Quel est l'effet du revenu de solidarité active (RSA) « expérimental » sur le retour à l'emploi des bénéficiaires de minima sociaux ? A quelques jours à peine de l'entrée en vigueur du dispositif sur l'ensemble du territoire métropolitain (1), le 1er juin, cette question n'a jamais autant été d'actualité. Selon le rapport final du comité d'évaluation des expérimentations du dispositif (2), rendu public le 22 mai, « le taux d'entrée en emploi des allocataires du revenu minimum d'insertion (RMI) dans les zones expérimentales est en moyenne plus élevé que dans les zones témoins, mais l'écart varie assez fortement entre départements et selon les périodes ».
Le taux d'entrée en emploi dans les zones expérimentales serait ainsi en moyenne supérieur au taux observé dans les zones témoins et ce, précise le comité d'évaluation, « pour 11 des 15 mois d'expérimentation considérés ». « Cumulé sur l'ensemble des mois de janvier 2008 à mars 2009, le taux mensuel moyen d'entrée en emploi en zones témoins est de 3,1 % », constate-t-il. Et l'écart entre zones expérimentales et zones témoins est de « 0,28 point de pourcentage, soit un surcroît de 9 % du taux d'entrée en emploi dans les zones expérimentant le RSA ». Un écart moyen qui cache cependant « des disparités entre départements et de fortes fluctuations dans le temps ». Cela introduit « une imprécision statistique dans l'estimation de l'effet du RSA expérimental sur le retour à l'emploi ». « On ne peut pas rejeter la possibilité que le RSA expérimental n'ait pas eu d'effet sur les sorties vers l'emploi », reconnaît même le comité, tout en précisant que « la probabilité de se tromper en affirmant que l'effet du RSA expérimental sur le retour à l'emploi est supérieur à zéro est de 12 %, une valeur un tout petit peu élevée mais qui laisse néanmoins une place limitée à l'incertitude ». En clair, et en grossissant légèrement le trait, le comité estime qu'« il y a un peu moins de 9 chances sur 10 que le RSA ait un effet positif sur la reprise d'emploi et un peu plus de 1 chance sur 10 qu'il ait l'effet opposé ».
Il n'empêche : avec un taux moyen de retour à l'emploi plus élevé de 9 % dans les zones expérimentales que dans les zones témoins, on est loin du taux évoqué par le comité dans son rapport intermédiaire, de l'ordre de 30 %... Un écart significatif qu'il explique ainsi : « ce taux [de 30 %] était estimé avec un très large intervalle de confiance, car il s'appuyait sur un faible nombre d'observations, et l'on avait insisté alors sur un certain nombre de facteurs susceptibles de biaiser l'estimation ». « Nous avons éliminé ces biais », a expliqué le président du comité, François Bourguignon. Au final, selon lui, « le 9 % est plus bas mais plus solide ».
Si le revenu de solidarité active joue le rôle attendu à la fois sur l'incitation à la reprise d'emploi et sur l'amélioration du maintien dans l'emploi, il doit conduire in fine à une baisse relative du nombre de bénéficiaires du RMI comme à la baisse des dépenses au titre du RMI et du RSA. Ce qui semble être le cas. En moyenne, en effet, le nombre d'allocataires payés au RMI et qui sont sans emploi a baissé de 6,1 % sur les territoires expérimentaux en un an (de décembre 2007 à décembre 2008), tandis qu'il n'a fléchi que de 2,3 % en zones témoins, pointe le comité d'évaluation.
Autre constat : la progression en 2008 du nombre d'allocataires en emploi avec un faible salaire (moins de 200 € par mois) est plus forte dans les départements qui ont appliqué le RSA à toutes les personnes en emploi (stock), l'écart entre zones expérimentales et zones témoins atteignant 15 %. L'effet est moindre (écart de 9,4 %) dans les départements qui accordent le RSA seulement aux personnes qui ont repris un emploi après le démarrage des expérimentations. « Si le mode de calcul du RSA rend effectivement plus attractifs les emplois à temps très partiel, l'effet est particulièrement important au-delà de la période d'intéressement et donc vraisemblablement plus perceptible dans les départements appliquant le RSA à tous les allocataires en emploi, quelle que soit leur ancienneté dans l'emploi », précise le comité d'évaluation. Du reste, la présence d'un plus grand nombre de temps très partiels dans les zones expérimentales est confirmée par une enquête qualitative menée auprès de 3 500 allocataires du RMI et de l'allocation de parent isolé (API) : parmi les personnes en emploi au moment de l'enquête, 11 % travaillent au plus neuf heures par semaine dans les zones où le RSA est expérimenté, contre 6 % en zones témoins. Dans le même temps, les durées de trajet des personnes employées sont plus faibles en zones expérimentales. Et le comité de conclure que « ces plus faibles temps de trajet et temps de travail observés en zones expérimentales pourraient suggérer que le mode de calcul du RSA rend plus attractifs certains emplois à faible durée de travail, pour autant que le rapport entre temps de travail et temps de trajet ne soit pas disproportionné ». Pour autant, ajoute-t-il, la plus forte proportion d'emplois de courte durée hebdomadaire dans les zones expérimentales « ne se traduit pas par une moindre satisfaction sur les conditions de travail ou sur le temps de travail », 83 % des personnes ayant pris un emploi depuis le début des expérimentations se déclarant en effet « satisfaites » ou « très satisfaites » de leurs conditions de travail en zones expérimentales, contre 73 % en zones témoins. En ce qui concerne le temps de travail, elles expriment « un niveau de satisfaction équivalent entre les deux types de zones ».
Par ailleurs, les allocataires inscrits au RMI depuis plus de quatre ans sont un peu plus nombreux parmi les entrants en emploi dans les zones expérimentales (25 %) que dans les zones témoins (21 %), un résultat qui laisse penser que le « RSA permet de remettre en emploi un public depuis plus longtemps hors de l'emploi que le dispositif de droit commun ».
Autre enseignement : pour les personnes entrées dans le RSA au cours de l'année 2008 et qui bénéficient d'un suivi de leur parcours d'insertion par le conseil général, les emplois dans le secteur marchand représentent 61 % des emplois occupés par les bénéficiaires entrant au RSA. La part d'emplois durables - contrats à durée indéterminée et à durée déterminée (CDD) de plus de six mois - atteint 30 %. Environ 8 % des entrants sont à leur compte. L'intérim et les CDD courts représentent 25 % des emplois occupés à l'entrée dans le dispositif. Sinon, 27 % des entrants sont en contrats aidés, 5 % suivent une formation professionnelle et 6 % sont sur d'autres types de contrat.
Les travaux qualitatifs conduits soulignent, pour leur part, l'importance de l'accompagnement professionnel des allocataires du RMI sur les territoires expérimentaux, sans toutefois pouvoir en mesurer précisément l'effet sur l'emploi. Les enquêtes confirment l'aspiration des bénéficiaires à trouver un emploi stable et à mettre fin à l'incertitude et à l'irrégularité des ressources et leurs fortes attentes en termes d'aide financière et surtout d'accompagnement, notamment en vue de lever les nombreux freins au retour à l'emploi qu'ils rencontrent (manque de qualification, manque de mobilité, problèmes de garde d'enfants...) et qu'ils ne sont pas en mesure de résoudre par eux-mêmes. Lorsqu'ils bénéficient d'un accompagnement, les allocataires en ont une opinion généralement favorable et valorisent le rôle qu'il a joué dans leur insertion. Les acteurs de l'insertion sont également convaincus de la nécessité de travailler différemment, avec un accompagnement plus personnalisé et mieux coordonné. Mais les bénéficiaires ont également fait part de leurs craintes quant à l'articulation du RSA avec les aides connexes au RMI ou à l'API, craintes justifiées au regard du budget extrêmement tendu avec lequel ces ménages doivent vivre.
Dans la mesure où les expérimentations du RSA ne concernaient pas les travailleurs pauvres mais seulement les bénéficiaires du RMI et de l'API, elles n'apportent que peu d'enseignements sur l'objectif de lutte contre la pauvreté, fondamental dans le dispositif généralisé par la loi du 1er décembre 2008. En complément des expérimentations, des travaux de micro-simulation concluent néanmoins à « un impact sur la pauvreté non négligeable, particulièrement pour les familles monoparentales et les couples mono-actifs avec enfants », souligne le comité d'évaluation.
La loi généralisant le RSA prévoit l'évaluation du dispositif au cours des trois premières années de sa mise en oeuvre. « La méthodologie d'évaluation d'un dispositif généralisé à l'ensemble du territoire sera forcément différente de celle utilisée au cours de l'expérimentation » mais, selon le rapport, il est néanmoins souhaitable que le comité chargé de cette évaluation tienne compte de ses conclusions au moment de la définition des questions auxquelles il devra répondre sur le dispositif. En particulier, au-delà du suivi de la mise en oeuvre de l'allocation, il sera essentiel que le comité d'évaluation du RSA généralisé observe les différentes procédures d'orientation et d'accompagnement mises en oeuvre par les départements, mesure leur impact sur les comportements d'emploi des bénéficiaires (et éventuellement des employeurs) et étudie l'évolution de l'ensemble des aides locales facultatives (3).
(2) Disponible sur
(3) Sur cette dernière question, voir ASH n° 2610 du 22-05-09, p. 5.