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Pour une protection sociale effective

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L'objectif prioritaire de notre société devrait être la mise en oeuvre d'un projet solidaire ambitieux, alliant politique de plein emploi, amélioration de la condition salariale et création d'un revenu de remplacement décent, défend Jean-Jacques Deluchey, directeur adjoint d'un CHRS en Seine-Saint-Denis. En ajoutant que cette visée n'est pas irréaliste.

«Des travaux récents nous rappellent que la pauvreté et la précarité restent des composantes saillantes du paysage social contemporain. Déjà critique, la situation risque fort de s'aggraver. La crise financière et économique sans précédent que nous connaissons produit ses premiers effets préjudiciables en matière sociale. Et le pire se trouve certainement devant nous.

De toute évidence, le plan gouvernemental de relance de l'économie annoncé courant décembre 2008 et la mise en oeuvre du revenu de solidarité active (RSA) ne permettront pas de remédier au développement massif de l'insécurité sociale qui est à prévoir dans les mois à venir. Plus que jamais, la lutte contre la précarité et la pauvreté impose la définition d'une politique plus ambitieuse visant à protéger efficacement le plus grand nombre des risques sociaux majeurs.

Selon une étude de l'INSEE publiée en mai (1), la France comptait en 2006 près de 8 millions de pauvres, dont 1,8 million travaillent. Depuis 2002, la pauvreté monétaire semble se stabiliser à ce niveau somme toute élevé puisque ce phénomène concerne environ 13 % de la population.

Si la pauvreté paraît stabilisée, Jacques Rigaudiat (2) et Pierre Concialdi (3) soulignent l'accroissement notable de la précarité. Cette évolution résulte principalement de la dégradation du marché du travail. Depuis plus de vingt ans, le taux de chômage reste élevé, oscillant entre 8 % et 12 %. La moyenne lisse des extrêmes beaucoup plus élevés concernant en particulier les femmes et les jeunes peu qualifiés. Dans certains quartiers populaires, les difficultés d'accès à un emploi toucheraient 40 à 60 % des moins de 25 ans.

Conjointement au chômage, les différentes formes de travail précaire (intérim, emploi à temps partiel, contrat à durée déterminée) tendent à gagner du terrain au détriment de l'emploi stable et à temps plein. Actuellement, environ 13 % des salariés disposent d'un contrat de travail à durée déterminée ou intérimaire.

De manière générale, le pouvoir d'achat des salariés, et en particulier des ouvriers et des professions intermédiaires, stagne. Actuellement, 50 % des salariés du secteur privé perçoivent moins de 1 500 € nets mensuels, et 30 % se situent en dessous de 1 200 € . Près de 20 % des salariés sont payés au SMIC.

La précarité toucherait environ 12 millions de personnes. En situation de chômage, de sous-emploi ou de travail précaire, ces ménages disposant de revenus à peine supérieurs au seuil de pauvreté connaissent des difficultés permanentes et n'ont aucun espoir d'amélioration de leurs conditions de vie. Ainsi, les deux auteurs mettent en évidence que près d'un Français sur trois se trouverait en situation de pauvreté ou de précarité.

De sombres prévisions

Aujourd'hui, personne n'est en capacité d'appréhender avec exactitude les conséquences de la crise à laquelle nous sommes confrontés. Déjà, l'emploi s'est notoirement raréfié et de nombreux plans de licenciements sont annoncés. Au cours du premier trimestre de l'année, plus de 130 000 emplois auraient disparu.

Les prévisions les plus optimistes confirment une baisse du produit intérieur brut de l'ordre de 3 % pour l'année 2009 et la destruction de plus de 300 000 emplois. Et selon la dernière note de conjoncture de l'INSEE, rendue publique le 19 juin, 592 000 emplois disparaîtraient durant cette même année. Fin mai, l'Unedic indiquait que le chômage frapperait près de 4,3 millions personnes en fin d'année. Par voie de conséquence, il faut s'attendre à une augmentation significative du nombre de bénéficiaires des minima sociaux.

Elément principal du programme de lutte contre la précarité, le RSA aura très certainement des effets très limités dans ce contexte de forte dépression. Selon le rapport final sur l'évaluation des expérimentations du RSA, le taux moyen de retour à l'emploi est plus élevé de 9 % dans les zones expérimentales que dans les zones témoins, bien loin des 30 % évoqués dans le rapport intermédiaire (4).

Dans les mois à venir, les allocataires du RSA sans emploi continueront à survivre avec leurs maigres ressources inférieures au seuil de pauvreté. Dans le meilleur des cas, cette nouvelle disposition permettra une sensible amélioration des conditions de vie du petit nombre qui aura l'opportunité de conserver un emploi de médiocre qualité ou d'y accéder. Comme par le passé, une partie des migrants et les jeunes âgés de moins de 25 ans resteront exclus de ce dispositif. Pauvres de seconde catégorie, ces derniers devront se satisfaire des aides discrétionnaires difficilement octroyées par les collectivités locales et de la bienfaisance des organismes caritatifs ou des organisations non gouvernementales.

Le droit à l'emploi jamais effectif

Dans une interview récente parue dans les ASH (5), Robert Castel préconisait l'instauration d'un socle de droits sociaux inconditionnels assurant une sécurité sociale aussi complète que possible. Dans la continuité de cette réflexion, j'insisterai sur deux points a priori essentiels : la garantie de l'emploi et du revenu.

L'emploi durable et décemment rémunéré reste probablement le rempart le plus efficace contre la précarité. Outre le salaire et une certaine forme de reconnaissance sociale, le statut de salarié ouvre droit à des protections, en particulier en matière de maladie et de retraite.

Bien qu'affirmé par le cinquième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, le droit de chacun à obtenir un emploi n'a jamais été effectif. Jusqu'à présent, la recherche de la rentabilité optimale imposée par les investisseurs institutionnels a empêché toute ébauche d'une politique de plein emploi. A l'inverse, limiter la rente versée aux actionnaires permettrait donc de dégager des marges de manoeuvre favorables à la création d'emplois pérennes.

L'amélioration de la condition salariale constitue sans aucun doute un autre aspect important d'une politique de lutte contre l'insécurité sociale. Augmenter les bas salaires, réglementer strictement le recours au licenciement ainsi qu'aux différentes formes d'emploi précaire (contrat à durée déterminée, temps partiel, intérim) participeraient efficacement à cette démarche.

Contrairement à ce qu'affirment certains, ces mesures ne relèvent pas de l'utopie. Là encore, elles nécessitent tout simplement une répartition plus équitable de la richesse produite au sein de l'entreprise.

Les fondateurs de la sécurité sociale poursuivaient l'objectif de protéger l'ensemble de la population contre les différentes formes d'insécurité sociale. Force est de constater que ce projet n'a pas abouti en particulier en matière de maintien du revenu de ceux qui se trouvent momentanément ou durablement écartés du monde du travail.

L'instauration d'un revenu de remplacement décent, destiné aux personnes en formation ou privées d'emploi ainsi qu'à ceux qui ne peuvent travailler du fait de leur âge ou de problèmes de santé, s'avère être une disposition protectrice majeure.

Qu'en est-il de la décence en la matière ? Le gouvernement aux affaires tend à considérer que les minima sociaux en vigueur, tous inférieurs au seuil de pauvreté, sont suffisants. Cette position est vivement contestée par un ensemble d'organisations politiques, syndicales et citoyennes, qui rappellent que les allocations versées permettent tout juste de survivre. En application du onzième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, le collectif « Ni pauvre, ni soumis » revendique la création d'un revenu d'existence à hauteur du SMIC brut au bénéfice des personnes en situation de handicap ou de maladie invalidante. Dans un document intitulé Emploi et niveau de vie (2006), la fondation Copernic exigeait l'augmentation du SMIC à hauteur de 1 500 € nets et l'instauration d'un revenu de remplacement d'un montant de 1 200 € .

Ces propositions conservent aujourd'hui toute leur actualité et leur pertinence. Pour reprendre les termes de la pétition initiée par la Fondation Copernic en 2005, « personne ne peut vivre à moins de 1 200 ».

Rompre avec la course au profit

L'exposé des motifs de l'ordonnance du 4 octobre 1945 relative à la création de la sécurité sociale précisait que « le but final à atteindre est la réalisation d'un plan qui couvre l'ensemble de la population du pays contre l'ensemble des facteurs d'insécurité ». Nous sommes encore loin du compte surtout en cette période de récession sans précédent qui accroît considérablement les incertitudes.

Faute de prendre des mesures appropriées, la débâcle financière et économique que nous connaissons depuis quelques mois aura très certainement des conséquences dévastatrices en matière sociale. Aussi, la mise en oeuvre d'un projet solidaire ambitieux devrait donc constituer un objectif prioritaire.

Une politique de plein emploi, l'amélioration de la condition salariale et la création d'un revenu de remplacement décent participeraient à la réalisation de ce projet de protection sociale.

Taxées d'irréalistes par l'opinion dominante, ces dispositions se trouvent pourtant à notre portée, tant à l'échelon national qu'européen, pour peu que nous décidions de rompre avec la course au profit et de partager de manière équitable la richesse produite et le patrimoine. »

Contact : jjdeluchey@wanadoo.fr.

Notes

(1) Voir ASH n° 2608 du 8-05-09, p. 20.

(2) Le nouvel ordre prolétaire - Editions Autrement, 2007.

(3) Non à la précarité - Editions Mango, 2007.

(4) Voir ASH n° 2611 du 29-05-09, p. 5.

(5) Voir ASH n° 2601 du 20-03-09, p. 34.

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