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Debout dans la tempête

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Depuis vingt-cinq ans, la société coopérative de production TPC oeuvre, sur ses sites de Saint-Jean-de-Braye et d'Amilly, dans le Loiret, à l'insertion professionnelle de personnes handicapées dans la manufacture industrielle. Elle fait face aujourd'hui à une baisse sans précédent de ses commandes.

« En 2008, à la même époque, nous faisions un million de coffrets. Cette année, le même donneur d'ordre nous en a commandé moins de 500 000. Il faut dire que certains clients ont jusqu'à sept mois de stocks à écouler... », déplore Régis Roncin, PDG de TPC(1). Sous-traitante de grands groupes de l'industrie du cosmétique de luxe, sa société enregistre une chute notable des commandes depuis le dernier trimestre 2008. A l'instar de toute entreprise manufacturière, cette entreprise adaptée (EA), installée à Saint-Jean-de-Braye, dans le Loiret, subit de plein fouet la crise économique. « Notre secteur du conditionnement à façon de cosmétiques est rythmé par les saisons. Nous n'avons aucun contrat à l'année, chaque campagne est signée au coup par coup. Mes ouvriers assemblent actuellement des trousses et coffrets promotionnels pour Noël, et nous n'avons aucune visibilité sur les éventuels engagements pour les fêtes des mères et des pères, qui pourraient nous donner du travail de décembre à février prochains », regrette le PDG. Pour TPC, chaque marché est un combat, et quand il y a de moins en moins de marchés...

Alors, face à la baisse des quantités produites, à la réintégration d'activités par les donneurs d'ordre et à la délocalisation de certaines productions, l'entreprise adaptée cherche des solutions pour éviter les licenciements. « Si je n'avais pas d'états d'âme et que je dirigeais une entreprise classique, cela fait longtemps que j'aurais licencié, pour des raisons économiques évidentes. Mais c'est quelque chose que je repousse », assure Régis Roncin. D'autant que, pour les 150 personnes handicapées psychiques qu'emploie TPC (sur 180 salariés), si le chômage n'est pas nécessairement synonyme de perte de revenus, il signifie un échec de l'insertion. « L'effet induit, pour ces personnes fragilisées et souvent âgées, est la démobilisation et la perte de compétences. Ce qui va à l'encontre des objectifs des entreprises adaptées, qui sont de donner aux gens un emploi pérenne, leur permettant de se sentir intégrés dans la société. »(2)

L'insertion en péril

Toujours est-il qu'à TPC les cadences sont ralenties, et l'atelier et la zone d'expédition, quasi vides. Triste constat pour cette entreprise qui avait connu, depuis sa création dans les années 1980, une croissance exponentielle. Alors qu'il travaille à l'époque dans une entreprise de négoce industriel, Régis Roncin fait une rencontre décisive avec le directeur d'un centre d'aide par le travail (CAT). « Il cherchait un coordonnateur de production pour faire des devis, la facturation, etc. Je ne connaissais rien aux personnes handicapées, mais l'aventure me tentait. J'ai abandonné une entreprise à Orléans qui avait pignon sur rue, pour intégrer un préfabriqué en rase campagne... J'ai ensuite suivi une formation en cours d'emploi à l'Ecole nationale de santé publique de Rennes. » En 1984, le jeune homme en sort diplômé du certificat d'aptitude aux fonctions de directeur d'établissement ou de service d'intervention sociale (Cafdes), au moment même où IBM, l'un des principaux donneurs d'ordre du CAT, demande une montée en charge. « Nous n'étions pas en capacité de répondre à cette commande, mais nous ne voulions pas non plus perdre cet important client. En se renseignant auprès de la Cotorep du Loiret, on a su que nombre de travailleurs handicapés orientés «ateliers protégés» cherchaient du travail. On a donc ouvert, en août 1984, l'association Travail protégé du Centre, avec dix travailleurs handicapés, un responsable d'atelier et un cariste. Un mois plus tard, IBM doublait ses commandes. »

D'abord bénévole à TPC, Régis Roncin en prend officiellement la direction en 1987. Deux ans plus tard, la direction départementale du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP) lui demande d'étudier l'ouverture d'une annexe à Amilly (à 70 km de Saint-Jean-de-Braye), un lieu où les emplois pour les personnes handicapées sont rares. Le site compte aujourd'hui 46 salariés. Au fil des ans, les liens entre TPC et IBM se sont délités, compensés par de nouveaux contrats avec le service qualité de Dior. « L'image de ce client nous a servis par la suite pour pénétrer l'industrie du cosmétique de luxe et nous professionnaliser dans le conditionnement à façon », explique Régis Roncin.

La crise actuelle est la plus forte jamais traversée par TPC. L'entreprise avait certes connu un creux en 2005, « mais la donne n'était pas la même », précise le PDG, qui incrimine « la désindustrialisation de la France ». Première conséquence : l'arrêt du recours à l'intérim. Depuis quinze ans, chaque année, TPC faisait appel à des intérimaires valides lorsqu'elle rencontrait des problèmes de délais. Cette année, pour la première fois, elle n' a eu besoin de personne, les intérimaires étant les premiers sacrifiés à la crise . Avec l'appui de son assistante aux ressources humaines, Régis Roncin a établi une stratégie afin d'éviter un plan social et de préserver les compétences développées. Pour combler les journées durant lesquelles le travail se fait rare, ils ont demandé aux salariés de solder leurs journées de congés payés, puis de participer à la modulation du temps de travail, autorisée par un accord RTT signé dès juillet 1999 : bien que la société ait des horaires classiques (7 h 30 - 16 h 15), elle s'octroie la possibilité de faire travailler ses salariés en « semaine haute » (42 heures) ou « basse » (19 heures), selon la charge de travail. En ce premier semestre 2009, les ouvriers ont donc travaillé en semaine basse plus souvent que d'ordinaire, mais Régis Roncin n'a pas souhaité que le contingent soit entièrement utilisé. « Le compteur doit être géré avec prudence. Sinon, quid de la fin de l'année avec des compteurs négatifs ? »

En profiter pour se former

Pour occuper les salariés, la direction a également tiré la cartouche « formation », « car, psychologiquement, le pire serait qu'ils viennent à l'atelier sans avoir rien à faire », souligne Pascal Mériaud, chef d'équipe et secrétaire du comité d'entreprise (CE). Au titre du droit individuel à la formation (DIF), chaque salarié bénéficie de vingt heures de formation par an, mais, jusque-là, très peu d'entre eux en profitaient. « Aussi, poursuit le représentant du personnel, nous leur avons demandé s'ils étaient intéressés pour faire un DIF pendant leur temps de travail. La direction a alors bâti le programme pédagogique «Professionnaliser vos compétences», sur la base des demandes individuelles. Une formation qui aurait sans doute eu lieu en dehors de cette situation de crise, mais pas de façon aussi intense. »

Cadences réduites, RTT, congés, formation... les employés se sont volontiers prêtés à ces contraintes. Et pour cause. Depuis le 1er janvier 2008, TPC est une société coopérative de production (SCOP), dont les salariés sont presque tous actionnaires. « Sur 600 entreprises adaptées, on ne compte que quatre SCOP. En dissolvant l'association, il était évident pour moi de choisir ce type de société commerciale, dont les valeurs sont la solidarité, le partage, la démocratie et la prédominance de la personne humaine, avance Régis Roncin. Car il ne suffit pas de dire que les travailleurs handicapés sont des salariés comme les autres. Encore faut-il le démontrer. »

Pour les cadres, tous valides, le temps mort n'a pas que des inconvénients : « Au niveau du magasin, on en profite pour faire du rangement, pour mettre à jour les procédures... Ça permet d'avancer sur la prochaine saison, même si l'on sait qu'elle sera peu chargée », explique Thierry Drouen, coordonnateur des ateliers. Régis Roncin l'admet : « La crise resserre l'équipe, nous échangeons davantage. La situation n'est pas inintéressante, car on a aussi le temps de s'atteler à des choses qu'on avait laissé choir, mais il ne faut pas que ça dure ! » La période a également incité les commerciaux à développer une nouvelle méthodologie. Auparavant, ils ne mettaient pas en avant le handicap des salariés de TPC, mais uniquement leur savoir-faire, leur réactivité et leur professionnalisme. Désormais, lors de la prospection commerciale, ils expliquent aux donneurs d'ordre qu'ils peuvent bénéficier d'une réduction sur leur taxe d'obligation d'emploi. « En effet, une entreprise classique se doit d'embaucher 6 % de personnel handicapé. Mais elle peut s'exonérer de cette obligation en recourant à la sous-traitance avec une entreprise adaptée, à hauteur de 50 % », rappelle Thierry Drouen.

Malgré ces diverses stratégies de crise, le PDG de TPC a dû se résoudre, à la fin d'avril, à déposer une demande de chômage partiel auprès de la DDTEFP. Depuis le début de mai, il concerne, par roulement, l'ensemble du personnel, à l'exception des commerciaux et de l'administratif, et n'excède pas 50 % de l'effectif à la fois. La direction tient également à ce qu'une période de chômage partiel ne se prolonge pas au-delà d'une semaine d'affilée. Le coordonnateur de production gère les plannings d'absence en fonction des commandes et des délais d'exécution, chaque salarié en chômage partiel restant à la disposition de l'entreprise. Pour Régis Roncin, « l'entreprise adaptée s'ajuste ainsi à la crise, mais le chômage partiel est vraiment l'ultime recours, d'autant que ce n'est pas une mesure financièrement intéressante pour l'employeur ». Limité à huit cents heures par salarié pour une année civile, le chômage partiel bénéficie en effet d'un système d'indemnisation reposant sur plusieurs allocations qui se complètent ou se succèdent. Mais, dans tous les cas, l'employeur doit garantir à ses salariés un revenu minimal de 6,84 € net par heure chômée. En contrepartie, il perçoit de la part de l'Etat 3,84 € l'heure au titre de l'allocation spécifique. En tant qu'entreprise confrontée à de graves difficultés économiques, TPC a également pu faire appel à une convention d'allocation spéciale du Fonds national de l'emploi (FNE), qui l'autorise à percevoir 2,40 € l'heure par salarié. « Au final, un ouvrier qui reste chez lui me coûte quand même 0,60 € l'heure, et un encadrant bien plus. C'est donc une solution extrêmement temporaire qui, d'ailleurs, ne donne aucune garantie que l'entreprise va s'en sortir ! », soupire le PDG, avant d'ajouter : « Le pire étant que, puisque le travailleur handicapé est absent de l'entreprise, je ne perçois plus l'aide au poste ni la subvention spécifique (soit près de 8 € l'heure en cumul) qui complètent habituellement le salaire d'une personne handicapée en raison d'une productivité réduite, et minorent les surcoûts supportés par la structure. »

Réévaluer le quota des postes aidés

Pour les entreprises adaptées, le chômage partiel entraîne sur le long terme des conséquences graves : le nombre d'emplois aidés par les pouvoirs publics y est contingenté, et calculé en fonction de la consommation de l'année précédente. En 2009, le contingent national était de 20 000 postes pour les 600 entreprises adaptées réunies au sein de l'UNEA(3). En raison du chômage technique appliqué dans de nombreuses EA en 2009, les travailleurs handicapés n'entrent plus dans le contingent d'aide au poste. « Si l'on n'en «consomme» que 15 000 cette année, la loi de finances ne nous en accordera que 15 000 en 2010. Ça va être une catastrophe. Il faut absolument convaincre les pouvoirs publics qu'à situation exceptionnelle, il faut un comportement exceptionnel (4). Sinon, quand on en aura terminé avec la crise et que les équipes reprendront à temps complet, je serai obligé de me séparer d'une partie de mes salariés handicapés ! Et comme une EA doit employer 80 % de salariés reconnus travailleurs handicapés, je devrai aussi me séparer de salariés valides et ne pourrai plus recourir à l'intérim... », s'alarme Régis Roncin.

L'inquiétude pointe aussi du côté des salariés. Philippe Martineau, ouvrier handicapé et membre du CE, confirme : « On n'est pas optimistes pour l'avenir, surtout à cause des informations qu'on entend dans les médias. On n'en discute pas beaucoup entre nous, mais je me dis qu'ici le maximum a été fait. Il y avait peut-être encore d'autres solutions à trouver, mais je sais que la direction en a cherché avant d'en arriver au chômage partiel. » Thierry Drouen, coordonnateur des ateliers, précise : « Les salariés sont soucieux car ils ne voient pas de nouveaux dossiers arriver. On les tient régulièrement au courant. Chaque fois qu'on signe de nouveaux contrats, on diffuse un e-mail en interne, et ça leur met du baume au coeur. Ils sentent qu'on ne laisse pas stagner la situation. Je pense qu'on est un peu plus solidaires que dans une entreprise classique. » Pascal Mériaud, secrétaire du CE, ajoute : « Les informations concernant le chômage partiel ont été affichées par le comité d'entreprise. J'ai rencontré les personnes qui le souhaitaient pour leur expliquer qu'il s'agissait d'un outil et qu'on n'était pas dans une optique de fermer TPC. Notre rôle, c'est de les rassurer, sans leur voiler la face. On essaie de faire comprendre que la situation que nous traversons est commune à toutes les entreprises manufacturières. C'est un peu plus compliqué à faire entendre sur le site d'Amilly. Régis Roncin y passe moins de temps et les ouvriers peuvent avoir l'impression qu'on les délaisse. »

Si, face à la situation de crise dans le secteur manufacturier, certaines entreprises adaptées ont pris le parti de se diversifier, Régis Roncin s'oppose, quant à lui, à cette stratégie pour TPC : « Mes travailleurs atteints de handicaps mentaux et psychiques aiment le geste répétitif, il les sécurise, leur donne des repères et, parfois, les aide à surmonter leur handicap. Si l'on développe de nouvelles activités, ce ne sera pas forcément avec le même public, car la plupart de mes salariés, pour lesquels la station debout est pénible et qui ont des problèmes de mémoire ou de surdité, ne pourront jamais faire du service à la personne, comme on le préconise ! Alors il faudrait que je change le personnel. Or mes salariés appartiennent à l'entreprise et l'entreprise leur appartient ! »

La crise et ses conséquences n'ont pas totalement freiné les projets de ce dynamique patron. En 2008 - alors que TPC affichait un chiffre d'affaires record -, a été prise la décision de bâtir un nouveau hangar de stockage, qui sera livré à la fin du mois de mai. « C'est un outil dont nous avions réellement besoin puisque, l'an passé, nous avions dû sous-traiter le stockage, pour un coût total de 120 000 € . En agrandissant TPC, je maîtrise le stockage et gagne en confiance auprès de mes donneurs d'ordre. Le dépôt de permis de construire date de juin 2008, et j'avais obtenu les emprunts quand la crise nous a frappés. Alors j'ai décidé de poursuivre le projet. J'ignore s'il servira un jour, mais, si la consommation repart, nous serons prêts et équipés de l'outil adapté. »

Toujours en développement

Une volonté de développement d'autant plus farouche que Régis Roncin, qui partira à la retraite en décembre 2012, se positionne dans une stratégie de transmission d'entreprise. « Et je ne me dis surtout pas : «Après moi, le déluge !» J'ai consacré vingt-cinq ans de ma vie à cette structure et je souhaite céder TPC avec un outil de travail complet. Evidemment, ce qui se transmet quand tout va bien ne se transmet pas de la même façon quand tout va mal. Mais je souhaite que mon départ de la vie professionnelle coïncide avec un nouvel essor de TPC, et non pas avec sa fin. Alors je lutte. »

Une entreprise adaptée est-elle plus ou moins fragile qu'une entreprise ordinaire face à la crise ? « Ce n'est pas la nature de l'entreprise, mais le secteur d'activité, la capacité à rebondir, la mobilisation des gens qui entrent en ligne de compte. C'est pourquoi je garde l'espoir », affirme le PDG. Car, estime-t-il, c'est en situation de crise que l'on produit le plus d'efforts d'imagination : « Peut-être que nos clients, eux-mêmes en difficulté, lanceront de nouveaux produits ou choisiront de réduire leurs coûts en interne en faisant de plus en plus appel à la sous-traitance. Par ailleurs, le secteur manufacturier ne sortira pas indemne de cette crise et certaines entreprises vont mettre la clé sous la porte. Alors quand la consommation reprendra, le gâteau sera peut-être moins gros, mais on sera moins nombreux à en profiter. Encore faut-il tenir... »

Notes

(1) Siège social de TPC : 35, avenue Denis-Papin - 45800 Saint-Jean-de-Braye - Tél. 02 38 84 28 29.

(2) La loi « handicap » du 11 février 2005 a substitué aux ateliers protégés les entreprises adaptées, entreprises à but social qui emploient durablement au minimum 80 % de salariés handicapés dans l'effectif de production, à des conditions de travail adaptées à leur handicap.

(3) Union nationale des entreprises adaptées : 16, rue Martel - 75010 Paris - Tél. 01 43 22 04 42 - info@unea.fr.

(4) L'UNEA, dont le congrès annuel se tiendra le 10 juin à Toulon, attend à cette occasion l'annonce de mesures d'urgence de la part du secrétaire d'Etat chargé de l'emploi, Laurent Wauquiez.

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