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A l'heure de la crise

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L'actuelle crise économique et sociale affecte déjà sévèrement des régions fragilisées par la désindustrialisation. Comme en Lorraine, dans la zone frontalière qui sépare Metz du Luxembourg. Enquête au sein des services sociaux et des associations qui gèrent tant bien que mal des situations humaines de plus en plus dramatiques.

La mairie de Hayange est un bâtiment datant des années 1950, d'allure massive et parallélépipédique. A quelques centaines de mètres se profilent les hauts-fourneaux du sidérurgiste ArcelorMittal, temporairement mis à l'arrêt pour cause de crise économique. Sur l'avant, la place de la Résistance et de la Déportation, où se tient le marché deux fois par semaine. Depuis quelques temps, Sophie Scheed, l'assistante sociale du centre communal d'action sociale (CCAS) installé au rez-de-chaussée de la mairie, remarque que de plus en plus de gens se pressent devant les étals de fruits et légumes en fin de matinée, pour profiter de prix sacrifiés. Tandis que d'autres, en nombre également croissant, fouillent les poubelles : « Avant, c'était marginal, ça ne concernait que des SDF ou des demandeurs d'asile », constate-t-elle.

L'explosion des demandes d'aides

Partout autour de Thionville et dans le nord de la Moselle, les services sociaux dressent l'inquiétant constat d'une hausse du nombre des usagers en difficulté. A Florange (11 000 habitants), à quelques kilomètres au sud de Hayange dans la vallée sidérurgique de la Fensch, le nombre de demandeurs d'emploi est passé de 402 à 625 en neuf mois. Parallèlement, la distribution par le CCAS de bons pour l'épicerie alimentaire a augmenté de 60 % entre 2007 et 2008. En novembre 2008, l'assistant social et les deux CESF du CCAS ont formulé 19 demandes de secours auprès d'organismes caritatifs ; puis 31 en décembre et 41 en janvier 2009. Au CCAS de Hayange, le phénomène est également palpable. « On a eu d'autres périodes particulièrement difficiles pour le public, mais pas à ce point-là, relève Sophie Scheed, en poste depuis 1995. On l'a particulièrement vu cet hiver, avec les permanences d'aide au paiement des factures de chauffage. Ça ne désemplissait pas, on ne voyait plus le jour ! » Isabelle Weber, adjointe au maire et vice-présidente du CCAS, constate de son côté « un afflux de demandes en logement social, parce que les gens ne peuvent plus rester dans le parc privé ». Dans le même temps, à l'accueil périscolaire, des enfants ne viennent plus, puisque les parents ont été mis au chômage. Même tendance au CCAS de Thionville (41 000 habitants) où, à la fin avril, ont été traitées à peu près le même nombre de demandes d'aides pour le fonds de solidarité logement qu'au cours de toute l'année précédente. « On constate une hausse importante des personnes en situation de surendettement. Elles viennent pour une aide alimentaire, qui masque en réalité des problèmes graves de factures ou de crédits impayés », détaille Annie Goussot-Ferron, conseillère en économie sociale et familiale.

Le bilan est également morose au centre médico-social de Hayange, qui dépend du conseil général de la Moselle. « Pour le fonds de solidarité logement, on est à 30 % de ce qu'on avait obtenu sur toute l'année dernière, rien que pour les trois premiers mois de 2009. Pour les secours d'urgence, on en est déjà à 40 %. Et pour le secteur caritatif, on atteint 50 % de ce qu'on avait obtenu pour le public », énonce Huguette Lejeune, responsable de l'unité territoriale d'action sociale et d'insertion, dont le service compte 17 assistantes sociales. Actifs à petits salaires et allocataires des minima sociaux, depuis longtemps en situation délicate, n'arrivent plus désormais à faire face aux dépenses de logement, d'alimentation et de fourniture d'énergie, de médicaments non remboursés. « Les gens sont dans un état de plus en plus dégradé : aller chez le coiffeur, ça coûte cher, se faire soigner les dents, ça coûte cher... », constate Sophie Scheed. Le problème concerne aussi les retraités qui ne touchent qu'une petite pension, ou encore les veuves dont la pension de réversion se révèle insuffisante, si elles sont locataires de leur logement notamment. « Il y a deux ou trois personnes que je vois fouiller dans les poubelles qui sont au minimum vieillesse », affirme Sophie Scheed.

Les associations en alerte

Très actives dans le nord de la Moselle, les associations affichent elles aussi une hausse de leurs activités. Comme à l'Association d'information et d'entraide mosellane (AIEM), au coeur d'une cité HLM de Fameck (12 400 habitants), où l'on tire le signal d'alarme. « La crise provoque un afflux de personnes dans tous nos services », indique Michel Tournier, directeur du secteur des vallées de la Fensch et de l'Orne. Les deux animateurs de l'atelier permanent de recherche d'emploi reçoivent actuellement de 70 à 80 personnes par jour, contre une quarantaine en temps normal. A Hagondange, en 2007, la délégation locale de la Croix-Rouge française avait apporté un secours alimentaire à 300 familles. « Or, cette année, nous sommes sur une base de plus de 500 familles », explique Jean-Claude Collin, le président de la délégation. Ce retraité du secteur bancaire voit également affluer les demandes d'aides financières formulées par des travailleurs sociaux et accompagnées d'un « dossier circonstancié » expliquant les difficultés de l'usager. L'an passé, 3 852 € avaient été accordés dans ce cadre. Aux Restos du coeur, les demandes sont également en hausse. « De manière générale, on ne peut pas dire que notre activité soit en baisse. Elle augmente tous les ans. Mais quand même pas autant que cette année. Je n'ai jamais vu une hausse aussi marquée », s'alarme Jean-Paul Dieudonné, chargé du suivi des 20 centres de distribution de Moselle-Ouest. L'analyse est partagée par René Oury, le responsable départemental de l'association, qui égrène les chiffres : « Sur l'ensemble du département, on relève 20 % de hausse en moyenne entre la campagne 2008 et celle de 2009. Cela a été surtout sensible au cours des trois premiers mois de l'année, où l'on a vu arriver des gens qui venaient de perdre leur emploi. Dans le nord de la Moselle, on atteint 29 % d'augmentation pour les centres de Fameck et de Mondelange, 21 % à Thionville, 18 % à Uckange... »

Quand la « bidouille » ne suffit plus

Qui sont les usagers touchés ? « Ce n'est pas très facile à évaluer, il n'y a aucun profil qui sort du lot, répond Geneviève Avoundogba, directrice du CCAS de Florange et CESF de formation. Ce que l'on sait, avec la crise économique, c'est que cela nous amène beaucoup d'intérimaires. Mais il n'y a pas que la perte d'emploi. On a l'impression que la crise économique, dont on parle partout dans les médias, a réveillé les consciences des gens qui étaient dans des situations très difficiles et se sont décidés à pousser notre porte. Des gens qui ont bidouillé pour s'en sortir pendant quelques années et qui, maintenant, n'y arrivent plus. Est-ce l'aspect psychologique qui leur fait franchir le pas, ou la dernière tuile qui leur tombe dessus ? » « Ce sont souvent des situations qui étaient à la limite depuis pas mal de temps, reprend Benjamin Rasquin, assistant social au CCAS. Les secousses de la crise ont fait basculer un certain nombre de personnes endettées dans la spirale du surendettement. »

Au sein de services sociaux, on commence aussi à voir arriver des salariés frappés par des mesures de chômage partiel, liées au ralentissement de l'activité de leur entreprise. « Les gens vivent à flux tendu avec des petits salaires, mais au moindre pépin ils se retrouvent en grande difficulté parce qu'ils n'ont aucun matelas, aucun filet, pas d'épargne », analyse Annie Goussot-Ferron, CESF à Thionville. Elle cite le cas d'une famille reçue récemment à la demande d'une assistante sociale de secteur en vue d'aides alimentaire et à la gestion de budget. Le père est chauffeur routier, la mère ne travaille pas, ils élèvent trois enfants. De décembre 2008 à février 2009, le salaire du père a baissé de 1 450 € à 1 100 € mensuels pour cause de chômage partiel. Dans le même temps, les charges sont restées stables : 1 000 € par mois. La famille a basculé dans le rouge.

De nouveaux usagers dans la spirale

Dans le secteur caritatif, on est frappé par le nombre de femmes seules avec enfants en quête d'un secours alimentaire ou financier. « Depuis des années, on en voit de plus en plus. Elles sont complètement démunies. Quand les gens viennent chercher leur colis alimentaire, il n'y a pratiquement pas d'hommes. Les familles monoparentales représentent 70 % des bénéficiaires », estime Jean-Paul Dieudonné. « Les femmes seules sont dans des situations inextricables », confirme François Mosser, du Secours catholique de Hayange. Autre public de plus en plus en difficulté, les jeunes de moins de 25 ans, qui n'ont pas droit au RMI et sont parfois en situation de rupture familiale.

Mais les premiers touchés par la crise économique sont les intérimaires qui effectuaient des missions en France et au Luxembourg. Ces personnes qui bénéficiaient d'un niveau de vie jusqu'alors correct ne faisaient généralement pas appel aux services sociaux. « Ils possèdent une voiture, peuvent partir en vacances, faire des crédits. Et, d'un seul coup, ils se retrouvent sans ressources, c'est la panique », remarque Huguette Lejeune, du centre médico-social de Hayange. Résultat : les travailleurs transfrontaliers affluent en masse dans les services sociaux. « Cette crise au Luxembourg a des effets majeurs sur les habitants des quartiers sensibles, dont c'est souvent la zone de travail, constate Michel Tournier, directeur de l'AIEM Fensch-Orne. Ils ont des postes à l'aéroport, dans le nettoyage industriel, la maintenance, souvent avec des missions longues. Des gens que l'on ne voyait plus depuis longtemps, qui s'étaient complètement stabilisés, reviennent en ce moment vers nous parce qu'ils ont perdu leur emploi. » Une rupture d'autant plus brutale qu'il s'agit souvent de gens qui disposaient d'un certain train de vie, les salaires pour les intérimaires pouvant aller du simple au double entre la France et le Luxembourg, avec des prestations familiales bien plus intéressantes. Certains étaient même devenus propriétaires. Comme cette famille où le père touche 1 300 € par mois d'indemnités Assedic, avec un remboursement de 1 200 € par mois à la suite d'une accession à la propriété, et qui va devoir vendre son logement.

A Florange, l'assistant social Benjamin Rasquin raconte qu'il a « ouvert des dossiers RMI et envoyé à l'épicerie sociale pour la quatrième fois cette année des gens qui travaillaient dans la banque au Luxembourg ». « Le problème, c'est que certains attendent que la banque les harcèle pour venir nous voir. Quand il y a déjà des loyers impayés et des interdits bancaires, cela devient très dur pour nous de rétablir les situations », poursuit Véronique Pimentel, directrice du CCAS de Hayange. Ces nouveaux usagers éprouvent aussi de la gêne pour faire appel aux associations caritatives. « On constate qu'ils ne sont pas habitués à ça. Ils disent que ça leur fait bizarre de venir nous voir, ils ressentent le besoin de nous expliquer pourquoi ils sont là même si on ne leur pose pas de questions, ils pleurent parfois et nous remercient mille fois quand on leur donne un colis », raconte Karine Croiseaux, responsable du secteur alimentaire à la Croix-Rouge d'Hagondange. Et à la perte d'emploi s'ajoutent souvent des tracasseries administratives qui mettent les gens dans l'impasse. On compte ainsi souvent trois à quatre mois de délai entre un licenciement au Luxembourg et l'obtention par l'ancien salarié du formulaire européen qui lui permet de s'inscrire aux Assedic en France.

L'équilibre des familles menacé

L'impact de la crise n'est bien évidemment pas qu'économique. L'équilibre même des familles commence à s'en ressentir. « Les conséquences vont être percutantes dans les secteurs où la situation était déjà dégradée, s'alarme Rose-May Nold, assistante sociale de formation et responsable de l'unité territoriale d'action sociale et d'insertion de Rombas. Les parents sont en perte de repères sur l'éducation des enfants, ils n'arrivent pas à poser les règles qui doivent les structurer, même au niveau du sommeil, de l'alimentation. C'est souvent lié à des problèmes budgétaires. » Autres signes que la situation se dégrade : une hausse des violences conjugales favorisée par l'absence d'emploi et la réapparition à certains endroits de la consommation et du trafic de stupéfiants, jusque sous les fenêtres des centres médico-sociaux. L'augmentation des problèmes de santé et de souffrance psychique sont également autant d'indices que la situation se dégrade. « Pour les populations d'ici, il existe une vraie fragilité psychologique. Ce ne sont pas des névroses, des pathologies, mais des problématiques liées à des angoisses par rapport à l'avenir qui se traduisent souvent par des difficultés à dormir », indique une assistante sociale dans un service médical du nord de la Moselle. « On est sur du mal-être depuis des années, et aujourd'hui l'espoir n'existe plus. Certains sont tellement affectés moralement qu'ils baissent totalement les bras dans leurs recherches d'emploi », se désole pour sa part Huguette Lejeune.

L'impact sur le milieu scolaire

Au sein du service social scolaire, on se montre également inquiet pour l'avenir, d'autant que la situation n'était déjà pas formidable pour de nombreux enfants. Et même s'il est encore trop tôt pour que la crise produise ses pleins effets, les signes avant-coureurs sont déjà là : hausse des demandes de bourses et des demandes d'aides auprès des fonds sociaux des établissements scolaires. « On constate aussi des difficultés à mobiliser certains élèves dans leur formation et leur parcours professionnel, dans un contexte où ils savent qu'il n'y a pas beaucoup d'emplois disponibles. Les phénomènes de décrochage et de démotivation, qui existaient depuis déjà plusieurs années, ne vont pas s'améliorer avec la crise économique. Il est vrai que lorsque les parents sont soucieux pour leur emploi ou pour les fins de mois, cela a souvent des conséquences sur le suivi de la scolarité des enfants. Et cela ne va pas aller en s'arrangeant », redoute Laurence Madonna, conseillère technique de service social au rectorat de Nancy-Metz, qui intervient elle-même auprès des familles dans les établissements tout en coordonnant les 14 assistantes de service social du bassin de Thionville. Cette situation aura-t-elle, au bout du compte, des répercussions en matière de protection de l'enfance ? « C'est difficile à dire mais il est vrai que la tendance est déjà, depuis quelques années, à une augmentation du nombre des signalements », répond l'assistante sociale.

Confrontés à la crise et à l'afflux des demandes d'aides, les professionnels de l'intervention sociale et les militants associatifs ne baissent pourtant pas les bras. Les travailleurs sociaux mènent ainsi un travail important d'information sur les droits auprès des usagers. « On prend le temps d'écouter des personnes qui sont parfois en larmes, on essaie de leur apprendre à baisser leurs charges ou à les étaler avec la mensualisation, et on combine toutes les aides possibles pour permettre de faire la jonction, confirme Rose-May Nold. Au niveau du conseil général, on peut ainsi obtenir en quarante-huit heures un chèque pour le dépannage alimentaire, avec un barème de 4 € par jour et par personne sur une semaine, qui peut être complété par une aide pour vivre sur un mois. »

Malgré tout, les moyens manquent, même si les municipalités tentent de parer au plus urgent. Celle de Hayange, entre autres, adapte ses dépenses et tous les budgets ont été réduits, mis à part celui du centre communal d'action sociale. « En ce moment, nous sommes vraiment dans l'urgence et faisons beaucoup de bricolage, souligne Geneviève Avoundogba, du CCAS de Florange. Nous sommes obligés d'effectuer des montages financiers avec tout ce qui peut tenir la route. On donne aux gens des bons pour l'épicerie alimentaire, on sollicite des aides exceptionnelles des services sociaux des caisses de retraite, du fonds de solidarité logement du conseil général, on fait des demandes écrites aux caritatifs. Fondation Abbé Pierre, Noël de joie, Secours populaire, Petits frères des pauvres... On prend tout l'attirail. » Le secteur de l'insertion est lui aussi en difficulté. « Sur notre chantier d'insertion, 11 postes se sont libérés, glisse la directrice du CCAS de Florange. Au final, 90 personnes se sont déplacées pour tenter d'obtenir un contrat aidé à mi-temps de six mois... » Et les débouchés manquent. « Avec la crise, nous assistons à la perte de tout notre capital travail. Les offres d'emploi fondent », déplore encore Rose-May Nold. « Dans les ateliers permanents de recherche d'emploi, le conseil par les animateurs devient impossible, parce qu'il n'y a pas d'offres ! On essaie de suppléer à l'absence d'offres locales en affichant des postes en Alsace et dans les Vosges... », confirme-t-on à l'AIEM de Fameck.

La carence des aides alimentaires

En bout de chaîne, les associations caritatives voient défiler les bénéficiaires munis d'un mot rédigé par un travailleur social. Pour la saison 2009 des Restos du coeur en Moselle-Ouest, « 5 500 colis de dépannage ont déjà été distribués ». Ils contiennent des paquets de pâtes, des légumes, « de quoi tenir huit ou dix jours en attendant le versement des allocations ». « En ce qui concerne la main-d'oeuvre, on a pu faire appel à de nouveaux bénévoles. En revanche, pour les produits alimentaires, on a été limite. Il a fallu que Paris débloque une enveloppe supplémentaire pour faire face », précise Jean-Paul Dieudonné. « En avril, en une semaine, explique Jean-Claude Collin, de la Croix-Rouge, j'ai reçu des demandes pour un montant total de 1 000 €. La semaine suivante, c'était 700 €. C'est énorme ! Je suis obligé d'en refuser deux sur trois, car mon budget n'est pas un puits sans fond. A l'automne dernier, j'avais déjà dû faire un courrier aux assistantes sociales, pour leur expliquer que, financièrement, on ne pouvait plus suivre... » Au Secours catholique de Hayange, les bénévoles, « qui ne sont pas dans l'opulence », donnent des conseils sur la gestion d'un budget familial et distribuent lors des après-midi de permanence des chèques alimentaires de 15 € à 50 € . Pour les montants plus importants, il faut adresser une demande écrite au siège de la délégation départementale, à Metz. C'est ce qu'a fait, dans le courant du mois de mars, une assistante sociale qui réclamait 60 € d'aide alimentaire pour un usager : « M. X est en instance de divorce et vit seul. Il était salarié, embauché en CDI comme chauffeur routier. Il a été licencié pour motif économique le 31 décembre 2008. Son dossier de demande d'indemnisation, déposé début février, est toujours en cours. Actuellement, M. X est sans ressources. Il n'a pas pu faire face au remboursement de ses prêts et au paiement de ses charges pour le mois de février. Il a pu subvenir à ses besoins alimentaires grâce à la solidarité de ses amis jusqu'à présent... »

Des usagers à cran, parfois agressifs

Certaines associations n'arrivent cependant plus à faire face. A Terville, près de Thionville, SOS Biberons a mis la clé sous la porte au début du mois de mai, après vingt ans d'activité. L'association distribuait des petits pots, du lait maternisé et du matériel de puériculture à des familles suivies par les assistantes sociales du secteur ou par la PMI. « Mais quand vous recevez 25 personnes en un après-midi, vous ne les recevez pas dans de bonnes conditions. Il faut prendre le temps de parler. On ne peut pas donner une boîte de lait, un paquet de couches et dire au revoir, justifie Francine Court, la présidente. Pour que l'association fonctionne, il aurait fallu cinq ou six salariés. On n'en avait que deux. On n'avait pas les moyens de grandir, et plus les moyens de travailler dans de bonnes conditions. »

Ce climat lourd génère parfois des comportements agressifs de la part de certains usagers. Beaucoup de travailleurs sociaux font ainsi état d'une tension croissante dans leurs rapports avec le public. Les caritatifs aussi. « On a remarqué cette année que les bénéficiaires étaient très tendus, à cran, déclare Jean-Paul Dieudonné. Quand on refuse des gens parce qu'ils n'ont pas les bons papiers, il y a parfois des empoignades verbales avec les bénévoles, qui se plaignent en disant qu'ils sont là pour donner un coup de main, pas pour se faire agresser. » Dans l'un des centres médico-sociaux que supervise, Rose-May Nold, responsable de l'unité d'action sociale de Rombas, les professionnels ont été agressés verbalement et parfois menacés de mort. Un soutien psychologique a été mis en place. Ailleurs, on réfléchit à des moyens d'alerte en cas de dérapage, telles des « alarmes silencieuses ». A l'entrée du CCAS de Florange, un sas a été installé cette année, à cause de quelques petits soucis avec des gens énervés. « Les secrétaires sont très attentives, très en retrait dans leur façon de s'exprimer, parce que les gens montent très vite, décrit Huguette Lejeune. Lorsqu'on se rend à domicile, on essaie d'y aller à deux. Et si une personne exige une aide alors qu'elle n'est pas dans les critères, on remplit quand même la demande pour faire baisser la tension, et c'est la commission départementale qui leur notifie un refus par écrit. »

A cela s'ajoutent les carences du système d'accompagnement des chômeurs. « Pôle emploi dysfonctionne complètement, les intérimaires renvoyés mettent des semaines pour obtenir un formulaire du Luxembourg, les gens sont de plus en plus souvent confrontés à des serveurs téléphoniques automatisés dans leurs rapports avec les administrations, ils ne s'en sortent pas. Nous sommes des travailleurs sociaux de première ligne. Et quand ça s'engorge dans nos ateliers de recherche d'emploi, parfois, ça explose », explique Michel Tournier, de l'AIEM.

Le climat apparaît d'autant plus sombre que tous les intervenants du secteur, sans exception, expriment le sentiment de n'être confrontés qu'aux toutes premières conséquences sociales de la crise. « La crise, on n'en a pas vu le fond », résume l'un d'eux. Beaucoup parmi les licenciés des derniers mois perçoivent les indemnités de chômage. Certains ont obtenu des primes extralégales de licenciement, ou bien se battent encore pour les décrocher lorsque le plan social n'est pas bouclé. D'autres ont eux-mêmes entrepris des démarches dans l'intention de renégocier leurs crédits, de vendre leurs logements, ou d'alléger leurs charges. A leur tour, ils « bidouillent ». Les solidarités familiales jouent également pour parer aux situations les plus délicates. Mais si le marché de l'emploi ne se redresse pas rapidement, ces victimes de la crise se retrouveront dans quelques mois elles aussi en grande difficulté et basculeront vers le dispositif RSA. Une hypothèse sérieusement envisagée et redoutée dans le nord de la Moselle. « L'année prochaine, j'ai bien peur que l'activité des Restos ne parte à nouveau en flèche », prédit Jean-Paul Dieudonné. « On n'est pas au bout de nos peines. Et je crains que les travailleurs sociaux se retrouvent vite en difficulté face aux difficultés des gens », redoute Huguette Lejeune.

FOCUS
Offres d'emploi, licenciements, allocataires RMI... les indicateurs dans le rouge

Le nord de la Moselle, l'un des berceaux de la sidérurgie lorraine, subit fortement la dégradation de la situation économique. Selon le conseil économique et social de Lorraine, le nombre de demandeurs d'emploi a crû de 30 % entre février 2008 et février 2009 dans la zone économique de Thionville, entre Metz et la frontière luxembourgeoise, contre un peu moins de 20 % sur le plan national à la même période. Le taux de chômage s'y situe au niveau de la moyenne départementale, qui augmente (+ 8 % au quatrième trimestre 2008). « Depuis deux ou trois ans, on est passés au-dessus de la moyenne nationale et on grimpe beaucoup plus vite qu'elle », commente Patrick Meyer, vice-président délégué du conseil économique et social, chargé de la précarité. Dans toute la région, les indicateurs sont au rouge : 821 licenciements économiques enregistrés en février 2009, en augmentation de 77 % par rapport à décembre 2008 ; hausse des autorisations de chômage partiel (près de trois millions d'heures en mars 2009, presque quatre fois plus que trois mois plus tôt) ; baisse du nombre d'offres d'emploi de 35 % sur un an ; hausse du chômage de longue durée de 2,5 % en un an, et du nombre des titulaires du revenu minimum d'insertion (RMI), avec 409 allocataires supplémentaires sur les trois derniers mois de 2008.

Des dossiers médiatiques illustrent ce recul de l'emploi en Moselle. C'est notamment le cas de la fermeture partielle du site ArcelorMittal de Gandrange et de la mise à l'arrêt des hauts-fourneaux de Hayange (15 000 habitants). Ces « points chauds » cachent des conséquences en cascade chez les intérimaires et les sous-traitants de la sidérurgie. Le secteur de l'automobile, qui pèse 14 % de l'industrie lorraine, n'est pas non plus épargné et le travail frontalier, important ici, est lui aussi à la peine. Selon Patrick Meyer, le Luxembourg attire 85 000 actifs lorrains. Employés de banque, informaticiens ou intérimaires sans qualification embauchés dans le secteur du nettoyage, ils vivent souvent dans le nord de la Moselle, entre Thionville et Hayange. Mais au Luxembourg aussi le chômage augmente : 5,2 % en février 2009, contre un point de moins un an plus tôt...

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