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Le délégué aux prestations familiales et le secret professionnel

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Le statut des délégués aux prestations familiales, chargés de mettre en oeuvre la mesure judiciaire d'aide à la gestion du budget familial instituée par la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance, est entré en vigueur le 1er janvier dernier. Sont-ils soumis au secret professionnel ? C'est la question examinée par Marc Pimpeterre, président du Carrefour national des délégués aux prestations familiales et directeur de l'UDAF du Territoire de Belfort, et Pierre Verdier, avocat, ancien directeur départemental des affaires sanitaires et sociales (1).

«L'article 375-9-1 du code civil - issu de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance - a créé une nouvelle mesure d'assistance éducative, la mesure judiciaire d'aide à la gestion du budget familial. Elle a aussi créé une nouvelle profession, celle de délégué aux prestations familiales. Ces délégués sont des travailleurs sociaux (titulaires d'un diplôme d'Etat de travail social enregistré au niveau III du répertoire national des certifications professionnelles), certains assistants de service social, d'autres éducateurs spécialisés ou conseillers en économie sociale et familiale. Le décret n° 2008-1508 du 30 décembre 2008 prévoit qu'en sus de leur formation initiale les délégués aux prestations familiales doivent avoir suivi avec succès une formation complémentaire, le «certificat national de compétence», attestant des compétences nécessaires à l'exercice de ces fonctions (2). Leur statut ainsi délimité, et après leur inscription sur la liste départementale (décret n° 2008-1512 du 30 décembre 2008), les délégués aux prestations familiales prêtent serment devant le tribunal de grande instance du chef-lieu du département.

C'est cette dernière étape qui peut poser question.

En effet, l'article 2 du décret n° 2008-1504 du 30 décembre 2008 relatif à la prestation de serment des délégués a introduit un article R. 474-2 dans le code de l'action sociale et des familles (CASF). Celui-ci prescrit que la formule de prestation de serment sera celle-ci : «Je jure et promets de bien et loyalement exercer le mandat qui m'est confié par le juge et d'observer, en tout, les devoirs que mes fonctions m'imposent. Je jure également de ne rien révéler ou utiliser de ce qui sera porté à ma connaissance à l'occasion du mandat judiciaire.»

Quel impact ce texte réglementaire a-t-il par rapport au secret professionnel ? Les délégués aux prestations familiales y sont-ils désormais astreints ?

Nous allons voir pourquoi les délégués aux prestations familiales y sont soumis «par fonction» (art. 226-13 du code pénal), puis décliner son application concrète dans la mise en jeu des lois sur la protection de l'enfance et sur la prévention de la délinquance, dans les rapports avec le juge des enfants et vis-à-vis des usagers sujets de droit.

Il faut d'abord rappeler que le secret professionnel est une disposition du code pénal qui interdit, sous peine de sanction, à certaines personnes de révéler ce qu'elles ont appris dans le cadre professionnel (3). Disposition pénale, elle est d'interprétation stricte : sont tenus au secret professionnel ceux pour lesquels un texte législatif ou réglementaire le prévoit expressément. C'est une disposition importante, puisque sa transgression expose à un an de prison et à 15 000 € d'amende. Elle interdit aux personnes qui y sont soumises de parler, y compris - en droit strict - devant la police ou la justice. Cette obligation peut résulter de la profession exercée, de la mission confiée ou de la fonction occupée.

Egalité de traitement

Aucun texte législatif ou réglementaire ne prévoit expressément que les délégués aux prestations familiales sont astreints au secret professionnel. Strictement et à première lecture, on devrait donc exclure qu'ils le soient. On peut penser que si le législateur avait voulu les y soumettre, il l'aurait clairement indiqué à l'article 375-9-1 du code civil ; mais la tendance actuelle n'est pas de soumettre davantage de professionnels à l'obligation de secret, elle serait plutôt de les obliger à parler.

Pourtant, nous soutenons que les délégués aux prestations familiales sont bien soumis au secret professionnel et cela pour quatre raisons.

Le délégué peut être assistant social astreint au secret professionnel par profession, ou bien éducateur ou conseiller en économie sociale et familiale, deux professions qui, elles, ne le sont pas. Il serait illogique que, dans le même service, la confidentialité soit plus protégée dans un cas que dans l'autre. On doit invoquer le principe d'égalité de traitement, que le délégué soit assistant de service social ou d'une autre profession.

Egalité de traitement aussi avec la mesure d'accompagnement en économie sociale et familiale prévue à l'art L. 222-3 du CASF. Les personnes qui mettent en oeuvre cette nouvelle prestation d'aide sociale à l'enfance sont astreintes au secret professionnel de par l'article L. 221-6 du CASF, selon lequel «toute personne participant aux missions du service de l'aide sociale à l'enfance est tenue au secret professionnel». Il serait difficilement défendable que, alors que la mesure judiciaire d'aide à la gestion du budget familial est ordonnée lorsque «l'accompagnement en économie sociale et familiale prévu à l'article L. 222-3 du CASF n'apparaît pas suffisant», les familles voient la confidentialité des informations moins protégée dans le cadre judiciaire que dans le cadre amiable.

On doit aussi invoquer l'arrêt de la Cour de cassation (crim) du 8 octobre 1997, dans une situation différente, mais avec laquelle on peut établir un parallèle - il s'agissait d'un placement direct par mesure d'assistance éducative - qui a posé que «le secret professionnel imposé aux membres d'un service éducatif sur la situation d'un mineur confié à celui-ci par le juge des enfants est inopposable à cette autorité à laquelle ils sont tenus de rendre compte». Pour la Cour de cassation, si le secret professionnel n'est pas opposable au juge des enfants, le personnel de ce service éducatif y est donc cependant astreint d'une façon générale de par cette mission judiciaire. C'est très proche, puisque la mesure judiciaire d'aide à la gestion du budget familial est aussi une mesure d'assistance éducative.

Enfin, si ce décret ne le prévoit pas expressément - et il faut regretter le flou qu'il entretient à travers une formulation maladroite («je jure et promets» est inutilement redondant ; les délégués exercent une mission et non un mandat) -, il le laisse entendre, dans le texte de la prestation de serment.

Par rapport à la loi sur la protection de l'enfance, cela a comme conséquence que ces professionnels sont autorisés à partager - donner des informations, mais aussi en recevoir - lorsqu'ils participent à la mise en oeuvre de la politique de protection de l'enfance ou lui apportent leur concours. Et ce dans les limites et conditions posées par l'article L. 226-2-2. du CASF, c'est-à-dire «afin d'évaluer une situation individuelle, de déterminer et de mettre en oeuvre les actions de protection et d'aide dont les mineurs et leur famille peuvent bénéficier. Le partage des informations relatives à une situation individuelle est strictement limité à ce qui est nécessaire à l'accomplissement de la mission de protection de l'enfance. Le père, la mère, toute autre personne exerçant l'autorité parentale, le tuteur, l'enfant en fonction de son âge et de sa maturité sont préalablement informés, selon des modalités adaptées, sauf si cette information est contraire à l'intérêt de l'enfant.»

Quant à la loi prévention de la délinquance, elle prévoit que «lorsqu'un professionnel de l'action sociale, définie à l'article L. 116-1, constate que l'aggravation des difficultés sociales, éducatives ou matérielles d'une personne ou d'une famille appelle l'intervention de plusieurs professionnels, il en informe le maire de la commune de résidence et le président du conseil général. L'article 226-13 du code pénal n'est pas applicable aux personnes qui transmettent des informations confidentielles dans les conditions et aux fins prévues au présent alinéa.»

Il est certain que les délégués sont des professionnels de l'action sociale ; le fait qu'ils soient soumis ou non au secret professionnel est sans incidence, selon la dernière phrase de cet article. Il ne s'agit pas ici de partage, mais de transmission d'information. C'est à sens unique.

Contrairement à une interprétation rapide de ce texte, d'une part il n'y a pas obligation d'informer le maire et le président du conseil général qu'une situation s'aggrave et nécessite une coordination : c'est seulement une possibilité, mais c'est le délégué, comme tout autre professionnel de l'action sociale dans le même cas, qui apprécie.

D'autre part, c'est toujours le professionnel social qui a l'initiative. Aucun texte n'autorise le maire à interroger ni n'oblige - ni même n'autorise - le professionnel à répondre.

Un devoir et un droit

Le secret professionnel est un devoir du professionnel et un droit de l'usager.

Bien évidemment, ce secret n'est pas opposable au juge des enfants, dont le délégué reçoit mission, et il doit au contraire lui rendre compte de celle-ci. En revanche, cette obligation de secret doit augmenter la confiance que la famille peut avoir dans le professionnel et en cela conduire à un travail plus efficace. Le but du travail social et de cette mesure en particulier n'est pas d'aider les gens mais d'aider des gens à accéder à une autonomie, conformément à la définition de l'action sociale proposée par l'article 116-1 du CASF. La suppression du mot «tutelle» dans l'appellation de ces services est un signe d'espoir dans ce sens. L'assujettissement au secret professionnel va dans le même sens, celui d'une meilleure reconnaissance de cette mission et des délégués qui l'exercent. »

Contacts : Marc Pimpeterre - marc.pimpeterre@wanadoo.fr ;

Pierre Verdier - verdierpi@aol.fr

Notes

(1) Pierre Verdier est notamment le coauteur, avec Jean-Pierre Rosenczveig, de l'ouvrage Le secret professionnel en travail social et médico-social - Ed. Dunod/Jeunesse et droit, 2008.

(2) Voir ASH n° 2592 du 16-01-09, p. 5 à 7.

(3) Voir Le secret professionnel des travailleurs sociaux, supplément juridique des ASH - Juin 2008. Il est possible de se le procurer au prix de 14 de port) auprès du service VPC : case postale 701 - 1, rue Eugène-et-Armand-Peugeot - 92856 Rueil-Malmaison cedex - Tél. 01 76 73 30 82 ou directement sur le site des ASH (www.ash.tm.fr).

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