Déjà, il appelait sa mère « madame de Tirlipapan ». C'est elle qui le retire de l'école à 13ans. Trois ans plus tard, Gabriel Randon quitte la maison pour une jeunesse d'errance, de métiers précaires, de logements de fortune. Le Montmartre des années 1880 rassemble dans des bicoques en bois les familles populaires chassées du centre de Paris par les travaux du baron Haussmann. Finalement, à 22ans, Gabriel Randon trouve une place au chaud, un poste d'employé, qui lui permet de fréquenter les poètes symbolistes, mais surtout d'écrire. Et ce qu'il veut raconter, ce sont ses années passées dans la rue, sans rien trahir de sa souffrance.
Pour cela, il abandonne les alexandrins, et tente de retrouver le parler des rues. Les soliloques du pauvre naissent en 1897 : sept monologues qui disent en argot, en mots tronqués, en expressions inventées, la faim, le froid, la solitude. Mais également les rêves et hallucinations, la confusion mentale qu'entraînent de tels états. Dans un style en réalité très travaillé, l'auteur ménage les rebondissements, égrène en rythme les images sensibles et, in fine, suggère la réflexion, dénonce l'injustice. Devenus un classique de la littérature sociale, ces monologues sont réédités dans la nouvelle collection « Vox » des éditions Au Diable Vauvert, qui fait la part belle à la poésie. A l'époque, Gabriel Randon dénonçait les iniquités à haute voix et sur la scène des cabarets sous le pseudonyme de Jehan-Rictus, en hommage à un poème de François Villon, premier poète français à avoir écrit dans la langue de la rue. Jehan-Rictus écrira peu, mais se produira de scène en scène jusqu'à connaître le succès. Il recevra même la Légion d'honneur quelques années avant sa mort. Mais jamais il ne quittera Montmartre.
Les soliloques du pauvre et autres poèmes - Jehan-Rictus - Ed. Au Diable Vauvert - 5 €
Quand j'pass' triste et noir, gn'a d'qu'oi rire.
Faut voir rentrer les boutiquiers
Les yeux durs, la gueule en tir'lire,
Dans leurs comptoirs comme des banquiers.
(extrait d««impressions de promenades »)