Recevoir la newsletter

Génération sacrifiée

Article réservé aux abonnés

Face à sa jeunesse, la France s'accepte depuis trop longtemps schizophrène. D'un côté, année après année, un constant désir d'enfants, soutenu par une politique familiale volontariste et diversifiée, à l'origine d'un essor démographique en complet décalage avec le reste d'une Europe vieillissante. De l'autre, comme une véritable discrimination à l'égard des jeunes, dont témoigne leur malaise exacerbé, de manifestations lycéennes en « décrochage » silencieux des études, d'explosions sporadiques de violences urbaines en grèves étudiantes à répétition. Voici trente ans que les générations, si choyées dans leurs premières années, se transforment les unes après les autres, pour un grand nombre de jeunes, en générations sacrifiées quand vient le moment de prendre leur autonomie. Sans ressources ni logement propre - un cinquième des jeunes de 16 à 25ans vit en dessous du seuil de pauvreté, et nombreux sont ceux qui, malgré qu'ils en aient, restent dépendants de l'aide de leur famille-, sans formation - 120 000 quittent chaque année le système scolaire sans diplôme -, sans insertion professionnelle autre que la litanie des stages sans embauche ou, au mieux, la succession de CDD précaires, sans perspective, sinon la certitude d'avoir à rembourser d'une manière ou d'une autre la dette publique égoïstement contractée par leurs parents, ils sont dans l'incapacité de réaliser leurs aspirations, et encore moins leurs rêves. Notre malthusianisme n'est plus démographique, il est social et économique. C'est une maltraitance collective que nous infligeons à nos enfants, contraints de patienter longuement aux portes de l'entreprise, de la vie sociale, d'une complète citoyenneté. La crise ne fait qu'accuser ce paradoxe insupportable. Parmi les facteurs à même d'en faciliter pour notre pays une sortie aussi rapide que possible, chacun de citer au premier rang sa vitalité démographique, et l'élan et l'inventivité ainsi promis à notre société. Mais, dans le même temps, ce sont les jeunes de qui est attendu ce sursaut de dynamisme qui souffrent les premiers et le plus gravement. Tombent en rafales des chiffres tous plus noirs les uns que les autres: un taux de chômage des jeunes de 23 %, en augmentation de 32 % en un an, largement plus du double de celui des adultes, une prévision, toutes choses égales par ailleurs, de 150 000 à 200 000jeunes demandeurs d'emploi supplémentaires à la fin de l'année, alors qu'ils sont déjà 435 000 aujourd'hui, et, pire encore, une proportion sans précédent qui, selon un récent sondage, se dit sans plus aucune confiance dans l'avenir, à des niveaux que seuls les jeunes Japonais rejoignent parmi les pays industrialisés. Une génération no future dans une société qui affirme par son taux de natalité son désir d'avenir...

C'est dire l'enjeu essentiel des travaux de la commission sur la politique de la jeunesse, dont le coup d'envoi vient tout récemment d'être donné. Tant de souffrances et de désespérances lui imposent de sortir de l'éternel retour de l'identique, de ces plans gouvernementaux d'urgence qui mêlent rituellement un zeste de contrats aidés, une dose d'exonération de charges sociales, une pincée de formation, un bout de prime à l'embauche, sans résultats probants, en tout cas à hauteur des attentes et des besoins. Ce qui est en cause, c'est notre capacité à donner à la jeunesse sa vraie place dans notre société, la première, comme nous l'avons réussi pour l'enfance selon un consensus partagé et fort. C'est-à-dire à la considérer comme un atout décisif, et non à se contenter d'attendre, selon la formule passablement cynique, qu'elle se passe.

Pour cela, les bastilles à abattre sont depuis longtemps identifiées: une générosité financière qui ne va pas vers ceux qui en ont le plus besoin, qu'il s'agisse des prestations familiales, des aides au logement ou des dispositifs fiscaux; un système d'orientation proliférant et désarticulé, qui ne réussit pas à apporter la bonne information au bon moment; des institutions de formation qui ne se reconnaissent aucune responsabilité dans la deuxième chance à proposer à ceux qu'elles ont laissé partir sans qualification; un accompagnement qui, malgré l'engagement des équipes des missions locales et des permanences d'accueil, d'information et d'orientation (PAIO), laisse en dehors de tout suivi individuel près de 40 % des jeunes en difficulté; un marché du travail qui exige l'expérience, mais des entreprises qui renâclent à s'engager dans la formation des jeunes...

On ne relèvera pas le défi de la jeunesse sans remettre en cause certains des tabous les mieux ancrés de notre société, sans oser les initiatives à même de bousculer nos égoïsmes, et sans mettre résolument chacun devant ses responsabilités. Il y faut de l'audace, encore de l'audace, toujours de l'audace. Car il ne s'agit de rien d'autre que d'imaginer et de modeler une société différente pour ce siècle qui commence. Une société mieux rassemblée et plus ouverte à sa diversité, qui donne enfin toute sa place à sa jeunesse et, avec elle, se projette toute entière vers l'avenir à construire, avec confiance.

Le Point de vue de...

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur