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Transmission de données anonymes : vif débat sur les fiches de l'ONED

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Les fiches techniques transmises aux conseils généraux par l'Observatoire national de l'enfance en danger pour permettre le recueil et l'analyse des données relatives à l'enfance en danger au plan départemental et national suscitent la polémique. L'ANAS, suivie par d'autres organisations, dénonce des risques d'atteinte aux droits des personnes et aux principes professionnels, ce que conteste l'observatoire.

L'Association nationale des assistants de service social (ANAS) vient de lancer un gros pavé dans la mare de la réforme de la protection de l'enfance. Depuis le mois de janvier, l'Observatoire national de l'enfance en danger (ONED) diffuse aux départements des fiches techniques pour mettre en oeuvre le décret du 19 décembre 2008 organisant la transmission d'informations préoccupantes sous forme anonyme aux observatoires départementaux de la protection de l'enfance en danger à l'observatoire national, en vue de favoriser la connaissance des parcours et l'analyse des actions mises en oeuvre (1). Or, estime l'association, ces fiches font « courir des risques juridiques importants aux conseils généraux et aux travailleurs sociaux ». Elle dénonce des « risques d'atteintes graves aux droits des personnes et des citoyens », à quoi s'ajoute une « charge administrative très lourde » induite par plus d'une centaine de questions par situation. L'ANAS demande « un véritable débat public » sur la question du traitement et du recueil des informations dites « préoccupantes » et annonce saisir la CNIL (Commission nationale de l'informatique et des libertés) sur la création des fichiers départementaux, ainsi que la « commission éthique » du Conseil supérieur du travail social afin d'obtenir son avis sur le rôle des professionnels dans le dispositif.

L'association ne tire pas ainsi à boulets rouges sans détailler ses arguments. Pour commencer, défend-elle, les huit fiches portant sur la situation des enfants concernés et leur suivi « amplifient le champ d'intervention » du décret du 19 décembre 2008, qui « lui-même va au-delà de la loi ». L'association critique en particulier le terme de « suspicion » - d'addiction, de problèmes psychiatriques, de déficience mentale de l'adulte, ou encore de violences conjugales au sein du couple... - utilisé afin de décrire les conditions « participant à la situation de danger de l'enfant ». Le travailleur social, explique Laurent Puech, vice-président de l'ANAS, « intervient en tenant compte de faits avérés ou d'hypothèses, dans ce cas sans faire preuve de jugement, au risque de donner des informations erronées. C'est l'impact de la pratique sur l'enfant qui doit être l'objet central de l'information préoccupante. » En d'autres termes, signaler qu'un parent se présente en sentant l'alcool, ce n'est pas la même chose que de le suspecter d'alcoolisme. L'association souligne les risques de demande de diagnostic médical à des professionnels qui n'en ont pas la compétence, ou encore d'allégation de délit, avec les responsabilités juridiques qui s'ensuivent. Elle refuse « une porte d'entrée » par une « instruction à charge » et conteste « une lecture centrée sur la faille sans aucun item de compétence des parents, ni évaluation de l'intervention sociale elle-même et de ses effets », ainsi que le peu d'éléments environnementaux et matériels demandés. « Comment les travailleurs sociaux peuvent-ils remplir de tels documents alors que l'essence même de leur travail est de construire une relation de confiance avec les usagers en vue de les soutenir pour améliorer leur comportement ? », interroge l'ANAS.

L'ONED réfute ces accusations, contestant la pertinence de l'analyse de l'association, dans laquelle « les objectifs de l'observation des parcours en protection de l'enfance ne sont ni rappelés, ni discutés », et les modalités d'anonymisation « totalement absentes ». Le décret du 19 décembre 2008 dont découlent ces fiches techniques (leurs éléments devaient initialement figurer dans une annexe technique au texte), précise-t-il, « respecte le droit des parents et les libertés individuelles, les codes de déontologie des professionnels concernés et encourage une position éthique de chaque acteur ». La gestion des données nominatives au sein des services de l'aide sociale à l'enfance doit par ailleurs faire l'objet d'une déclaration de chaque département auprès de la CNIL.

Pour Paul Durning, directeur de l'ONED, la polémique est partie d'un malentendu : « Les fiches thématiques visent à enregistrer des caractéristiques sur les personnes et leur histoire dans le but d'améliorer la connaissance départementale et nationale de l'enfance en danger, non pas à guider l'intervention sociale. Le système d'observation ne devrait donc pas impacter les pratiques professionnelles. »

Il précise que les fiches ont été élaborées en concertation avec de nombreux professionnels et ont donné lieu à neuf réunions avec 78 conseils généraux et l'Assemblée des départements de France. D'ailleurs, souligne le directeur de l'observatoire, « certains départements recueillent déjà ces données à des fins statistiques. S'il est vrai que certains items ont été discutés au cours des réunions, il est apparu qu'ils sont essentiels pour comprendre pourquoi les mesures peuvent être longues ou échouer. » Le problème soulevé par l'ANAS sur la notion de suspicion ? « Je comprends cet argument, répond Paul Durning. Mais depuis 1989, les professionnels n'attendent pas les décisions médicales ou de justice pour faire des signalements. Ils intègrent ces éléments dans leurs rapports en veillant à la confidentialité des informations. Et la suspicion visant la protection n'est pas la condamnation. » La mission de protection de l'enfance ne peut être envisagée, insiste-t-il, en dehors de toute connaissance des situations et de leur évolution. Par voie de communiqué, la riposte de l'ONED est encore plus acerbe : l'ANAS semble, selon lui, privilégier « systématiquement la qualité de la relation entre l'«usager» et son assistant social à la protection des enfants concernés »...

Le sujet, hautement sensible, est complexe. Le conseil général du Loiret, pour sa part, ne commencera pas le recueil des données avant l'autorisation de la CNIL de travailler sur le paramétrage de son outil informatique. « Certaines fiches risquent à nos yeux de poser un problème au regard de la culture et de l'éthique du travail social et de la façon dont la CNIL traite les données sensibles, précise Jean-François Kerr, directeur de l'enfance et de la famille. Quand nos services effectuent un signalement, c'est sur un mineur en danger ou susceptible de l'être, non sur un auteur susceptible d'avoir mis un mineur en danger. »

Tandis que le groupe d'appui de la réforme de la protection de l'enfance, piloté par l'Unasea, devrait se pencher sur la question, l'Organisation nationale des éducateurs spécialisés (ONES) partage les nombreuses réserves de l'ANAS. Elle alerte les travailleurs sociaux amenés à remplir ces fiches, demande la suppression de tous les « items nominatifs » et la révision de l'outil après consultation des professionnels. Même réclamation de la part du Syndicat national des médecins de protection maternelle et infantile (SNMPMI), selon lequel les fiches techniques font courir aux professionnels le risque d'une double faute : « celle de porter atteinte au secret professionnel et celle d'outrepasser ses compétences ». Alors que nombre d'informations préoccupantes transmises aux cellules départementales sont considérées par celles-ci comme infondées, « on risquerait de voir se constituer un véritable fichage de masse aboutissant à une traçabilité sociale des populations en difficulté », craint le SNMPMI. Il estime que l'objectif d'observation gagnerait à être poursuivi avec des études sur échantillons. Selon lui, certaines données requises « sont excessives au regard des finalités et les conditions de recueil sont susceptibles d'altérer la fiabilité des résultats ». Les professionnels auront-ils le temps d'accomplir cette tâche d'ampleur de façon pertinente pour toutes les situations, sur le long terme ? Quid de la modification des fiches quand un élément suspecté se trouve invalidé ultérieurement ? Au-delà, les professionnels s'inquiètent de la compatibilité entre cette logique de recensement et les missions professionnelles : « Un outil aussi structurant ne peut pas être sans effet sur les pratiques », estime Pierre Suesser, président du SNMPMI.

Notes

(1) Voir ASH n° 2589 du 2-01-09, p. 13.

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