JUSTICE SURRÉALISTE. De mai à septembre 2008, Marie Cosnay a assisté, une fois par semaine, aux présentations des étrangers démunis de titre de séjour devant le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Bayonne. Là, il s'agit d'examiner le maintien en rétention d'étrangers que l'on dit « sans papiers ». Enseignante et écrivaine, Marie Cosnay a pris des notes et peint sa révolte dans Entre chagrin et néant. Le tableau vire vite au surréalisme. Les magistrats hésitent, s'avouent désorientés. La juge se vexe quand un « retenu » parle sa langue et peut se passer d'interprète. Le représentant de la préfecture demeure froid. Les avocats combatifs découvrent souvent les dossiers en même temps que les magistrats. Et voient défiler des « retenus » démunis, résignés, perdus.
Marie Cosnay, elle, fait défiler les phrases nominales, les dates de naissance, les durées de résidence en France. Quinze, vingt ans, parfois. Pour être renvoyé subitement en Irak, en Sierra Leone, ou vers les nouveaux « pays entrants » de l'espace Schengen. Au risque des pires absurdités.
Mais dans cette litanie, dans cette lente répétition de vies brisées, personne n'a de noms. Pas de citations non plus. Le discours indirect libre se mêle aux pensées de l'auteure. Ce n'est donc surtout pas une retranscription de greffier, mais au contraire un récit engagé, plein de chagrin, qui vaut mieux que le néant. Car, pour Marie Cosnay, deux justices se mettent en place. Celle qui est réservée aux étrangers se révélant vaine et dispendieuse. Surtout, elle met à l'écart toute une population. Et cela devrait nous alarmer.
Entre chagrin et néant - Marie Cosnay - Ed. Laurence Teper, en partenariat avec la Ligue des droits de l'Homme - 14,80 €¤