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Réforme de l'adoption : un projet dangereux

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Le projet de loi réformant l'adoption présenté en avril en conseil des ministres par Brice Hortefeux et Nadine Morano, ministre et secrétaire d'Etat chargés de la famille (1)non seulement est « dépourvu d'ambitions réelles du point de vue de l'intérêt supérieur des enfants », mais aussi risque d'entraîner de nouvelles souffrances pour les enfants concernés, leurs familles et les postulants à l'adoption, soutient Frédéric Jésu, vice-président de l'association DEI-France (2).

«Comme tant d'autres avant lui, l'actuel gouvernement souhaite imprimer sa marque sur l'institution de l'adoption. Cette agitation législative récurrente laisse toujours perplexe. S'agit-il de l'expression d'un sentiment accru de responsabilité à l'égard d'enfants (de moins en moins nombreux) devenus pupilles de l'Etat après avoir été confiés aux services de l'aide sociale à l'enfance (ASE) des conseils généraux ? S'agit-il d'un malaise à l'égard des personnes ou des couples (de plus en plus nombreux) agréés par les mêmes services pour pouvoir postuler à l'adoption, et dont l'effectif était de 29 000 au 31 décembre 2007 ?

L'exposé des motifs du projet de loi se cache à peine de chercher, au plan national, à ajuster l'«offre» d'enfants adoptables à l'aune de la «demande» des adultes mais aussi, pour mieux «rapprocher ces deux attentes», de mettre plus résolument à l'écart les familles d'origine de ces enfants. Ainsi le texte présente-t-il d'emblée l'adoption comme «la rencontre de deux histoires : celle d'un enfant déjà né, parfois déjà grand, qui n'a pas ou plus de famille susceptible de le prendre en charge, et celle de parents ou futurs parents qui souhaitent profondément accueillir pour toute leur vie un ou plusieurs enfants, en les entourant de toute l'affection nécessaire».

Mais que faire de la troisième «histoire», celle de la famille d'origine ? Dans le but explicite de favoriser «l'accélération de la résolution des situations de délaissement parental», le projet introduit deux articles :

l'article 1 aménage la procédure de déclaration judiciaire d'abandon en modifiant l'article 350 du code civil afin de permettre au parquet, s'il a connaissance d'une situation de désintérêt manifeste de l'enfant par ses parents, de saisir le tribunal de grande instance (TGI). Il s'agit «d'accélérer les procédures d'acquisition du statut protecteur de pupille de l'Etat» et, donc, l'élaboration éventuelle d'un projet d'adoption ;

l'article 2 modifie l'article L. 223-5 du code de l'action sociale et des familles afin que le rapport annuel, établi par le service de l'ASE pour chaque enfant accueilli ou bénéficiant d'une mesure éducative, examine la situation de l'enfant au regard des dispositions de l'article 350 du code civil. «Ainsi le service se prononcera-t-il au moins une fois par an sur l'éventualité d'une situation de désintérêt manifeste des parents.»

DEI-France tient tout d'abord à rappeler, sur le plan des principes et du droit, ce que dit de l'adoption la Convention des Nations unies relative aux droits de l'enfant, ratifiée par la France en 1990 :

l'adoption est une mesure, parmi d'autres, qui permet à un enfant privé de son milieu familial de trouver une protection de remplacement (art. 20) ;

l'intérêt supérieur de l'enfant est la considération primordiale pour autoriser l'adoption, et les autorités doivent s'être assurées que les parents ou les représentants légaux ont donné leur consentement éclairé (art. 21) ;

l'adoption, si elle peut être envisagée comme un droit pour certains enfants, doit être conjuguée au mieux avec les autres droits reconnus à tout enfant ;

l'un de ces droits, présenté comme fondamental par la convention, est celui de voir ses parents reconnus comme responsables de l'élever et d'assurer son développement et d'être aidés à cet effet par l'Etat (art. 7, 5 et 18) - et donc par extension, en France, par les différents services publics ou agréés compétents, notamment en matière d'aide sociale à l'enfance.

Préserver l'esprit de l'institution de l'adoption républicaine

DEI-France affirme qu'il importe de préserver et de renforcer l'esprit même de l'institution de l'adoption républicaine, à savoir la mobilisation et la sécurisation de la générosité de la société civile à l'égard d'enfants privés de parents quand tout a été tenté par les pouvoirs publics pour aider ceux-ci à assumer leurs responsabilités. C'est pourquoi nous estimons que, en l'état, le projet de loi est non seulement dépourvu d'ambitions réelles du point de vue de l'intérêt supérieur des enfants, mais aussi qu'il s'avère potentiellement dangereux, car vecteur de souffrances inutiles, pour les enfants concernés, pour leurs familles et pour les postulants à l'adoption. Il induit en outre de redoutables régressions quant aux représentations véhiculées sur les missions et les pratiques des services en contact avec les uns et les autres. Dans leur immense majorité, en effet, les 23 000 enfants confiés chaque année par la justice aux services départementaux de l'ASE sont loin d'être «délaissés», et donc loin d'être adoptables.

Il ne suffit pas qu'un enfant ait été déclaré adoptable pour qu'il puisse bénéficier d'un projet d'adoption ; il serait donc cruel d'entretenir l'ensemble de ces enfants dans cette illusion. En outre, les enfants, notamment les plus âgés et ceux qui sont déjà dotés d'une filiation, ne souhaitent pas nécessairement bénéficier d'une mesure d'adoption quand, par exemple, elle est génératrice de conflits de loyauté. L'expérience des familles adoptives enseigne enfin que l'abolition des liens juridiques et sociaux avec les parents d'origine occasionne souvent, notamment à l'adolescence, une série de difficultés douloureuses et complexes.

DEI-France milite en conséquence pour que, de façon générale mais aussi chaque fois que cela est possible et souhaitable, les pouvoirs publics prennent l'initiative de promouvoir l'adoption simple plutôt que systématiquement plénière. L'adoption simple sauvegarde en effet le passé de l'enfant - et, en partie, son avenir et ses capacités de transmission - sans le priver d'entrer dans une famille qui n'aura pas besoin de s'appuyer sur une filiation fictive pour assumer à son égard les principaux attributs de l'autorité parentale. Les candidats à l'adoption simple seront peut-être moins nombreux, mais chacun gagnera à engager, partager et prolonger une expérience affective d'emblée moins ambiguë.

Ne pas sur-interpréter les signes de désintérêt

Hors les cas où les parents ont exprimé le choix explicite et éclairé de remettre leurs enfants au service de l'ASE en vue d'adoption, la plupart des familles d'origine - parents et parentèle - qui sont confrontées à de grandes difficultés pour élever et assurer le développement de leurs enfants souhaitent généralement établir une relation de confiance avec ce service et avec l'ensemble de ceux qui contribuent, à leurs côtés, à leur bien-être et à leur protection.

Nous militons donc pour que la confiance de ces parents ne soit pas déçue ou trahie. L'exercice, déjà fragilisé par diverses circonstances, de leurs responsabilités parentales ne doit pâtir aux yeux de leurs enfants, des décideurs publics et de la société ni d'une sur-interprétation abusive des signes de délaissement, de distanciation ou de désintérêt que ces circonstances pourraient occasionner de leur part, ni des conséquences, liées à des dysfonctionnements institutionnels incitant à fournir de tels signes.

Les personnes ou les couples postulant à l'adoption nationale ne doivent pas être entretenus dans l'illusion que les pouvoirs publics et le législateur ont donné mandat aux services de l'ASE de rendre plus fréquemment et plus facilement adoptables les enfants accueillis ou bénéficiant d'une mesure éducative sous l'égide de ces services.

DEI-France demande que ces postulants soient informés de l'esprit et de la lettre de la loi du 5 mars 2007 relative à la protection de l'enfance qui valorisent les efforts menés pour préserver, maintenir et restaurer, dans la mesure du possible, les liens des enfants protégés avec leurs familles d'origine et qui, à défaut, privilégient les projets visant leur adoption éventuelle par leurs familles d'accueil si celles-ci en expriment le souhait.

La mission principale des services de l'ASE et de leurs partenaires n'est pas de mieux détecter et de mieux signaler, chaque année, les situations de délaissement et ou de désintérêt parentaux, mais bien au contraire d'agir précocement, résolument et régulièrement pour prévenir l'installation et le pérennisation de telles situations, et pour réunir avec les parents et les services compétents les conditions de leur résolution. A défaut de quoi, une représentation négative et archaïque de ces services gagnerait de nouveau l'opinion, et notamment celle des parents en difficulté : celle de services qui redoubleraient par leurs propres carences, voire maltraitances, celles qui ont été initialement attribuées aux parents, et qui échoueraient ou se refuseraient à établir avec ceux-ci les relations de confiance et de coopération généralement attendues par les enfants eux-mêmes.

DEI-France milite en conséquence pour que les services de l'ASE soient encouragés, non seulement à produire un rapport annuel de situation pour chaque enfant, comme le stipule la loi du 5 mars 2007, mais aussi à ce que ce rapport porte moins sur les signes de désintérêt manifeste des parents que sur les actions de soutien réellement mises en oeuvre auprès d'eux. Nous souhaitons que le projet de loi soit l'occasion de remanier la définition du «désintérêt parental» introduite dans le code civil par la loi du 22 décembre 1976. Nous proposons la reformulation suivante : «Sont considérés comme s'étant désintéressés de leur enfant les parents qui, malgré l'accompagnement prévu notamment par les dispositions des articles L 221-1 et suivants du code de l'action sociale et des familles et l'article 375 du présent code civil et celui fourni par les institutions compétentes, n'ont pas entretenu avec lui les relations nécessaires au maintien de liens affectifs.» Une telle formulation obligerait le parquet et le TGI à vérifier que cet accompagnement a bien été proposé et mis en oeuvre, et à s'assurer auprès des parents, de l'enfant et des services concernés qu'il ne l'a pas été de façon purement formelle.

Le droit se doit de protéger aussi bien les enfants contre les abus ou les carences éventuels des parents que les parents et les enfants contre les abus ou les carences éventuels des institutions. Cette garantie est un préalable indispensable à la conception et à la concrétisation, dans des conditions indiscutables pour tous, d'un projet d'adoption simple ou, à défaut, plénière. »

Contact : DEI-France - 41, rue de la République - 93200 Saint-Denis - www.dei-france.org.

Notes

(1) Voir ASH n° 2604 du 10-04-09, p. 10.

(2) Une position qui rejoint celle de l'association le Fil d'Ariane, voir ce numéro, p. 25.

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