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L'enseignant référent, vigie contre les « simplifications ravageuses »

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De la loi « handicap » de février 2005 est né un nouveau métier, celui d'enseignant référent, garant de la continuité et de la cohérence du parcours de scolarisation des enfants handicapés. Pascal Ourghanlian, qui exerce cette fonction dans un secteur du Val-d'Oise, en analyse la complexité.

«Dans le cadre de la loi du 11 février 2005, l'enseignant référent se voit confier pour mission d'assurer la continuité et la cohérence de l'ensemble du parcours scolaire de l'élève handicapé, de son entrée à la maternelle à sa sortie du lycée (1). C'est un enseignant spécialisé, qui n'intervient pas directement auprès de l'enfant ou de l'adolescent dont la situation de handicap a été reconnue par la maison départementale des personnes handicapées (MDPH), mais qui se situe en interface entre le jeune (et sa famille), l'école et les soins. Sa connaissance des partenaires de soins et des ressources locales, son expertise des modalités d'apprentissage et de ce qui peut y faire obstacle, son écoute et son attention aux souhaits exprimés par les familles et aux besoins du jeune en font la plaque tournante des articulations nécessaires autour de la scolarité.

La loi pose le principe d'une scolarisation au plus près de l'ordinaire, en premier lieu dans l'établissement scolaire du secteur dont dépend l'élève. En ce sens, l'élève handicapé retrouve la maison commune, à égalité de droits avec ses camarades, censée lui ouvrir la porte de la citoyenneté et de la participation.

Si le principe est louable, ses modalités de mise en oeuvre interrogent. Ainsi, j'accompagne actuellement le parcours d'environ 120élèves, de 3 à 16ans, soit scolarisés en milieu ordinaire, de manière individuelle dans des classes «tout-venant», ou dans des structures ou des dispositifs collectifs d'écoles (classe d'intégration scolaire [CLIS]) ou de collèges (unité pédagogique d'intégration [UPI]), soit scolarisés en milieu spécialisé, après orientation par la MDPH (institut médico-éducatif, institut thérapeutique, éducatif et pédagogique).

15 % de ces suivis concernent des élèves dont le handicap s'inscrit dans les champs moteurs (9 %) ou sensoriels (vue : 4 %, ouïe : 2 %). Leur prise en charge est assurée par des professionnels «techniciens», les aménagements nécessaires à une scolarité adaptée sont bien documentés, les aides dont bénéficient leurs enseignants peuvent être assez concrètes, pratiques. Les choses sont simples, si le quotidien ne l'est pas.

La majorité des élèves dont je suis le parcours (85 %) ont donc une incapacité ou une déficience dans le champ «mental», pour faire vite une déficience intellectuelle (25 %), des difficultés de comportement (30 %) ou une maladie mentale (30 %). Chacune de ces trois «catégories», hétérogènes entre elles malgré leur recension dans le même champ, et hétérogènes en elles-mêmes car recouvrant des réalités différentes, pose problème.

Les limites des catégories

La déficience intellectuelle, appellation désuète désormais incluse, par l'Education nationale, dans la catégorie qu'elle a créée et qu'elle est seule à utiliser des «troubles importants des fonctions cognitives», s'évalue sur un continuum que WPPSI et autres WISC (2) s'évertuent à quantifier, mais que la dynamique propre à chacun et l'environnement dans lequel il apprend rendent peu immobilisable. Tel département qui a ouvert de nombreuses places en CLIS ou en UPI orientera plus aisément tel élève «déficient» vers ces structures/dispositifs alors que, dans un autre département, il resterait en classe «ordinaire». Tel enseignant, très au fait des modalités de différenciation pédagogique, continuera d'oeuvrer pour le maintien de l'élève dans le circuit ordinaire, tandis que tel autre, peu à l'aise avec la différence ou l'hétérogénéité, militera pour son orientation vers une structure spécialisée.

Les troubles du comportement forment une catégorie encore plus indécidable. Les critères du DSM-IV (3) appliqués à quiconque font de chacun de nous un agité, un compulsif, un hyperactif - selon le degré de tolérance de l'entourage ou le degré de normalisation attendue... Certains élèves mettent le feu aux établissements, au sens figuré, parfois au sens propre. Les collègues demandent (exigent, quémandent) pour eux des auxiliaires de vie scolaire (AVS). Or, pas d'AVS sans passage par la MDPH. Ces élèves, ordinairement intelligents, mais qui n'ont pas intégré les normes de la vie en collectivité, qui expriment leur souffrance ou leur colère face à des situations sociales ou affectives intolérables, doivent, pour être aidés, en passer par la «case» handicap.

La maladie mentale, enfin, renvoie... à la maladie, donc au soin, donc au médical. Elle n'est pas immédiatement, ni obligatoirement, superposable au handicap. Ce dernier - c'est une avancée des réflexions de ces trois dernières décennies depuis les travaux de Philip Wood- réfère désormais à la situation sociale (environnementale, écologique) dans laquelle se trouve la personne autrement capable et qui attend une réponse sociale à ses besoins. Réduire la maladie mentale à un handicap, ouvrant droit à compensation et accessibilité sans ouvrir à une approche fraternelle de la folie qui changerait le regard de chacun, a pour conséquence de renvoyer les «fous» à leur folie, la société s'étant substituée à chacun de nous pour répondre à la demande de ces autres différents qui nous font peur et que nous préférerions ne pas voir.

Ces questions sont au coeur du métier nouveau d'enseignant référent. Ce dernier n'a pas à y répondre de manière théorique, mais il a à maintenir un niveau de vigilance afin de ne pas laisser l'équipe de suivi qu'il anime s'endormir, bercée par des nosographies (4)floues, des représentations erronées ou des simplifications ravageuses.

L'enseignant référent est instauré «mémoire» du parcours scolaire du jeune (entre 10 et 20années d'une vie !). Chaque mot compte. «Malade» ne veut pas dire «handicapé» ; «handicapé» n'est pas un tampon rouge indélébile sur un dossier, mais signifie une proposition temporaire et réévaluable d'accompagnement. Prendre en compte des besoins spécifiques ne consiste pas à se défausser sur autrui d'un regard bienveillant (et non «compassionnel»), dont l'exigence, de chacun pour chacun, peut seule refonder notre vivre ensemble. »

Contact : pourghanlian@wanadoo.fr

Notes

(1) Décret n° 2005-1752 du 30 décembre 2005 relatif au parcours de formation des élèves présentant un handicap ; arrêté du 17 août 2006, B.O.E.N. n° 32 du 7-09-06 - Voir ASH n° 2467 du 1-09-06, p. 6.

(2) WPPSI pour Wechsler Preschool and Primary Scale of Intelligence ; WISC pour Wechsler Intelligence Scale for Children. Tous deux sont des instruments psychométriques permettant de mesurer le QI des enfants.

(3) DSM-IV pour Diagnostic and Statistical Manual-Revision 4. Il s'agit d'un outil américain de classification des troubles mentaux.

(4) Descriptions et classifications des troubles et des maladies.

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