Compte tenu de la création du revenu supplémentaire temporaire d'activité (RSTA) (voir ce numéro, page 8), à quelle date faut-il mettre en oeuvre le revenu de solidarité active (RSA) en outre-mer ? Faut-il adapter à ces territoires la « pente », le « point de sortie » ou le champ du RSA ? Faut-il une prestation spécifique pour les jeunes de moins de 25 ans ? En complément du RSA, une mesure d'intéressement spécifique aux départements d'outre-mer (DOM) ? Des outils spécifiques d'insertion ou d'accompagnement ? Quel contrat unique d'insertion (CUI) pour l'outre-mer ? Faut-il, au-delà, supprimer le revenu de solidarité (RSO) et l'allocation de retour à l'activité (ARA) ?... Autant de questions abordées par le député (apparenté UMP) de la Réunion, René-Paul Victoria, à qui le Premier ministre avait confié, en octobre dernier, une mission consistant à faire des propositions de mise en oeuvre du RSA et du CUI adaptées au contexte social et économique des DOM, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin, tout en permettant d'unifier les dispositifs existants. L'élu lui a remis son rapport le 26 mai (1). Certaines de ses propositions peuvent être mises en oeuvre immédiatement tandis que d'autres sont applicables dans l'hypothèse d'une application rapide du RSA.
Comme prévu, le député examine l'opportunité et les conséquences d'une adaptation du RSA et du CUI dans les territoires ultramarins. Et identifie leurs conditions de mise en oeuvre compte tenu des spécificités socio-économiques qui ont conduit, par le passé, à la création de dispositifs particuliers en matière de minima sociaux (RSO), d'intéressement à la reprise d'activité (ARA), de contrats aidés (contrat d'accompagnement dans l'emploi des départements d'outre-mer - CAE-DOM et contrat d'insertion par l'activité - CIA), ainsi qu'à l'instauration des agences départementales d'insertion. Il tient compte du fait que, depuis l'adoption de la loi du 1er décembre 2008 généralisant le RSA (2), le cadre d'analyse a été fondamentalement modifié par l'entrée en vigueur du RSTA, créé en anticipation du RSA, en réponse à la crise sociale antillaise du début de l'année.
Attribuée à compter du 1er mars 2009, cette nouvelle prestation prendra fin, selon les termes du décret l'instituant, « à compter de l'application dans les DOM et collectivités territoriales concernées du RSA » - prévue « au plus tard le 1er janvier 2011 » (3). Deux options sont dès lors envisageables pour le passage de l'une à l'autre prestation : soit une mise en oeuvre à brève échéance du RSA par simple substitution au RSTA, soit une évaluation préalable approfondie de ce dernier « afin de déterminer le profil de prestation le plus adapté à la situation ultramarine et aux enjeux des politiques d'insertion dans ces territoires ». Cette seconde option est jugée plus opportune par René-Paul Victoria, qui recommande ainsi de mettre en place un dispositif d'évaluation du RSTA afin de faire le bilan de cette mesure d'ici à la mi-2010, et avant toute extension du RSA en outre-mer. Passage au RSA, maintien du RSTA ou mise en oeuvre d'une prestation combinant des caractéristiques du RSTA et du RSA, la question est loin d'être tranchée, ce qu'a confirmé François Fillon lors de la remise du rapport « Victoria ».
Du reste, le député de la Réunion formule un certain nombre de propositions pour le cas où l'option d'une évaluation ne serait pas retenue par le gouvernement et où une mise en oeuvre précoce du RSA lui paraîtrait préférable. Dans cette hypothèse, l'élu préconise, par exemple, d'adopter en outre-mer les mêmes paramètres d'allocation du RSA qu'en métropole. Et donc, d'appliquer en outre-mer le même taux de cumul (4) et le même barème que pour le RSA métropolitain.
Mais, pour le parlementaire, il importe de faire un effort particulier en direction des moins de 25 ans : il suggère, concrètement, d'ouvrir outre-mer le bénéfice du RSA « chapeau » - complément de revenu pour les « travailleurs pauvres » - aux jeunes de 22 à 25 ans - alors que, en métropole, le RSA n'est ouvert qu'à partir de 25 ans, sauf pour les chargés de famille.
Par ailleurs, il lui semble opportun de prévoir une prime d'intéressement spécifique pour les personnes prenant une activité à temps plein.
Il recommande, en outre, de conserver le monopole de la caisse d'allocations familiales en matière d'instruction des demandes de RSA. Et de confier soit à cette dernière, soit à une plate-forme partenariale la pré-orientation des bénéficiaires du RSA engagés dans une démarche d'insertion.
Au-delà, compte tenu des caractéristiques particulières de l'allocation de parent isolé (API) dans les DOM (5), il plaide pour la création d'un fonds d'accompagnement du RSA spécifique aux DOM, financé à partir des crédits du fonds de mobilisation départementale pour l'insertion et de moyens supplémentaires, et destiné à doter ces collectivités de moyens suffisants pour assurer la prise en charge de l'extension de compétence prévue par la loi du 1er décembre 2008.
Mais d'autres propositions du rapport « Victoria » peuvent être mises en oeuvre sans délai. Comme supprimer l'ARA (6), sauf pour ses actuels bénéficiaires. Et maintenir les dispositifs actuels d'intéressement à la reprise d'activité (7) pour la durée d'application du RSTA.
L'élu ultramarin préconise aussi de maintenir le RSO (8) mais d'en décaler, par paliers, l'âge d'entrée à 55 ans pour les nouveaux entrants, à l'instar de ce qui s'est fait pour l'allocation de solidarité spécifique. En clair, de le conserver pour les seuls allocataires du RMI ou du RSA « socle » âgés de plus de 55 ans.
Pour René-Paul Victoria, il faut par ailleurs donner aux conseils généraux la possibilité d'intégrer les agences départementales d'insertion à la collectivité départementale, ou s'ils le souhaitent, de les conserver. Et examiner, sous la responsabilité du conseil général, la question du repositionnement des agents.
Il préconise, en outre, de supprimer les contrats spécifiques aux DOM (CIA et CAE-DOM) et de les intégrer dans le contrat unique d'insertion, lequel, selon lui, doit être mis en oeuvre dès le 1er janvier 2010. Il propose de confier à Pôle emploi la prescription des futurs CUI.
Pour l'élu, il importe de « ne pas exclure une clé de financement spécifique aux DOM pour le CUI marchand et non marchand, en introduisant une participation supérieure à 12 % de l'Etat pour le secteur non marchand (CAE) et une participation obligatoire de l'Etat pour le secteur marchand (CIE) ». En clair, le passage au CUI ne doit se traduire ni par un désengagement de l'Etat - qui actuellement finance largement le CIA et intégralement le CAE-DOM même lorsque ce dernier bénéficie à des allocataires du revenu minimum d'insertion -, ni par une réduction du nombre de contrats. Selon René-Paul Victoria, il faut par ailleurs verser les aides attachées à l'embauche en CUI non marchand en début de mois et non à terme échu afin de pallier les difficultés de trésorerie des collectivités locales et des associations ultra-marines. Et prévoir, pour le CUI marchand, la possibilité de cumuler les exonérations générales de cotisations sociales et l'aide du CUI, afin de maintenir l'avantage spécifique dont disposaient les employeurs dans le cadre du CAE-DOM. L'élu ultramarin suggère également de créer une part réservée aux DOM au sein de l'enveloppe des crédits afférents aux contrats aidés, afin d'en « sanctuariser » le financement.
Enfin, il préconise d'instituer une allocation logement jeune travailleur, sous forme d'une réduction du reste à charge locatif, pour faciliter le logement des jeunes prenant un emploi.
(1) Disponible sur
(3) La date d'entrée en vigueur du contrat unique d'insertion en outre-mer est également fixée au plus tard le 1er janvier 2011, mais le gouvernement s'est engagé à ce que cette mise en oeuvre se fasse concomitamment en métropole et en outre-mer au 1er janvier 2010.
(4) Rappelons que, en métropole, le taux de cumul entre RSA et revenus d'activité, c'est-à-dire la fraction du revenu d'activité non déduite du montant du revenu de solidarité, est fixé à 62 %. Cela signifie que tout euro supplémentaire de revenu d'activité entraîne une diminution de 0,38 € du montant versé au titre du RSA.
(5) Outre-mer, la compensation financière de l'extension de la compétence des départements au titre du RSA « socle majoré » se pose dans des termes particuliers, est-il expliqué dans le rapport. En premier lieu, parce que le nombre de bénéficiaires de l'API dans les DOM évolue de manière plus dynamique qu'en métropole, en raison de comportements démographiques différents. En second lieu, parce que, même si elle n'est pas homogène, la situation budgétaire des DOM est structurellement fragile, du fait notamment du poids des dépenses de personnel et d'aide sociale. Ainsi, la capacité d'autofinancement nette des DOM est faible, située autour de 5 ou 8 % en 2007, voire négative en Martinique, contre environ 10 à 13 % en métropole pour les départements de la même strate, le taux d'épargne des conseils généraux ultramarins étant de 6 %, contre 11 % en métropole. Dans ce contexte, insiste René-Paul Victoria, « il importe de veiller à la soutenabilité de l'exercice par les départements de leur compétence au titre du RSA » .
(6) Elle est accordée aux titulaires de certains minima sociaux dans les DOM - RMI, allocation de solidarité spécifique, allocation veuvage ou API - qui s'engagent à exercer une activité professionnelle déclarée.
(7) Sur l'intéressement à la reprise d'activité des bénéficiaires du RMI et de l'API, voir ASH n° 2511 du 8-06-07, p. 21 et n° 2512 du 15-06-07, p. 13. Sur l'intéressement à la reprise d'activité des bénéficiaires de l'ASS, voir ASH n° 2503 du 13-04-07, p. 17.
(8) Il est accordé aux allocataires du RMI (ou de la prime forfaitaire d'intéressement) depuis plus de deux ans, âgés d'au moins 50 ans et qui s'engagent à quitter définitivement le marché du travail et de l'insertion.