«La participation de la personne protégée est versée au mandataire judiciaire à la protection des majeurs. L'article R. 471-5-1 du code de l'action sociale et des familles est limpide dans son principe : celui qui exerce une mesure de protection à titre professionnel recouvre directement les frais de participation fixés par l'Etat auprès du majeur protégé. Cette disposition n'est certes pas nouvelle, elle généralise des pratiques préexistantes dans le financement des mesures d'Etat, mais une telle procédure ne peut que parasiter la relation entretenue entre le mandataire et la personne.
La réforme aurait pu être l'occasion de clarifier le rôle de chacun au regard des questions d'argent : il n'en a rien été, c'est au contraire le pire des procédés qui a été retenu et étendu à tous les types de mesure, mandat spécial et curatelle simple compris. Nous ne pouvons que le regretter.
Les frais de participation du majeur protégé sont une charge décidée par la puissance publique pour le financement d'un dispositif juridique contraignant, imposé à la personne. Celle-ci n'a ni le choix de la mesure qui est prononcée à son égard, ni de son corollaire, son coût.
Il aurait été logique d'appliquer à la protection juridique le principe général du droit de la comptabilité publique : la séparation des ordonnateurs et des comptables. D'un côté, l'ordonnateur constate les droits et vérifie le fait générateur de la recette - en l'espèce, le montant des ressources du majeur protégé. C'est un rôle qui pouvait naturellement échoir au mandataire à la protection, qui par sa pratique de la gestion et/ou de l'accompagnement budgétaire semblait le mieux placé pour attester des ressources à déclarer pour évaluer le montant de cette participation. La phase comptable, soit le contrôle des ressources, le calcul et le recouvrement du montant de la participation, pouvait être très simplement confié au Trésor public. Au lieu de cela, c'est le choix de la confusion des rôles en la personne du mandataire qui a été fait !
Au-delà des questions juridiques, c'est le problème de la relation que nous souhaitons soulever. Nous vérifions au quotidien le caractère intrusif et «maltraitant» de notre mandat à l'égard de la personne. L'un de nos outils et champs d'action principaux reste la gestion budgétaire et patrimoniale.
Toucher à l'argent, c'est s'immiscer dans l'intime, le symbolique, le rapport au monde, dans ce qui reste malheureusement parfois de seule représentation sociale de la personne protégée, son existence économique, sa capacité à consommer. Notre irruption dans ce domaine de l'intime par l'exercice d'une contrainte est un facteur principal de conflit dans la relation tutélaire qui se développe. Entre l'accompagnant et l'accompagné, c'est l'espace de toutes les négociations, adaptations, régulations qui vont se jouer pour la durée de la mesure. Comment la relation tutélaire peut-elle alors être préservée d'un tel risque d'opposition frontale, de conflit incessant ?
Notre place de médiateur entre la personne et son environnement permet une salvatrice triangulation de la relation. La contrainte exercée est celle de l'environnement de la personne protégée, de son histoire personnelle, de ses choix ou parcours de vie, des tiers - institutions, créanciers, famille... La posture professionnelle est de concilier la volonté propre du majeur et ces contraintes au moyen d'outils permettant une salutaire objectivation : budget, gestion des comptes.
Dès lors, nous, professionnels de la protection juridique, ne saurions être nous-mêmes pourvoyeurs de recettes ou de dépenses. Nous montons des dossiers de demandes d'aide ou de revenus supplémentaires ? Critères et décision d'attribution appartiennent à un tiers. Nous négocions un échéancier ou un budget ? Nous n'occupons qu'une place d'intermédiaire entre le sujet, son histoire et ses créanciers. Nous nous situons comme vecteur de contrainte et non pas à l'origine de celle-ci, qu'elle soit judiciaire, économique, légale... Affirmons que notre place de médiateur nous permet d'influer sur les choix économiques à condition que nous ne soyons pas nous-mêmes source de revenus ou de charges ! A l'inverse du choix fait par le législateur.
Autre écueil - et non le moindre- que soulève la perception des frais de tutelle par le mandataire : la possible évolution de la protection juridique vers la prestation de service. La prééminence du «je paye donc je suis» ne peut que renforcer la tentation de bien des majeurs et de leurs proches de nous réclamer services, comptes et interventions au nom de notre coût financier. Notre légitimité provient d'une décision de justice et non des sommes qui nous sont versées pour l'accomplissement de notre mandat. Nous rendons des comptes et adoptons les procédures les plus transparentes du fait d'un cadre légal et au nom d'une éthique professionnelle, qui placent la personne comme actrice de la gestion de ses propres affaires. La facturation de la participation du majeur est une conséquence juridique de notre mandat et n'en est en aucun cas le fait générateur !
La protection de la personne s'entend de manière globale. Les actions développées par le professionnel s'engagent dans des domaines définis par la situation et avec la personne. Elles ne sont pas déterminées par la nécessité d'un service quantifié et rendu contre rémunération, proportionnellement à celle-ci. Le propre de l'accompagnement est de faire du sur-mesure, il ne s'accomplit pas au regard d'une somme versée et fonction d'elle.
La réforme aurait été l'occasion d'une clarification quant à la relation à travers l'argent, elle a finalement opté pour la confusion. Notre intervention a des conséquences directes sur le budget de la personne ; de surcroît, nous nous servons nous-mêmes sur ses comptes ! Alors qu'il aurait été si simple d'acquitter ces charges suite à l'émission d'un titre du Trésor public ! A tous ces égards, la question des frais de participation des majeurs a tout du rendez-vous manqué. »
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