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« L'école n'est pas un sanctuaire »

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Fouille des cartables, sécurisation des établissements scolaires... Après l'agression d'une enseignante, le chef de l'Etat a annoncé une série de mesures pour lutter contre les violences à l'école. Mais celles-ci augmentent-elles réellement ? De quelle nature sont-elles, et quelles en sont les causes ? Les réponses de la sociologue Cécile Carra, qui enquête dans les écoles des quartiers sensibles.

La question des violences en milieu scolaire revient à chaque nouveau fait divers. Mais est-elle en augmentation ?

On dispose à ce sujet de statistiques issues de divers pays occidentaux depuis la moitié des années 1990. C'est-à-dire à peu près lorsqu'on a commencé à parler du problème social de la violence à l'école. Or on s'aperçoit que cette violence n'augmente pas, y compris en France. Ce qui va à l'encontre des affirmations politiques et médiatiques actuelles. Cette observation se fonde sur des travaux scientifiques, en particulier sur les enquêtes de victimisation, bien plus fiables que les chiffres institutionnels, qui tendent à varier au gré des préoccupations politiques.

Si cette violence n'augmente pas, peut-être a-t-elle tendance à s'aggraver ?

Là aussi, on est très loin de ce qu'affirment certains responsables politiques. Pour l'essentiel, les violences à l'école sont de petits faits répétitifs, qu'il importe bien sûr de prendre en compte. Pour le collège, on a affaire à des violences verbales et, pour l'école élémentaire, à des bagarres de cour de récréation. En revanche, les agressions à l'encontre des enseignants, très rares, n'ont pas augmenté. Même si plusieurs cas ont été récemment médiatisés, ce n'est guère significatif statistiquement, au regard de la population scolaire et du nombre total d'incidents classés comme « violences scolaires ».

N'existe-t-il pas cependant un phénomène de sous-déclaration des violences scolaires ?

On observe en effet un sous-enregistrement des violences dans les statistiques institutionnelles, même s'il est difficile à évaluer. Mais il ne concerne pas les violences graves, qui sont, elles, très bien enregistrées. Ce qui apparaît assez mal, ce sont surtout les faits mineurs relevant de relations heurtées entre élèves ou entre élèves et enseignants.

Cette violence touche-t-elle de la même façon l'ensemble des établissements ?

Au contraire. On constate en France une concentration des problèmes dans les établissements situés dans les zones de relégation où s'accumulent les difficultés sociales et économiques. Il existe plusieurs explications à ce phénomène. La première, de loin la préférée des responsables politiques, consiste à dire que la violence vient de l'extérieur pour infiltrer l'école. Ce qui évite de mettre en cause les institutions et permet de renvoyer le problème vers les violences urbaines, la désorganisation sociale, le manque de repères éducatifs, la responsabilité des parents... Cela aide, bien sûr, à conforter une vision sécuritaire des choses. Une autre interprétation des causes de la violence scolaire renvoie à l'augmentation, dans certains lieux, des inégalités sociales et scolaires. On nous explique qu'à l'école chacun possède les mêmes chances de réussir, pour peu qu'il le veuille. Mais dans un contexte en fait inégalitaire, ceux qui ne réussissent pas en viennent parfois à développer un fort sentiment d'injustice, qui peut contribuer, chez certains, au passage à l'acte violent. La troisième grande explication, qui n'est jamais reprise dans le discours institutionnel, est que l'école elle-même, par son propre fonctionnement, peut favoriser la violence, notamment en raison de la sélection qu'elle opère et de ses pratiques parfois discriminatoires, voire ethnicisantes. Il existe ainsi, dans certains établissements, des mauvaises classes pour les mauvais élèves, où l'on concentre les jeunes d'origine surtout africaine. Mais ils ne sont pas dupes, et cela contribue à alimenter des processus de violence. Enfin, il existe, surtout dans les quartiers de relégation, un écart grandissant entre une population à mille lieux des normes scolaires et des enseignants qui, en raison de l'augmentation du niveau de la formation, sont de plus en plus issus des classes moyennes et supérieures. Certains comportements juvéniles, tolérés et tolérables lorsqu'il y avait une connivence culturelle entre élèves et enseignants, apparaissent aujourd'hui violents dans une société où le sentiment d'insécurité est prégnant.

Certains établissements s'en sortent apparemment mieux que d'autres, même dans des secteurs difficiles. Pour quelles raisons ?

J'ai beaucoup travaillé sur cette question, et je remarque qu'à établissements comparables sociologiquement, implantés dans les mêmes milieux, certains parviennent beaucoup mieux que d'autres à se préserver de la violence. Les explications sont à rechercher du côté de la cohésion de l'équipe pédagogique, lorsqu'elle vise à amener les élèves à progresser dans leurs apprentissages. Face à un incident reconnu mais pas nécessairement vu comme de la violence, l'équipe va mettre en oeuvre des actions pour essayer de surmonter le problème dans une logique pédagogique. L'élève est là pour apprendre, y compris à mieux se comporter, et on essaie de lui en procurer les moyens. A l'inverse, il existe une cohésion d'équipe qui vise à se protéger des élèves, dans une logique défensive et non plus pédagogique. Tout incident va alors être lu au travers du prisme de la violence. Ce qui explique, entre autres, l'explosion actuelle du nombre des conseils de discipline et des exclusions d'élèves.

Même si la violence scolaire n'augmente pas, elle semble pourtant nourrir un véritable mal-être chez les enseignants...

En tant que sociologue, je dirais plutôt que l'on observe une détérioration de la reconnaissance sociale du métier des enseignants. Et le fait qu'ils perçoivent de plus en plus certains incidents comme violents est également l'indicateur de l'effondrement de ce qu'était leur métier auparavant. Ils subissent sur le plan des résultats scolaires une pression qui s'accroît sans cesse. Non pas qu'elle soit illégitime, mais quand elle renvoie les mauvais résultats à leur seule responsabilité, cela pèse lourd, alors que le fonctionnement de l'institution scolaire contribue lui aussi à la production de résultats médiocres. Cette mise en cause des enseignants fait que certains se sentent maltraités institutionnellement et hiérarchiquement.

Les représentations de la violence scolaire, comme dans le film La journée de la jupe avec Isabelle Adjani, vous paraissent-elles exagérées ?

Je mène des recherches depuis une dizaine d'années dans les établissements dits sensibles, je les connais bien. Selon moi, ce type de représentation ne fait que contribuer à asseoir l'image d'un métier à risques, confronté en permanence à la violence des élèves. On est loin de la réalité ordinaire des établissements qui est, je le répète, surtout faite de micro-violences usantes à force de répétition. C'est l'indifférence des élèves à la matière enseignée, le bruit qu'ils font entre eux en classe... Ce chahut anomique n'est pas dirigé contre l'enseignant, mais il devient gênant et est vécu comme une vraie violence par certains enseignants. Il est évidemment important de traiter ces micro-violences, mais pas comme on le fait actuellement, par exemple en envoyant la police dans les établissements, ce qui ne règle rien du tout. Les problèmes qui se posent au sein de la classe relèvent, dans la très grande majorité des cas, de réponses pédagogiques. Et pas seulement en matière de socialisation, car il ne faut pas oublier la dimension essentielle des apprentissages. Le sens de l'école réside dans la transmission des savoirs. A partir du moment où elle ne fait plus que socialiser les élèves, elle perd de son sens, et la culture du quartier y pénètre d'autant plus facilement qu'elle devient un simple lieu d'accueil pour jeunes adolescents. Il n'y a plus de clôture symbolique.

Justement, plutôt que de barricader physiquement les établissements, ne faudrait-il pas les ouvrir davantage à leur environnement ?

Les recherches sur les effets de l'ouverture des écoles à leur environnement ont effectivement montré que cela permettait des relations plus faciles entre les parents, les jeunes et l'école. C'est une option qui a d'ailleurs été défendue par le ministère de l'Education nationale dans les années 1980, quand on a créé les zones d'éducation prioritaire. Les établissements étaient alors incités à travailler avec des partenaires extérieurs dans le cadre de la politique de la ville. On en est revenu aujourd'hui très fortement, puisqu'on veut refaire de l'école un sanctuaire, ce qu'elle n'a pourtant jamais été. De la même façon, autoriser la fouille des élèves relève de la pure annonce politique. Les analyses des rapports d'incidents ayant débouché sur l'agression physique d'un enseignant par un élève montrent bien que c'est lorsque l'enseignant renchérit sur le comportement de l'élève, par exemple en vidant son cartable, que les choses risquent de déraper. Quant aux contrôles à l'entrée des établissements, les récents débats ont bien montré l'impossibilité d'appliquer une telle mesure.

REPÈRES

Cécile Carra est sociologue. Elle enseigne à l'IUFM Nord - Pas-de-Calais, mène une activité de recherche au Centre d'études sociologiques sur le droit et les institutions pénales (Cesdip) et dirige à l'université d'Artois l'équipe de Recherches en éducation, compétences, interactions, formations, éthique, savoirs (Récifes). Elle va publier en septembre Violences à l'école élémentaire : l'expérience des élèves et des enseignants (Ed. PUF). Elle a codirigé « Ecole et violences », n° 923 des Problèmes politiques et sociaux (La Documentation française, 2006).

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