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« Un bouclier sanitaire pour améliorer l'accès aux soins »

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Les difficultés d'accès aux soins(1) sont une réalité pour de nombreux ménages modestes, bénéficiaires ou non de la CMU. Elles restent de ce fait l'un des facteurs limitants en vue de réduire les inégalités en matière de santé. Statisticien et spécialiste du recours aux soins et des inégalités de santé, Paul Dourgnon fait le point sur les freins à l'accès aux soins.

Aujourd'hui, les populations modestes ont-elles plus de difficultés à accéder aux soins ?

C'est effectivement le cas. Et ceci pour plusieurs raisons. D'une part, évidemment, parce que la conjoncture économique est mauvaise et que les contraintes budgétaires des ménages deviennent plus fortes. Ensuite, parce que les restes à charge avant complémentaire sont de plus en plus élevés. L'une des conséquences est que les ménages modestes qui se situent juste au-dessus du seuil de la CMU et qui ne peuvent pas se payer une mutuelle se trouvent pénalisés. Si l'on excepte la question des personnes en grande précarité, aujourd'hui, le principal trou dans le filet de la protection maladie apparaît à ce niveau-là. Les personnes qui ne profitent pas d'une complémentaire santé sont en effet nettement moins bien prises en charge, notamment en ce qui concerne les soins dentaires, l'optique ainsi que certaines spécialités. Comme pour le RMI, il existe des effets de seuil. D'ailleurs, le mystère sur lequel on peut s'interroger est : pourquoi l'aide à l'acquisition d'une couverture complémentaire santé, qui s'adresse justement aux personnes dont les revenus se situent entre le plafond de la CMU complémentaire et ce même plafond majoré de 20 %, fonctionne-t-elle aussi mal ? Est-ce parce que le dispositif est trop complexe ou trop cher malgré l'aide de l'Etat ? Ou bien s'adresserait-il à une population en meilleure santé que ce que l'on pensait ?

Quelle est l'incidence du renchérissement du coût des soins, et plus particulièrement de l'augmentation du ticket modérateur, sur les difficultés actuelles d'accès aux soins ?

Il faut rappeler que la problématique de l'accès aux soins, c'est bien sûr la difficulté d'entrer dans une démarche de soins, mais aussi celle d'y recourir aussi souvent que nécessaire. On ne dispose pas de chiffres très récents, mais toutes les mesures visant à augmenter le reste à charge des patients ont un impact, surtout pour les catégories de la population qui ne disposent pas de complémentaire santé. L'impact d'une hausse du prix des consultations, même de quelques euros, est très important pour des personnes dont le budget est déjà très serré. D'autant que les dépenses de santé ne s'effectuent pas de façon linéaire sur toute l'année. Il ne s'agit pas de 1 € par semaine mais, le plus souvent, de 50 € ou de 100 € d'un coup, avec en plus le problème des avances de frais. Assumer l'avance d'une telle somme en attendant son remboursement, lorsque vous n'en avez pas les moyens, peut vous mettre en difficulté. Ce qui incite certaines personnes à reporter des soins, voire à y renoncer. A cela s'ajoute l'existence, dans le milieu médical, de deux secteurs tarifaires : l'un avec des tarifs fixés et l'autre, des tarifs libres. Cela ne peut que contribuer à créer de fortes inégalités dans l'accès aux soins, notamment géographiques. Typiquement, on trouve beaucoup plus de médecins du secteur 2 dans les grandes agglomérations, en particulier à Paris. Dans certaines spécialités, selon les départements, il est plus difficile de trouver des médecins en secteur 1, donc à honoraires fixes.

Les refus de soins de la part des médecins sont-ils fréquents ?

Le niveau de ces refus n'est pas connu pour la France entière. Les seules études fiables que je connaisse s'appuient sur des testings réalisés au mieux sur un département, concernant la prise en charge de patients couverts par la CMU complémentaire. Néanmoins, dans ce cadre, la réalité des refus de soins de la part de certains praticiens, surtout de spécialistes, est démontrée. Ce qui nous manque, ce sont plutôt des éléments sur les filières de soins des bénéficiaires de la CMU. Même s'ils ont parfois du mal à avoir accès à certains spécialistes, ils ont profité ces dernières années d'un effet de rattrapage. Leur consommation de soins, pour un état de santé donné, s'est rapprochée de celle des autres catégories possédant une complémentaire. Il est donc probable que, même s'ils se heurtent à des refus de soins, les titulaires de la CMU finissent par trouver un professionnel de santé qui veut bien les recevoir. Cela signifie-t-il qu'ils doivent aller dans un autre département ? Ou se retournent-ils vers un généraliste plutôt que vers un spécialiste ? Ces stratégies mises en oeuvre pour contourner les refus de soins nous échappent.

Existe-t-il également un frein culturel dans le recours aux soins ?

Le terme « culturel » est difficile à utiliser dans le domaine de l'économie de la santé. On a toutefois mis au jour ce que l'on appelle des effets de contexte. Ainsi, on a pu noter que les indicateurs de santé sont plus mauvais au sein de la population vivant en zone urbaine sensible qu'au sein de celle qui vit dans des quartiers de plus grande mixité sociale, toutes choses étant égales par ailleurs. Et cela au-delà d'explications telles que les facteurs économiques ou le manque de praticiens dans les ZUS. C'est un élément relativement nouveau qu'il conviendrait de prendre en compte dans l'organisation du système de soins.

Et comment améliorer l'accès aux soins des ménages modestes ?

Certains ont lancé l'idée d'un bouclier sanitaire, qui part du constat que rembourser la totalité des frais pour seulement une petite partie des pathologies répertoriées laisse beaucoup de trous dans les mailles du filet. Un grand nombre d'affections ne sont pas bien prises en charge, et cela crée des inégalités importantes. Plutôt que de raisonner par maladie, il serait préférable de raisonner par reste à charge. Toutes les personnes dont le reste à charge dépasserait un certain montant se verraient ainsi rembourser à 100 % au-delà de ce montant. L'idée novatrice étant de conditionner ce seuil au revenu de l'assuré. On ne peut pas continuer à raisonner sans tenir compte de la situation globale du patient, de ses revenus, mais aussi, pourquoi pas, du contexte dans lequel il vit. En poussant le raisonnement un peu plus loin, on pourrait appliquer cette même logique aux revenus des médecins. Pourquoi un médecin installé dans le XVIe arrondissement de Paris devrait-il gagner obligatoirement plus qu'un autre exerçant dans une banlieue pauvre ? A mon sens, le travail du médecin est sans doute plus dur et plus compliqué en banlieue qu'à Paris. Le problème, pour mettre en place un bouclier sanitaire, est qu'il n'est pas possible aujourd'hui de croiser des informations de revenus avec des informations de type santé et sécurité sociale. On est extrêmement vigilant en France sur la mise en commun des fichiers sociaux, mais, ce faisant, on se prive d'une solution qui serait peut-être beaucoup plus équitable que le système actuel.

Selon vous, la question des difficultés d'accès aux soins s'inscrit dans la problématique de la réduction des inégalités de santé. C'est-à-dire ?

L'accès aux soins n'est que l'une des composantes de la question plus vaste des inégalités de santé, qui recouvre de nombreuses notions telles que l'espérance de vie, l'espérance de vie en bonne santé, la santé perçue, l'incapacité, les maladies chroniques... La société produit elle-même des inégalités de santé et de la mauvaise santé. On peut citer des facteurs de risques tels que le tabac ou l'alcool, qui touchent plus certaines populations que d'autres. On sait aussi, classiquement, que les conditions de vie et de travail jouent sur la santé et que l'espérance de vie des ouvriers est moins bonne que celle des cadres. Et bien que notre pays dispose d'un droit à la santé à peu près universel, surtout depuis la création de la CMU, il affiche l'un des taux les plus élevés d'inégalités de santé parmi les pays de l'OCDE. Pour améliorer l'équité devant la santé, il ne suffit pas d'améliorer le système de soins, ni même de garantir son accessibilité à tous. On ignore en effet si les personnes qui recourent beaucoup au système de soins sont au final en meilleure santé que les autres. Pour le mesurer, il faudrait des données sur de très longues périodes, car les impacts du soin ou encore des conditions de vie sur la santé ne sont perceptibles, statistiquement, qu'à très long terme. Ce sont donc tous ces éléments-là qu'il faut aussi prendre en compte dans la question de l'égalité en matière de santé. Un système davantage orienté sur la prévention aiderait sans doute à réduire ces inégalités. Ce devrait d'ailleurs être un axe politique prioritaire, qui aurait certes un coût immédiat mais engendrerait peut-être des économies à moyen et à long termes.

REPÈRES

Paul Dourgnon est statisticien et maître de recherche à l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (IRDES). Il est responsable du pôle « inégalités sociales de santé et de recours aux soins ».

Notes

(1) Lors de sa réunion plénière du 25 juin, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale devait aborder la question de l'accès aux soins et des droits des usagers du système de santé.

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