'aide-soignant ou d'aide médico-psychologique. Ainsi, en dehors d'une période de deux mois, durant laquelle les salariés de Pégase travaillent trente-cinq heures par semaine (trois semaines sur quatre) pour expérimenter un rythme de travail à temps complet, le reste du parcours s'effectue sur un rythme de vingt-six heures hebdomadaires, du lundi au jeudi. Le vendredi étant réservé à leur formation, à l'institut de formation en soins infirmiers (IFSI) de Valence.

Depuis le 20 novembre dernier, ils sont neuf, dont huit femmes, à avoir signé avec Parenthèse des contrats d'accompagnement vers l'emploi et des contrats d'avenir, pour travailler comme agents polyvalents en équipe hôtelière ou agents polyvalents en équipe de soins au sein de l'un des six établissements de la région partenaires de cette action, et pour suivre la formation en alternance. Ils ont entre 18 et 50 ans, ont souvent abandonné leurs études assez tôt et ont suivi des parcours professionnels et familiaux très différents, avant de se retrouver dans une impasse. Parmi les stagiaires, on trouve des mères de famille qui ont mis fin à leurs études à la naissance d'un enfant et doivent maintenant retravailler, des personnes qui ont multiplié les petits boulots avant de se retrouver au RMI(3), d'autres qui ont décroché après un accident de la vie, des demandeurs d'emploi de longue durée ou encore des jeunes femmes percevant l'allocation de parent isolé.

L'implication des équipes

Dirigés vers Pégase par les établissements partenaires, les missions locales, l'ANPE ou encore les plans locaux pour l'insertion et l'emploi, tous ne connaissaient pas le secteur médico-social lorsqu'ils ont poussé la porte de l'association. « Ce sont des métiers difficiles, et il n'était pas question de les engager dans cette action sans qu'ils aient une idée de ce qui les attend. On leur demandait donc de posséder une expérience préalable ou d'accepter de réaliser une évaluation en milieu de travail avant de commencer », précise Adeline Gai, la responsable « emploi » de Parenthèse. Restait à ne pas céder à la facilité consistant à « caser », sans réelles perspectives d'insertion durable, ces publics en contrats aidés au sein de maisons de retraite ou d'hôpitaux où les besoins de recrutement sont toujours très importants. Un écueil évité grâce à la pertinence du parcours et à l'importance accordée à l'accompagnement, se défend Paul Bruyelles : « Dans ce type de dispositif, il y a effectivement toujours le risque de contribuer à l'«usine à contrats aidés». C'est pourquoi, avec Pégase, nous avons développé l'accompagnement des personnes tout au long de leur parcours d'insertion et nous avons demandé aux équipes des établissements d'accueil de s'impliquer véritablement dans cet accompagnement, d'y consacrer du temps. »

Du côté de Parenthèse, l'accompagnement social et professionnel est coordonné par la responsable « emploi ». Pour Adeline Gai, il s'agit dès le départ de résoudre, en lien avec les référents des personnes, des problèmes d'organisation qui pourraient compromettre la prise de poste des salariés de Pégase dans les établissements. « Au début, ce n'est pas facile de s'organiser pour des personnes qui n'ont pas travaillé depuis un certain temps. Avec les horaires décalés de ces métiers, il faut trouver des systèmes de garde pour les enfants, solliciter des aides financières pour faire le relais avec le premier salaire, voir comment on peut mettre en place des solutions pour la cantine ou pour les déplacements, qui peuvent aller jusqu'à 30 ou 40 kilomètres du domicile. »

Avec le soutien des tuteurs

L'intégration dans les équipes des institutions constitue également une période délicate, et le soutien coordonné de Parenthèse et des établissements d'accueil est essentiel. A cet égard, les tuteurs désignés dans les équipes des maisons de retraite et des hôpitaux pour accompagner les salariés jouent un rôle important. Ils permettent notamment aux nouveaux arrivants de trouver leur place sans trop de difficulté dans l'organisation de travail, explique Julien Chalamet. « Au début, nous devons être attentifs à ne pas les laisser aller trop vite vers l'autonomie pour qu'ils ne se retrouvent pas en difficulté face à la manutention d'une personne trop dépendante ou à la prise en charge d'une personne désorientée. » Pour cette raison, et même s'ils peuvent être amenés à effectuer des tâches communes à celles des aides-soignants, les salariés de l'atelier et chantier d'insertion ne doivent pas suppléer à l'absence d'un professionnel en poste et doivent bénéficier d'un encadrement régulier. Ce qui ne les empêche pas d'exercer une véritable fonction. A l'image de Houria Sriej et de Valérie Alix, toutes deux salariées de Pégase. Dans la salle à manger de la maison de retraite Cauzid, c'est l'heure du déjeuner pour les personnes à mobilité réduite. Les deux jeunes femmes accueillent les personnes âgées qui sortent de l'ascenseur en fauteuil roulant et les aident à s'installer à leur table. Leurs blouses roses se mêlent aux blouses blanches des infirmières et aux tenues vertes des agents des services hospitaliers. Valérie propose à un vieux monsieur de prendre ses comprimés avec son jus de pomme, tandis que Houria déplie une serviette pour une dame installée devant son assiette. Souriantes et à l'aise, les deux jeunes filles semblent s'être parfaitement intégrées dans l'équipe. Elles participent à présent à la toilette des résidents, à leurs transferts dans les fauteuils roulants, leur apportent une aide pour les repas, les installent pour la sieste ou les activités de l'après-midi...

Ce soutien actif des tuteurs et de toute l'équipe en place rassure tout le monde et réduit les risques de découragement et d'abandon de la part des salariés en insertion, estime Henriette Berard, aide-soignante à la maison de retraite Cauzid : « Même si ce n'est pas toujours évident de les encadrer lorsqu'on a beaucoup de travail, c'est indispensable de le faire pour éviter de les mettre d'emblée en situation d'échec. On essaie donc de les protéger contre des situations trop difficiles, contre des «Taties Danielle» qui aiment bien faire tourner en bourrique ces personnes qui n'ont pas notre statut. » De son côté, Adeline Gai effectue régulièrement une évaluation des compétences des salariés sur leur lieu de travail et les rencontre tous les mois avec leur tuteur pour faire le point et régler les problèmes éventuels. Des présences qui contribuent fortement à la réussite du projet. « Honnêtement, je crois que, toute seule, je ne serais pas allée bien loin. Mais avec ce projet, le fait d'être entourée et écoutée par mon tuteur et Adeline Gai m'a beaucoup aidé », confie Houria Sriej.

L'implication des tuteurs dans le parcours de formation des salariés de Pégase est un autre élément clé dans le succès de cette action d'insertion. Pour la plupart des salariés, l'idée de s'attaquer à un programme de formation contenant de la biologie, de l'arithmétique ou des analyses de textes après avoir arrêté leurs études depuis de longues années n'allait en effet pas de soi. « J'ai dû arrêter mon BEP sanitaire et social en 1996, lorsque je suis tombée enceinte. Et en reprenant cette formation, j'ai eu du mal avec des matières comme la biologie, qu'il fallait apprendre par coeur », raconte Valérie Alix. Bien souvent, les conseils des équipes en place viennent calmer les inquiétudes des postulants aux concours d'aide-soignant ou d'aide médico-psychologique. « On a pu utiliser des classeurs de la maison de retraite qui traitent de biologie, et ici les filles nous expliquaient quand on ne comprenait pas certaines choses », poursuit la jeune femme. Même sentiment pour Brigitte Costet qui avait décroché des études depuis une trentaine d'années et était angoissée à l'idée de reprendre des cours : « La tutrice et la responsable «emploi» de Parenthèse m'ont «boostée», pour me faire comprendre que j'en étais capable. » Pour certaines équipes, l'engagement des personnes en insertion dans un processus de préqualification a d'ailleurs constitué un facteur d'implication supplémentaire. Ainsi, à l'hôpital Beauregard, le personnel s'est approprié le projet de formation des salariés et s'est associé à la réussite d'un des deux salariés au concours. « Dans une action telle que Pégase, l'objectif de l'examen est pris en charge par tous les membres de l'équipe. Ils avaient envie que Brigitte réussisse ses examens, car c'est une réussite pour tout l'établissement. Ils en sont fiers », explique la directrice de l'hôpital, Sylvie Tourneur.

Une richesse humaine

Les établissements partenaires de Pégase apprécient également la venue de ces publics issus de tous les horizons et qui posent un regard extérieur sur le fonctionnement des services dans lesquels ils évoluent. Depuis longtemps attiré par le secteur de l'aide aux personnes âgées, Eric Vinson est arrivé à 50 ans dans le dispositif Pégase à la suite de la vente de la minoterie familiale et d'une séparation. A travers son activité d'agent polyvalent au sein de l'équipe hôtelière de l'hôpital Beauregard, il a assouvi pleinement son goût pour le contact avec les personnes âgées, avec lesquelles il aimait pousser la chansonnette ou bavarder un peu, « parce qu'on fait ces métiers quand on les a dans le coeur, et pas seulement pour un salaire », explique-t-il. Une façon de faire inhabituelle, mais qui a suscité des réflexions dans l'équipe, reconnaît sa tutrice, Florence Martel : « Ces personnes qui ne sont pas formatées, qui sont toutes fraîches dans la formation et n'ont pas encore l'oeil professionnel nous permettent quelquefois d'interroger nos façons de faire. Eric ne parlait pas uniquement des problèmes de santé avec les résidents, et ceux-ci se livraient peut-être davantage. Ces parcours différents sont une richesse pour nous. »

Pour les salariés engagés dans cette action, le sentiment d'appartenir à un groupe partageant le même parcours d'insertion et tourné vers le même objectif de réussite au concours d'aide-soignant s'est également révélé très positif. Pour renforcer cette dynamique de groupe, les responsables de Parenthèse ont d'ailleurs réservé une heure tous les vendredis matin afin que les salariés puissent se rencontrer et échanger leurs impressions. Tous soulignent l'apport de ces réunions, où chacun peut faire part de ses expériences, de son stress avant les examens, et demander des conseils aux autres. « Ça permet de faire le point, de parler de son vécu, mais aussi d'autre chose, de ne pas rester bloqué sur un problème. En fait, ça nous porte un peu », confie Houria Sriej.

Ces temps collectifs, dont les responsables de Parenthèse aimeraient pouvoir augmenter la durée lors des prochaines actions, se révèlent être tout aussi précieux pour pouvoir préparer l'après-Pégase, lorsque les examens sont terminés. Sur les neuf salariés entrés dans le dispositif en novembre dernier, six ont réussi le concours. Adeline Gai a profité des temps de regroupements pour commencer à chercher avec eux des possibilités de financement pour leur formation (un peu plus de 4 000 € ). Pour les autres, c'est l'occasion de travailler sur la recherche d'emploi. Valérie Alix a échoué à l'oral du concours d'entrée à l'école d'aides-soignants, mais compte bien le repasser en candidate libre l'année prochaine. En attendant, la responsable « emploi » de Parenthèse lui a fait envoyer une invitation pour participer à une journée d'information sur le métier d'auxiliaire de vie. Pour sa part, durant son travail à l'hôpital, Eric Vinson a réalisé qu'il préférait un métier qui lui donne l'opportunité de passer plus de temps auprès des personnes. Grâce à l'aide conjointe de Parenthèse et de la directrice de l'hôpital Beauregard, il s'est orienté vers l'aide à domicile et a été embauché par l'ADMR locale. « L'un des avantages d'une action comme Pégase, c'est qu'elle nous donne la possibilité de réaliser une évaluation assez fine des personnes et de les accompagner vers d'autres pistes de sortie », précise Sylvie Tourneur. Qu'ils aient réussi ou non leur concours d'aide-soignant, tous, en tout cas, affirment avoir retrouvé confiance en eux, et bénéficié, grâce à ce parcours, d'une occasion de rebondir. « C'est très valorisant de se dire que l'on peut refaire sa vie à 50 ans, que ce n'est pas une fin, mais un début », lance Brigitte Costet. A la rentrée, elle sera sur les bancs de l'école d'aides-soignants de Valence...

Notes

(1) Association Parenthèse : Les Ufernets - 07130 Toulaud - Tél. 04 75 40 32 88 - parenthese@assoparenthese.fr.

(2) L'atelier et chantier d'insertion Pégase a été primé en avril 2009 par la Fondation Agir pour l'emploi pour son action d'insertion par l'activité économique.

(3) Remplacé, depuis le 1er juin 2009, par le revenu de solidarité active (RSA).

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