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« La microfinance ne remplacera pas les politiques de l'emploi »

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Aider les chômeurs à créer leur propre activité en leur en donnant les moyens financiers... Si elle n'est pas nouvelle, l'idée semble séduisante dans un contexte de crise(1). Reste à savoir si les outils de la microfinance peuvent être utilisés à grande échelle dans la lutte contre le chômage. Le point de vue de Jean-Michel Servet, membre du Centre européen de recherche en microfinance.

Quelle définition peut-on donner de la microfinance ?

Il s'est produit une évolution du vocabulaire, et donc des concepts. Hier, on parlait uniquement de « microcrédit ». Aujourd'hui, on utilise plutôt le terme de « microfinance » et, de plus en plus, on utilise l'expression « inclusion financière ». Cela recouvre un ensemble de services financiers qui vont de l'épargne à la protection sociale, en passant par l'assurance ou encore le capital-risque... Par exemple, en France, la Fédération des Cigales [Clubs d'investisseurs pour une gestion alternative et locale de l'épargne solidaire, NDLR] fait de la participation à la création d'entreprise par capital-risque à micro-échelle. La gamme est extrêmement large, même si le microcrédit focalise aujourd'hui l'opinion publique et bon nombre d'institutionnels. Reste qu'au total, la microfinance ne représente pas une masse financière considérable. Environ 4 milliards de dollars y sont investis chaque année à l'échelle mondiale.

De quand date l'intérêt pour la microfinance dans les pays européens ?

Ce n'est pas vraiment nouveau. En effet, les premières formes de microfinance, c'est-à-dire le fait de fournir des services financiers à des populations qui en sont privées, remontent aux monts-de-piété, créés par des moines à la fin du Moyen Age afin de combattre l'usure et les taux d'intérêt abusifs. Plus proches de nous, dans la première moitié du XIXe siècle, des philosophes et des économistes, comme Robert Owen, Pierre Joseph Proudhon ou Léon Walras, ont repensé cette question. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le mouvement allemand Raiffeisen a débouché sur la création du Crédit mutuel en France. De même au Canada avec les Caisses Desjardins, qui se sont développées autour des paroisses francophones catholiques. Dans la période contemporaine, en France, la création de l'aide pour les chômeurs créateurs repreneurs d'entreprise (ACCRE) a constitué un tournant. Elle avait été conçue plutôt pour des cadres ; or ce sont des chômeurs peu qualifiés qui s'en sont emparés. Et, depuis les années 1980, l'aide à la création d'activité est devenue dans la plupart des pays développés l'un des volets des politiques de l'emploi. Cela coûte moins cher d'aider un chômeur à créer une activité que de l'entretenir en attendant qu'il retrouve un emploi.

Quels sont les différents outils et dispositifs relevant de la microfinance ?

Dans les pays de l'ouest de l'Europe, le principal dispositif est le microcrédit, dans la mesure où existent par ailleurs des institutions d'épargne populaire et d'assurance accessibles au plus grand nombre. En effet, le service le plus difficile à obtenir dans un pays développé est le prêt d'argent. Le microcrédit est donc destiné à aider à la création d'une activité professionnelle. Il s'agit souvent de prêts à court terme, sur quelques mois seulement, et d'un faible montant. En France, en ce qui concerne la création d'entreprise, ces prêts ne dépassent guère les 5 000 € . Leurs montants sont nettement plus faibles en ce qui concerne le microcrédit social, qui a été créé plus récemment et est développé en France par des organisations comme le Secours catholique et la Croix-Rouge, en lien avec la Caisse des dépôts et consignations. Le microcrédit social vise, non pas un projet entrepreneurial, mais un projet de vie destiné à remettre son bénéficiaire sur les rails. L'objet du prêt peut consister à faire réparer une mobylette pour aller au travail, ou encore à remeubler un appartement après un divorce. Les bénéficiaires du microcrédit sont évidemment, pour l'essentiel, des personnes ne disposant que d'un faible niveau de revenu, proche du seuil de pauvreté.

Les dispositifs du domaine de la microfinance, tel le microcrédit, sont-ils réellement efficaces en matière de lutte contre la pauvreté ?

L'expérience montre que, si l'on s'adresse à un public pas trop nombreux et bien sélectionné dans le but de créer une activité, le taux de réussite sera plutôt bon. Mais si on multiplie l'offre de microcrédit en direction d'un grand nombre de chômeurs et que l'on en fait une solution unique, le risque est alors considérable d'avoir des performances de plus en plus faibles. Il ne faut pas négliger le fait que tous les chômeurs n'ont pas, par nature, la fibre entrepreneuriale.

La microfinance représente-t-elle une évolution novatrice, ou n'est-elle qu'un simple pis-aller pour des personnes pauvres n'ayant pas accès au système bancaire classique ?

S'il s'agit d'offrir à une partie de la population des capacités de création d'activité et d'autonomie financière, on peut dire que la microfinance est, sinon une activité novatrice, du moins tout à fait positive dans le cadre général des politiques sociales. Mais penser que la microfinance pourrait remplacer, même en partie, les politiques de l'emploi représente un risque considérable. Il faut trouver une juste mesure entre la volonté de proposer des opportunités à des personnes qui le souhaitent et le risque d'en faire une politique générale. Cela dit, on en est loin, quand on compare, en France, les 13 000 microcrédits accordés en 2008 par l'Association pour le droit à l'initiative économique avec les plus de 2 millions de chômeurs actuels. En outre, si l'on favorise l'apparition d'une catégorie de personnes qui, certes, auront leur propre activité, mais, en grossissant un peu le trait, travailleront deux fois plus longtemps que la durée légale du travail pour être rémunérées deux fois moins, je ne vois pas où se situe le progrès social.

La microfinance ne relève-t-elle pas plus d'une logique néolibérale que solidaire ?

Pour ma part, je n'oppose pas la logique commerciale et entrepreneuriale constitutive de la microfinance à une logique de solidarité. Une étude sur l'efficacité des institutions de la microfinance, publiée en 2007 par l'Organisation internationale du travail, montre qu'il n'est pas toujours nécessaire d'arbitrer entre la prise en charge de la pauvreté et la performance financière. Certaines structures réussissent à toucher des ménages très pauvres tout en restant rentables, tandis que d'autres s'adressent à une clientèle plus aisée sans pour autant s'en porter mieux financièrement. Cela s'explique notamment par la nature de l'environnement concurrentiel et par des coûts locaux de main-d'oeuvre et de capital plus ou moins élevés. Mais lorsque certains prétendent en faire une solution générale destinée à réduire le niveau de pauvreté des populations en difficulté, ils se situent dans une idéologie d'inspiration néolibérale. Voilà quelques années, on considérait dans les statistiques comme un échec le fait que quelqu'un ferme sa microentreprise pour reprendre un emploi salarié. Pourtant, si la personne est mieux payée et bénéficie d'une plus grande stabilité de revenus en étant salariée, je ne vois pas où est l'échec.

A quelles conditions la microfinance peut-elle trouver sa place dans la panoplie des dispositifs de lutte contre l'exclusion ?

La première condition est d'être très vigilant sur les risques de surendettement, qui sont réels lorsqu'on ouvre les portes du microcrédit à des personnes qui vont se retrouver confrontées à des problèmes de marché, de gestion... surtout si le prêt n'est pas accompagné d'une formation et d'un suivi. La deuxième condition porte sur le niveau des taux d'intérêt. Un certain nombre d'organismes du secteur de la microfinance sous-estiment l'importance de cette question. Pour ma part, je pense que le taux d'intérêt d'un microcrédit doit être soutenable. C'est-à-dire que l'on ne peut pas le fixer de façon uniforme à l'avance pour tout le monde. Il doit être en rapport, ainsi que le montant total du remboursement, avec la rentabilité de l'activité. Ce taux pourrait même être négatif dans le cas d'un microcrédit social, c'est-à-dire avec un montant total à rembourser moins élevé que l'emprunt, si l'on pense que cela va permettre à la personne de se remettre sur les rails. Enfin, l'accompagnement social est une nécessité dans de nombreux cas, même s'il faut laisser suffisamment de liberté à l'emprunteur. La question est de savoir s'il revient aux organismes prêteurs de mettre en oeuvre cet accompagnement ou à d'autres institutions. Car il n'est pas simple de maintenir la pression du remboursement du prêt tout en accompagnant la personne dans son projet et la résolution de ses difficultés. On peut d'ailleurs regretter qu'un certain nombre d'organismes, en France, ne mettent pas suffisamment l'accent sur cet accompagnement.

REPÈRES

Jean-Michel Servet est professeur en études du développement à l'Institut des hautes études internationales et du développement de Genève. Il collabore au Centre européen de recherche en microfinance (CERMi) ainsi qu'au conseil scientifique du programme microcrédit social de la Croix-Rouge française. Il a publié Banquiers aux pieds nus. La microfinance (Ed. Odile Jacob, 2006).

Notes

(1) Un rapport a été présenté au début de juin par deux députés UMP, à la demande de leur groupe, en vue de développer le microcrédit en France. Par ailleurs, un projet d'avis sur « Le microcrédit : une opportunité économique et sociale ? » devrait être présenté au courant de juillet par la section finances du Conseil économique, social et environnemental.

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