Une « violation déguisée des droits fondamentaux », un dispositif « à contretemps » et à « contre-emploi ». Quelques jours avant le premier versement du revenu de solidarité active (RSA) généralisé, le 6 juillet, le MNCP (Mouvement national des chômeurs et précaires) a livré une « analyse politique » très pessimiste de la réforme. Celle-ci est un recul, dénonce l'organisation, sauf pour ceux dont les revenus sont inférieurs à un certain plafond pour pouvoir y prétendre (de 1,04 à 1,8 fois le SMIC selon la composition familiale) mais dont les ressources professionnelles sont égales ou supérieures à 500 € . « Même si le RSA qui leur est attribué reste insuffisant, ne leur permettant pas en général d'atteindre le seuil de pauvreté [880 € en 2006], il peut constituer pour [eux] un plus par rapport à la situation actuelle. » Selon le Haut Commissariat aux solidarités actives contre la pauvreté, le RSA devrait permettre de faire franchir le seuil de pauvreté à 700 000 travailleurs pauvres dès cette année, le gain moyen par allocataire étant estimé par le comité d'évaluation des expérimentations à 109 € par mois. Le surplus affiché pourra cependant engendrer des désillusions, prévient le MNCP, faisant référence, notamment, à la révision de certains droits connexes induite par l'allocation.
Mais c'est surtout le sort des autres catégories d'allocataires qui alerte le MNCP. Le gouvernement refusant d'augmenter les minima sociaux, « le RSA ne changera rien pour ceux qui ne travaillent pas ». Pis, « il ne fera qu'accroître la précarité et augmenter le nombre de personnes sans ressources ». Ainsi, argumente Marc Desplats, président du MNCP, « il instaure un système beaucoup plus répressif à l'égard des personnes qui ne retrouvent pas d'emploi, alors qu'aujourd'hui, il y a très peu de radiations du RMI. » C'est le résultat, analyse le MNCP, de l'effet combiné de la contractualisation obligatoire pour ceux qui ne travaillent pas ou dont les ressources professionnelles sont inférieures à 500 € et de la loi du 1er août 2008 sur les « droits et devoirs des demandeurs d'emploi ». Alors que « le taux de contractualisation dans le cadre du RMI était extrêmement bas, de 20 % dans certains départements », précise Bruno Trubert, délégué national du MNCP.
Les allocataires du RSA orientés vers Pôle emploi se verront, en effet, appliquer le régime de droit commun, qui prévoit l'élaboration d'un projet personnalisé d'accès à l'emploi (PPAE). Ils ne pourront refuser deux « offres raisonnables d'emploi », telles que définies par leur PPAE, sous peine d'être radiés des listes de demandeurs d'emploi. Or la loi du 1er décembre 2008 généralisant le RSA stipule que le non-respect du PPAE peut, sur décision du président du conseil général, entraîner la suspension totale ou partielle de la prestation. De plus, ajoute Bruno Trubert, « la tendance gestionnaire des départements sera d'orienter le plus de personnes possibles vers Pôle emploi, dans le cadre du droit commun ». Outre leur décision d'orientation, qui déterminera l'accompagnement de l'allocataire, comment les conseils généraux s'empareront-ils de cette logique de contrôle ? « Ils disent que, lorsqu'ils seront informés d'une radiation qui vaut suppression du RSA, ils feront du cas par cas, avec le risque de voir se multiplier les inégalités de traitement », s'inquiète Marie Lacoste, secrétaire du MNCP, responsable à Toulouse de l'association Avenir-Nouvelle maison des chômeurs.
Construit à « contretemps » parce qu'il correspond à une situation de plein emploi, juge le MNCP, le dispositif fera donc subir les conséquences du chômage aux allocataires, « «radiables» sauf à accepter des emplois dégradés ». « C'est mettre une épée de Damoclès sur la tête des gens sachant que l'on est en incapacité de leur trouver du travail ! », s'insurge Jean-Louis Jutan, vice-président du MNCP, chargé de l'économie solidaire. Inverser cette logique de responsabilisation nécessiterait, préconise l'association, de faire du RSA « socle » un droit inconditionnel, de considérer l'accompagnement comme un droit sans le transformer en devoir, de garantir le droit au refus d'un emploi précaire et de mettre en oeuvre une politique de création d'emplois « visible et cohérente », en lançant un « plan d'urgence » de création de 300 000 emplois, notamment dans les secteurs social et de l'environnement.