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Travail pour tous

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Dans les Alpes-Maritimes, Cap entreprise, émanation de la fondation PSP Actes, utilise depuis douze ans une méthode spécifique - l'Intervention sur les offres et les demandes (IOD)- pour réinsérer des personnes très éloignées de l'emploi dans le milieu professionnel.

Ce matin, Christelle Lecat, chargée de mission dans l'équipe Cap entreprise Nice Nord, ouvre le grand tableau blanc accroché au mur. A gauche sont inscrits les usagers à la recherche d'un emploi. A droite, ceux en poste, en période d'essai. Au centre, les annonces de postes à pourvoir. « Personne n'est inemployable »... Tel est le slogan martelé par l'association bordelaise Transfer(1), conceptrice de la méthode Intervention sur les offres et les demandes (IOD) avec laquelle les équipes de Cap entreprise travaillent dans les Alpes-Maritimes depuis déjà douze ans, au sein du pôle accès à l'emploi(2) de la fondation Patronage Saint-Pierre Action éducative et sociale (PSP Actes). Une méthode visant à insérer, de façon durable, des personnes qui sont très éloignées de l'emploi. Avec un principe essentiel : au lieu de tirer l'usager vers l'emploi en améliorant son employabilité, il faut tirer l'entreprise vers l'usager en intervenant sur ses pratiques de recrutement, d'accueil et d'intégration des salariés. « Il s'agit d'avoir un pied dans le social et un autre dans l'entreprise, et de trouver des solutions adaptées aux problématiques actuelles de l'exclusion en agissant aussi sur les acteurs économiques », précise Jean-Marc Lafitte, directeur de l'association Transfer.

En 1995, le conseil général des Alpes-Maritimes envisage d'utiliser cette méthode née dans les années 1980. A l'époque, le nombre d'allocataires du RMI dans le département était largement supérieur à la moyenne nationale. « Le service de droit commun ne suffisait pas à ramener vers l'emploi toute une catégorie de personnes, se souvient Jean-Luc Antoniazzi, délégué à l'insertion et à la lutte contre l'exclusion au conseil général. Nous avons donc imaginé le dispositif Cap entreprise. C'est un partenariat entre Transfer, qui développe la méthode, le conseil général, qui finance l'opération à hauteur de 2 millions d'euros par an, et un opérateur local, la fondation PSP Actes. » En 1997, deux équipes de trois chargés de mission sont créées. Puis sept autres suivent en 2001, pour couvrir tout le département.

Les chevilles ouvrières de ces équipes sont les chargés de mission, tous formés à la méthode par Transfer. Leur travail consiste à proposer aux usagers, en quelques semaines, voire en quelques jours, des contrats « durables » : CDI ou CDD de plus de six mois et de plus de trente heures hebdomadaires, hors contrats aidés. Leurs profils sont aussi atypiques que la méthode IOD : commerciaux, professionnels de l'insertion, quelques travailleurs sociaux... « Quand ils arrivent, on les «déprogramme», sourit Caroline Poggi-Maudet, directrice du pôle accès à l'emploi de la fondation. Parce qu'ici nous ne sommes pas dans le traitement social des difficultés des usagers. On se fonde sur leur désir de travailler. Dans un premier temps, on ferme volontairement les yeux sur leurs difficultés pour les pousser à se recentrer sur le positif. Ensuite, c'est leur insertion professionnelle qui facilitera leur insertion sociale. »

Sur la base du volontariat

Allocataires du RMI pour 80 % d'entre elles, les personnes prises en charge par Cap entreprise lui sont adressées par les services sociaux de circonscription, les centres communaux d'action sociale et certaines associations. Toujours sur la base du volontariat. « On fait attention à ne pas être instrumentalisés, souligne Caroline Poggi-Maudet. Nous ne voulons pas devenir la dernière menace avant la radiation. » La plupart des usagers n'ont pas de qualification et n'ont pas travaillé depuis plus de un an. « Lors du premier accueil, on se met d'accord : nous proposons des postes de première qualification, ne nécessitant pas de diplôme et payés au SMIC - agent d'entretien, manoeuvre, agent de service hospitalier, serveur, etc. Ensuite, on discute pour cerner leurs besoins, leurs aptitudes et leurs freins », détaille Christelle Lecat, qui a intégré Cap entreprise en 1997, après un cursus orienté vers les langues étrangères et le commerce. Lors de ce rendez-vous, une fiche est remplie pour faire le point avec le candidat sur ses désirs et ses expériences passées. Dans les jours suivants, le chargé de mission lui propose des offres d'emploi correspondant à son profil. « Souvent, cela les étonne, rapporte la directrice du pôle. D'habitude, on leur demande de raconter et de réfléchir. Là, ils doivent choisir et agir. Et l'échelle de temps est différente. »

Pour garantir cette rapidité, il faut bien sûr avoir des offres d'emploi à proposer. C'est le deuxième axe du travail des chargés de mission : la prospection auprès des entreprises visant à capter des offres différentes de celles qui sont proposées par Pôle emploi (ex-ANPE). Pour cela, l'équipe contacte, physiquement ou par téléphone, les 600 entreprises de son réseau et d'autres hors réseau afin de connaître les postes à pourvoir. Régulièrement, les chargés de mission prospectent avec un usager. C'est le cas aujourd'hui de Fatima Benhora. Aidée par Sahara Benouahab, chargée de mission entrée à Cap entreprise il y a quelques mois et conseillère en insertion professionnelle de formation, elle vient faire un « tous pour un ». « Pendant une heure et demie, un ou deux chargés de mission prospectent dans le secteur qui convient au candidat. On prend l'annuaire et on appelle tous les employeurs potentiels. C'est très motivant pour le chercheur d'emploi », explique Sahara Benouahab. Fatima Benhora confirme : « A l'ANPE, ils nous donnent des ordres sans nous écouter. Ici, ils m'aident à me présenter, à me vendre. Ils savent ce que je cherche. Ils ne me laissent pas tomber. Grâce à eux, j'ai déjà obtenu un contrat de veilleuse de nuit dans une maison de retraite. Mais j'ai dû laisser tomber au bout de deux ans. C'était trop dur. Alors je cherche de nouveau. »

Pour éviter que les placements soient sans avenir, la relation du chargé de mission à l'entreprise va au-delà du recueil des offres. « Avec le chef d'entreprise, on décrit en détail le poste à pourvoir, les conditions de travail, l'environnement. Combien de palettes devra-t-il porter ? Combien de temps a-t-il ? On va sur place : on détecte le hangar froid, mais aussi le chef d'atelier sympa. Et tout cela, on le reformule au candidat. Il peut refuser le poste, en expliquant pourquoi. Mieux vaut cela, plutôt qu'il se présente le premier jour, mais ne revienne pas le lendemain », assure Caroline Poggi-Maudet.

« Eduquer » les recruteurs

Cette clarification du poste et des attentes de l'entreprise vise aussi, et surtout, à contourner l'hypersélectivité habituelle des recrutements. « Nous écartons d'emblée le recours aux CV et aux lettres de motivation et poussons plutôt les recruteurs à exprimer les besoins liés au poste. On ne parle pas de personne mais de potentiel, de capacité d'adaptation, résume la directrice. Ainsi, les critères discriminants d'âge ou de manque de diplôme disparaissent. » Les chargés de mission aident les entreprises à construire leur offre d'emploi, en les convainquant, par exemple, que le recours au CDI, plutôt qu'aux CDD répétitifs, est un gain de temps. Ce travail d'« éducation » des recruteurs est la clé de la méthode. En général, les petites entreprises, peu habituées à recruter, apprécient l'aide d'un professionnel réactif et ayant déjà opéré une sélection de candidats. Les chefs d'entreprise ne sont pas forcément au courant que les usagers de Cap Entreprise sont des allocataires du RMI. Ceux-ci sont simplement présentés comme des chercheurs d'emploi, à la recherche d'un contrat durable.

Cet après-midi, justement, Sahara Benouahab pousse la porte du pressing de Claudine Benassi. La gérante a recruté quatre personnes par le biais de Cap entreprise. La chargée de mission souhaite faire un bilan de leur collaboration. « Je n'arrivais pas à recruter seule : tous les farfelus postulaient, déplore la gérante. Cap entreprise a été efficace. J'apprécie aussi leur suivi du salarié, même après l'embauche. Certains employeurs trouvent la démarche intrusive, mais cela permet de réajuster quand ce n'est pas le candidat idéal. » Toute la difficulté est là : placer le plus de gens en poste sans perdre la confiance des entreprises partenaires à cause d'un candidat inadapté. « On est sans cesse dans cette double dynamique, économique et sociale, reconnaît Sahara Benouahab. Mais cela rassure ma crainte initiale de devenir une commerciale ! Et puis on reste dans le concret : la prospection continuelle demande du temps. Mais on a la satisfaction de permettre au chercheur d'emploi de retrouver une stabilité professionnelle. »

Lorsqu'une offre d'emploi à été négociée, le chargé de mission se présente toujours avec le candidat à son entretien d'embauche. Mais l'accompagnement ne s'arrête pas là : la systématisation du suivi post-embauche constitue une évolution de la méthode IOD, grâce à l'expérience du terrain. « La première semaine, nous contactons employeur et candidat deux fois, explique Christelle Lecat, car cette période d'adaptation est critique. » Pendant toute la période d'essai, le chargé de mission, garant du candidat auprès de l'employeur, peut être amené à recadrer l'usager ou à l'encourager, parfois en négociant pour lui de meilleures conditions de travail ou de rémunération avec l'employeur. Médiateur, il facilite la communication entre les deux parties pour éviter d'éventuelles ruptures de contrat. « Parfois, les employeurs n'ont pas le temps ou ne perçoivent pas l'utilité de ce suivi. Et certains usagers trouvent ça lourd : ils se sentent surveillés. Mais c'est en clarifiant encore et toujours les attentes respectives que l'insertion est durable », assure la chargée d'insertion.

Une obligation de résultats

C'est aussi pendant cette période que se renforce le partenariat entre Cap entreprise et les travailleurs sociaux. « Nous dirigeons les usagers vers Cap entreprise. Ensuite, c'est aux chargés de mission de revenir vers nous, explique une assistante sociale travaillant avec la structure. Nous réglons les freins à l'emploi : trouver une place en crèche, résoudre un problème de mobilité, de santé ou de logement. Et dès que la personne travaille, tout est obtenu plus vite. Quand ça coince avec un usager ou que Cap entreprise nous le renvoie, on organise systématiquement une réunion tripartite, pour une cohérence de discours. » Une collaboration avec les partenaires sociaux devenue plus étroite avec le temps, même si certains travailleurs sociaux ont encore du mal à se retrouver dans ce va-et-vient.

L'obligation de résultats est l'un des principes propres à la méthode IOD. « Notre objectif est de 50 % de personnes intégrées durablement. J'avoue que c'est un chiffre difficile à atteindre. Aujourd'hui nous atteignons les 43 %. Mais cette obligation de résultats, non liée aux moyens, est la seule façon de mesurer notre action pour la rendre lisible », affirme Jean-Luc Antoniazzi. « C'est une pression, admet, pour sa part, Caroline Poggi-Maudet. Mais attention, on n'en est pas à distinguer le «meilleur employé du mois». C'est une évaluation équipe par équipe, qui nous donne un cadre quantitatif et qualitatif. » Cette obligation d'insertion repose sur l'action collective des chargés d'insertion. Chacun doit placer en moyenne cinq personnes par mois, ce qui peut être stressant. « Mais c'est dynamisant, admet Sahara Benouahab. Le travail d'équipe nous permet de morceler nos tâches et de ne pas avoir l'impression de tout porter. »

Sur les 12 215 usagers passés par Cap entreprise depuis douze ans, 5 026 ont trouvé un emploi durable, soit 43 % d'entre eux. La moitié occupe un CDI à temps complet. Au fil des ans, le système est de plus en plus utilisé, alors que le nombre d'allocataires du RMI dans le département baisse. Les usagers restent en moyenne deux mois à Cap entreprise. Les chargés de mission, eux, captent environ 1 200 offres d'emploi par an. Et surtout 73 % des personnes ayant trouvé un emploi n'ont pas eu à présenter leur CV. « C'est la grande réussite de ce dispositif, se félicite Caroline Poggi-Maudet. Sans faire de grands discours, c'est l'action la plus concrète pour lutter contre les discriminations professionnelles. A certains employeurs qui affirment parfois : «Je ne peux pas recruter d'Arabe, ce n'est pas moi, ce sont mes clients», ou : «Je ne veux pas de personne de plus de 50 ans», on rétorque : «Quelles sont les tâches à accomplir ?» Recentrer sur ce que la personne sait faire, et non pas sur ce qu'elle est, c'est imparable. »

Reste qu'il ne s'agit pas d'une méthode miracle. D'abord, parce qu'un certain nombre de personnes orientées vers Cap entreprise ne s'y présentent pas. D'où les interrogations du conseil général : faut-il rendre plus attractif la présentation du service, plus efficaces les relances des usagers ? Ensuite, parce que 51 % des personnes sortent du dispositif sans solution d'emploi. « La méthode ne convient pas à tous les publics, et pas à tous les moments de la vie », admet la directrice. Et les emplois proposés ne correspondent pas nécessairement aux contraintes des candidats à l'insertion. Entre autres, les mères célibataires ont beaucoup de mal à occuper des postes aux horaires souvent décalés. « Pour ceux qui ont obtenu un poste, les causes d'échec sont multiples, détaille Christelle Lecat. Le manque d'autonomie ou de rapidité, par exemple. Certains ne passent pas la barre des entretiens, d'autres s'inscrivent parallèlement en intérim et ne sont jamais disponibles. » D'autres encore refusent des offres qu'ils jugent insuffisantes en matière de rémunération. « Nous avons un débat récurrent, déclare Jean-Luc Antoniazzi, délégué à l'insertion et à la lutte contre l'exclusion au conseil général. Faut-il que des personnes restent en portefeuille ? Moi, je suis contre. L'action n'est pas là pour résoudre des difficultés sociales importantes. Lorsque cela ne fonctionne pas, il faut passer la main à d'autres intervenants. » Au demeurant, 19 % des sortants sans solution professionnelle ne sont adressés à aucun relais.

L'inquiétude face au RSA

Parmi les chargés de mission de Cap entreprise, 70 % sont en poste depuis l'origine. Ils ont vu la méthode IOD évoluer. « Dans le bon sens, à mon avis, estime Christelle Lecat. Au départ, on faisait un travail journalier de groupe. Chaque matin, on proposait des offres à 25 personnes réunies en situation de concurrence. On avait l'impression de faire du quantitatif. Puis on est passés à un travail individuel. Le soutien est personnalisé et plus humain. A chaque poste, on ne présente qu'un candidat. » Cependant, la méthode reste encore perfectible, notamment en essayant d'élargir le vivier d'entreprises. « On travaille beaucoup avec des petites entreprises, constate Caroline Poggi-Maudet. Avec les grandes entreprises, qui ont une DRH, on ne peut plus influer sur les méthodes de recrutement. Pourtant, il faudrait qu'on parvienne à les atteindre. »

Une autre interrogation concerne l'évolution du public visé par Cap entreprise. Les prérequis sur les postes de premiers niveaux de qualification ont en effet augmenté. « Avant, une personne illettrée pouvait être agent d'entretien en mettant en place, par exemple, un système de code couleurs. Mais avec les mesures de sécurité et les normes, cela devient difficile », explique Christelle Lecat. « Il va falloir imaginer des formations dans l'emploi liées à un poste de travail, renchérit Caroline Poggi-Maudet. Sinon les personnes les plus en difficulté risquent de rester de côté. » Le conseil général se montre néanmoins satisfait de la méthode IOD. A tel point qu'il est en train de l'étendre aux jeunes. « Pour ceux qui ne fréquentent pas les missions locales, précise Jean-Luc Antoniazzi. Une nouvelle équipe dédiée se monte actuellement. »

Mais la principale inquiétude des partenaires du dispositif concerne la mise en place du revenu de solidarité active (RSA) au début juin. « Tout notre travail en réseau risque d'être bouleversé, analyse Jean Quentric, administrateur de la fondation PSP Actes. Jusqu'à présent, les usagers étaient orientés par leurs référents sociaux, mais demain ils le seront par leur référent Pôle emploi. Le risque est qu'une scission se produise entre le social et le professionnel. On craint de perdre le contact avec les publics les plus exclus. Et si l'usager rencontre une problématique sociale, à qui passera-t-on la main ? » Caroline Poggi-Maudet convient qu'un rapprochement avec Pôle emploi va s'imposer. « Jusqu'à présent, on connaît peu les autres acteurs du monde de l'insertion professionnelle... Et comment fonctionner si nos usagers sont soumis, eux aussi, à la règle des deux offres raisonnables d'emploi ? Tout va être à négocier. Ce qui est sûr, c'est que, pour nous, il y aura un avant et un après-RSA. »

Notes

(1) L'association Transfer développe la méthode IOD au sein d'une quinzaine de départements. Transfer : 26, cours Xavier-Arnozan - 33000 Bordeaux - Tél. 05 56 48 63 63.

(2) Pôle accès à l'emploi : SPACE-C - 208, route de Grenoble - 06200 Nice - Tél. 04 92 29 20 20.

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