Née le 5 mars 2007, la loi sur le droit au logement opposable (DALO) a maintenant plus de deux ans. Le dispositif arrêté par le législateur est apparemment simple : un demandeur de logement qui appartient à l'une des catégories reconnues prioritaires par des lois antécédentes peut, en vue de faire avancer sa cause, saisir une commission de médiation pour que le caractère (super) prioritaire et urgent de sa demande puisse être reconnu. Si ce demandeur obtient satisfaction, le préfet doit désigner un bailleur afin que ce dernier propose une offre de logement, et cela dans un délai de trois à six mois suivant la taille de l'agglomération. A défaut d'offre, le demandeur peut saisir le juge administratif de droit commun d'un recours spécifique. Ledit juge peut adresser au préfet une injonction de loger, ou prononcer une astreinte (sans pouvoir en rétrocéder une fraction au demandeur éconduit).
Les choses se révèlent, en réalité, sensiblement plus compliquées. Tout d'abord, il ne suffit pas d'appartenir à l'une des catégories prioritaires pour que la commission de médiation assigne au préfet une obligation de loger. Quels sont les critères de tri ? Au vu de quels documents y est-il procédé ? Ensuite, ce n'est pas parce qu'on a obtenu gain de cause devant la commission de médiation que l'on se verra proposer un logement. Le logement proposé peut, en outre, ne pas correspondre aux besoins ou aux attentes de celui à qui il est proposé. Des besoins et des attentes légitimes ou illégitimes ? C'est toute la question qui interroge la commission, le préfet, le juge, chacun à son tour. Enfin, lorsque aucun logement (ou logement adapté) n'est proposé, malgré une prise de position favorable de la commission de médiation, aucune compensation n'intervient automatiquement en faveur du demandeur qui a franchi avec succès la première étape du parcours d'obstacles, mais pas la seconde. Il faut, pour en obtenir une, qu'il sollicite une indemnisation. Cependant, le juge compétent pour statuer sur le bien-fondé des décisions de la commission de médiation et celui compétent pour accorder une indemnisation ne sont pas les mêmes que celui du DALO. Et pour approcher le second, il faut un avocat, et donc - si l'on se trouve, comme il est probable, sans ressource - bénéficier de l'aide juridictionnelle. La vérité est que l'on ne fait pas aisément entrer un éléphant dans un chapeau, et qu'entre le public du DALO (de 600 000 à 800 000 personnes) et les logements attribuables (entre 50 000 et 100 000, selon l'évaluation la plus généreuse), il n'y a pas de commune mesure. Trois amendements, nocturnement introduits à l'occasion des débats parlementaires sur la loi dite Boutin, valent d'ailleurs à ce sujet largement aveu : même versée au seul budget de l'Etat, l'astreinte pour non-fourniture d'un logement dont la fourniture a été prescrite par la commission de médiation ne devra pas dépasser 10 à 20 € par jour (les tribunaux administratifs qui avaient déjà statué l'avaient fixée à un niveau dix fois plus élevé) ; les demandeurs résidant en Ile-de-France pourront être relogés dans un autre département que celui où ils demandent à l'être (vive les migrations alternantes !) ; les demandeurs ne pourront pas être assistés par des associations de défense.
En début d'année, la Fondation Abbé Pierre a suggéré, dans son rapport sur l'état du mal-logement en France, que tout se passait comme si l'Etat, surpris de sa propre audace, donnait l'impression de douter de sa capacité à mettre en oeuvre le nouveau droit. Les considérations générales du rapport public du Conseil d'Etat pour 2008, consacrées au droit du logement, devraient permettre de prendre précisément la mesure des difficultés (tant en matière de disponibilité de logements que de technique juridique) auxquelles sont confrontés, en même temps que les demandeurs de logement, les acteurs administratifs et les juridictions. Dans un autre rapport sur le « sans-abrisme » que Julien Damon vient de remettre à la ministre du Logement, l'auteur fait, quant à lui, apparaître que le dispositif d'hébergement (où l'accueil soulève, s'agissant du DALO dans sa composante « hébergement », d'autres types de problèmes que ceux qui ont été précédemment mentionnés) ne saurait suffire à la demande tant qu'il n'est pas vraiment conçu comme un système de transition débouchant vers un logement permanent.
Il y a décidément loin de la coupe aux lèvres. Et il faut prendre garde à ce que les institutions qui sont supposées pourvoir à une réduction de la distance ne s'y épuisent pas sans y parvenir.