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Les associations face au marché : l'impasse ?

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La généralisation du recours à la commande publique via les appels d'offres inquiète les associations du secteur social. Selon elles, la mise en concurrence qui en découle, en niant leurs spécificités, remet en cause leur identité et déstabilise l'ensemble du mouvement associatif.

Les associations du secteur social ne cachent plus leur désarroi : les collectivités publiques délaissent les conventions de subvention qui régissaient jusque-là leurs relations avec les associations au profit de la commande publique (voir encadré ci-dessous). A la culture de la subvention se substitue peu à peu des contrats complexes qui impliquent, outre la conformité à un cahier des charges, une mise en concurrence qui désarçonne les acteurs. Car le champ d'application de la commande publique s'élargit chaque jour un peu plus. Les premiers appels d'offres ont touché, dès le début des années 2000, l'animation socioculturelle (enfance et jeunesse), bientôt suivie par le secteur de la petite enfance. Depuis quelques années, ceux de l'insertion par l'activité économique (IAE) et de l'insertion par le logement, de même que la formation professionnelle et les services à la personne, sont également visés.

Jusque-là, les associations avaient réagi assez faiblement. Or cette indifférence relative (1) cède la place à un sentiment plus partagé depuis que le recours à la commande publique se systématise et s'élargit à des secteurs comme le suivi socio-judiciaire, l'accompagnement social des titulaires du revenu minimum d'insertion (RMI) ou le droit au logement opposable (DALO) - avec, pour l'instant, une concurrence essentiellement inter-associative. En outre, des conseils généraux ont récemment eu recours aux marchés publics pour des activités de prévention spécialisée et de protection de l'enfance relevant de la loi 2002-2 (2) - alors que jusqu'ici n'étaient pas concernées les associations dont l'activité était régie par un cadre légal spécifique.

Il ne s'agit pas d'un dogmatisme idéologique de principe contre la concurrence - les acteurs associatifs lui reconnaissent même certaines vertus, comme la stimulation de l'offre et la remise à plat de leurs relations avec les pouvoirs publics -, mais bien d'une inquiétude profonde liée à la généralisation de cette approche. Celle-ci dénaturerait le partenariat entre les associations et les collectivités publiques en le réduisant à « une relation de donneurs d'ordre à prestataires », comme le souligne l'Uniopss (Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux). Et, pour la Conférence permanente des coordinations associatives (CPCA), on assisterait à « une révolution culturelle et économique de fond » renvoyant « désormais le principe de la subvention de fonctionnement (ou de soutien au projet associatif) à une époque révolue, incompatible avec le triptyque «efficacité-performance-rentabilité» ». La charge peut sembler forte. Elle fait écho aux préoccupations des têtes de réseau associatives, qui observent, depuis un an environ, une recrudescence des interrogations de leurs adhérents sur ce thème.

Cette évolution s'inscrit dans un environnement politique qui voit s'affronter deux visions des relations entre les associations et les collectivités publiques, par rapports interposés : en juin 2008, Jean-Louis Langlais, inspecteur général de l'administration honoraire, préconisait le passage « de la culture de subvention à celle de la commande publique » (3). Alors que, quatre mois plus tard, la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la gouvernance et le financement des associations défendait la position opposée en prônant la généralisation des subventions dans le cadre des contrats d'objectifs pluriannuels pour sécuriser le financement des associations (4). Dans ce contexte sensible, la mention d'une procédure d'« appel à projets » dans le projet de loi « hôpital, patients, santé et territoires » accroît encore le malaise des associations gestionnaires d'établissements. L'inquiétude est d'autant plus importante que le ministère de l'Economie concourt à brouiller les pistes. Exemple : en mai 2008, dans une note adressée à l'administration pénitentiaire, la direction des affaires juridiques de Bercy stipulait que le placement extérieur des détenus devait faire l'objet d'une procédure d'appel d'offres, arguant du caractère d'« opérateur économique » des associations socio-judiciaires. Quelques mois plus tard, en décembre 2008, la même direction affirmait, dans une lettre à destination de l'Assemblée des départements de France, que la mise en oeuvre des mesures d'accompagnement social personnalisé (MASP) pouvait faire l'économie d'un tel recours étant donné la nature sociale de la demande. « Nos positions peuvent être amenées à changer en fonction de l'évolution du marché économique, reconnaît Michèle Hourt, sous-directrice de la commande publique au ministère de l'Economie. Or ce marché s'élargit avec l'arrivée d'opérateurs marchands dans des secteurs jusque-là réservés aux associations. »

Eviter les contentieux

Compte tenu de ce flou juridique, de plus en plus de collectivités - conseils régionaux, conseils généraux, communautés d'agglomération, communes... jusqu'aux petites communes rurales - font le choix de recourir aux procédures lourdes des appels d'offres pour se prémunir contre d'éventuels contentieux juridiques (voir encadré, page 26), même quand elles pourraient continuer à signer des conventions de subvention. « Beaucoup d'élus se sentent acculés par leurs services juridiques avec l'idée que la convention de subvention n'est pas bien bordée juridiquement, précise Carole Salères, conseillère technique à l'Uniopss. Or les subventions sont aussi soumises à des garanties avec le contrôle des commissaires aux comptes, les comptes rendus d'activités... » Pour Patrick Loquet, maître de conférences en droit, « on est dans une logique de crainte absolument irrationnelle ».

Au-delà de la prévention des litiges, l'application du code des marchés publics ne serait pourtant pas sans vertu : selon ses partisans, le contrat permettrait de répondre aux besoins du public avec souplesse, efficacité et au meilleur coût. Paradoxalement, pourtant, nombre d'élus (contrairement à leurs services juridiques), habitués à travailler avec les réseaux associatifs, voient d'un mauvais oeil la généralisation de la commande publique qu'ils jugent lourde et complexe, notamment lorsque le secteur est peu concurrentiel : les associations susceptibles de répondre au marché sont alors bien connues des collectivités qui les créditent d'un savoir-faire dans leur domaine d'activités.

Dans ce contexte, l'appel d'offres a-t-il un sens ? Sans compter que, surtout pour les petites communes, il peut y avoir des problèmes de compétences pour élaborer le cahier des charges. Car qui mieux que les associations de terrain spécialisées dans leur secteur sont dotées de l'expertise nécessaire ? Localement, il peut arriver qu'une association remporte un appel d'offres alors qu'elle a, en amont, conseillé les services administratifs municipaux lors de la rédaction du cahier des charges. Or, si un doute existe sur l'égalité de traitement entre les candidats, le contentieux est possible...

Pourquoi alors les élus se laissent-ils si facilement convaincre ? Patrick Loquet n'est pas loin de voir, derrière cette ambivalence politique, des objectifs peu avouables : le recours à la commande publique serait un moyen efficace et discret pour les collectivités de limiter leurs dépenses dans un contexte de restriction budgétaire. « Le décideur définit ses conditions : si l'association y répond, tant mieux. Sinon tant pis pour elle », résume-t-il.

En outre, la mise en concurrence des associations offre l'occasion aux collectivités de rebattre les cartes de leurs partenariats - parfois en mettant fin aux monopoles associatifs historiques qui existent sur certains territoires. Pour le meilleur, lorsque la politique d'achat fait valoir la qualité de la prestation ; pour le pire lorsque c'est le moins disant financier qui est retenu ou qu'il s'agit d'un moyen de se débarrasser à bon compte d'une association avec qui la collectivité entretient de mauvaises relations - au risque de porter atteinte aux usagers et à la stabilité professionnelle du personnel (5). A l'inverse, des collectivités s'arrangent, malgré l'appel d'offres, pour maintenir plusieurs opérateurs-par exemple en déclinant le marché sous la forme de lots (par territoires, par publics...). Mais même si cette pratique est plutôt bénéfique aux associations, il n'est pas sûr que les règles d'attribution du marché soient toujours plus transparentes...

Face à cette situation, la plupart des têtes de réseau associatives temporisent. Certaines, à l'instar de Chantier-école, plutôt favorables à la commande publique au départ, se disent désormais « dans l'expectative ». La FNARS (Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale) avoue ne pas avoir « de position officielle et tranchée mais beaucoup d'interrogations ». D'autres montent au créneau. Comme la fédération Citoyens et justice, qui estime que la logique de concurrence constitue une « négation des valeurs sociales portées par les associations ». Et, signal fort, l'Uniopss a publié, en février dernier, une « position politique » où elle évoque de façon très argumentée les « risques d'une systématisation du recours à la mise en concurrence » (6).

Car, sur le terrain, les associations confrontées à la commande publique doivent faire face à de multiples difficultés. En tout premier lieu, elles doivent effectuer un travail de veille pour repérer les appels d'offres, puis, le cas échéant, rédiger le dossier de candidature. Autant de tâches qui nécessitent des ressources en temps et en personnel pour respecter les délais impartis, ce qui ne favorise pas les petites associations. « A quoi cela sert-il de mettre en concurrence trois associations alors que l'action peut ne concerner qu'une quarantaine de personnes ? », pointe Denis L'hour, directeur général de la fédération Citoyens et justice.

Formatage des pratiques

Sur un plan plus politique, le cahier des charges, élaboré unilatéralement par le commanditaire, dénie aux associations toute marge de manoeuvre. Réduites à des prestataires de service, elles n'ont plus les moyens de faire valoir leurs spécificités et leur expertise et craignent une perte d'autonomie vis-à-vis des pouvoirs publics et un formatage de leurs pratiques. « Cela a pour effet immédiat d'assécher l'innovation territoriale et notre culture de développement », s'alarme Maurice Monoky, président de l'Arofesep (Association régionale des organismes de formation de l'économie sociale et de l'éducation permanente) dans le Nord-Pas-de-Calais. « Les capacités des associations à innover, à initier, à gérer la pénurie, à prendre du temps, à créer du lien social ne pèsent plus guère dans la balance », renchérit Philippe Dupuy, délégué national « petite enfance et emploi » de l'ACEPP (Association des collectifs enfants parents professionnels). En outre, selon les acteurs associatifs, le recours à la commande publique signerait la mort du travail de gré à gré, dans une relation de confiance mutuelle et de proximité avec les élus. « C'est tout un maillage associatif local qui pourrait disparaître », regrette Eric Rossi à Familles rurales. Car, paradoxalement, loin de défaire des « rentes de monopole », la logique concurrentielle pourrait favoriser les grosses associations nationales, seules à même de répondre rapidement et avec le degré de technicité exigé. Et c'est sans compter avec la pénétration des opérateurs marchands, particulièrement prégnante dans le champ de la petite enfance. Confrontées à des méthodes et à des savoir-faire nouveaux en termes de marketing et de communication, les associations doivent revoir leurs pratiques. Car, même chez des élus a priori peu tournés vers le secteur marchand, un site Internet réactif ou une belle plaquette peuvent faire pencher la balance... Or l'arrivée de ces nouveaux opérateurs pose la question de l'ancrage territorial et du lien avec l'usager. « Leur prestation peut être techniquement très bonne, explique Eric Rossi. Mais qu'en est-il de la dynamique de développement local ? Le risque, c'est la généralisation d'attitudes de consommateurs de services au détriment d'une participation citoyenne qui fait le coeur de notre projet associatif. » Pour Jean-Pierre Caillon, président d'un chantier-école, la commande publique n'est tout simplement pas adaptée au milieu rural où les sommes en jeu sont souvent dérisoires : « A-t-on vraiment besoin de recourir à ce type de procédure pour des marchés de 300 € ? » Acculées, certaines associations acceptent pourtant des marchés en sous-estimant sciemment les coûts - avec, à la clé, le risque d'être déficitaires - de peur de disparaître du paysage. Car l'alternative se résume parfois à une seule question : répondre ou mourir ? Aussi, le mouvement Familles rurales préconise de répondre à la commande publique, à condition que le projet soit compatible avec les valeurs portées par l'association et cohérent avec l'action menée sur le territoire. « Malgré nos nombreuses réserves, on ne peut se permettre d'être en dehors du système », avance également l'ADMR (Association du service à domicile).

Reste que, au vu de la variété des situations, il est difficile pour les fédérations de fixer une ligne de conduite définitive. Certaines associations locales ne répondent pas aux appels d'offres par principe, par inexpérience ou par manque d'outils -alors qu'elles sont parfois à l'origine même du service mis en concurrence par les pouvoirs publics ! D'autres s'y lancent au risque de se mettre en danger financièrement ou de perdre leur âme en renonçant à leur identité et à leur projet. Pour d'autres encore, qui ont davantage de marges de manoeuvre, les appels d'offres sont une opportunité d'accession à de nouveaux marchés -parfois au prix d'une concurrence entre associations dont l'issue peut s'avérer inattendue. Ainsi, à Nîmes (Gard), le marché de l'accompagnement individualisé des allocataires du RMI a été remporté par une seule association qui finalement sous-traite une partie du dispositif aux associations du secteur !

Même quand le marché n'est pas un enjeu vital pour l'association, force est de constater que la logique concurrentielle la pousse à rogner, d'une façon ou d'une autre, sur la qualité du service. La fédération Familles rurales du Doubs a accompagné une de ses associations locales dans la réponse à l'appel d'offres d'un syndicat intercommunal concernant la gestion d'une structure multi-accueil dans le cadre d'une délégation de service public. Bien implantée dans le territoire, l'association pouvait difficilement faire l'impasse sur ce nouveau service. Malgré la concurrence (trois entreprises privées et trois associations, dont deux appartenant à des grosses fédérations d'éducation populaire), Familles rurales a remporté le marché en faisant le pari d'un taux de fréquentation de 70 % dès la première année - contre 60 à 65 % habituellement. Une prise de risque qui s'est finalement avérée payante, mais au prix d'un règlement intérieur drastique pour optimiser le remplissage.

Ce type de compromis - recul subtil, mais bien réel, par rapport à l'action telle qu'elle aurait été menée dans le cadre d'un partenariat classique - n'est pas rare. Autre exemple, l'Association départementale des maisons pour l'insertion (ADMI) signait jusqu'en 2007 une convention annuelle avec le conseil général de la Somme pour financer un poste consacré au dispositif d'accompagnement social lié au logement (ASLL). Pour obtenir le marché en 2008, l'association a décidé de répondre à l'appel d'offres en partenariat avec les autres associations du secteur. Le cahier des charges prévoyait une enveloppe de 50 € au maximum par diagnostic (en amont de la mesure d'ASLL) alors que les associations l'évaluaient à 120 € . Pour obtenir une partie des lots, elles ont finalement dû accepter le tarif fixé par le conseil général au prix d'une intensification du travail en augmentant le nombre de mesures par an - « aux dépens de la qualité », regrette Yannick Anvroin, directeur de l'ADMI.

Les effets pervers de la commande publique sont particulièrement frappants dans le champ de l'IAE. Ainsi, dès 2007, le conseil général de l'Indre a lancé un appel d'offres pour l'accompagnement des titulaires du RMI, auquel l'association Solidarité Habitat a répondu dans le cadre de son chantier d'insertion -jusque-là financé par une convention de subvention qui permettait d'accompagner les allocataires pendant deux ou trois ans selon un quota déterminé avec la collectivité. Le « marché à bons de commande » tel que défini par le département bouleverse la donne : non seulement l'accompagnement est limité à une seule année, mais il est institué un système de primes versées en cas d'obtention d'un CDI, d'un CDD de plus de neuf mois ou d'une formation de plus de neuf mois, qui sont très difficiles à obtenir. Autant d'éléments qui aboutissent à un écrémage des publics. Solidarité Habitat se voit contrainte de recruter des personnes peu éloignées de l'emploi, ce qui dénature la mission même du chantier d'insertion.

En réponse à ces coups de butoir, le secteur associatif doit opérer des mutations, dont toutes ne sont pas néanmoins négatives. Ainsi en va-t-il des regroupements inter-associatifs et de la mutualisation des moyens, de plus en plus incontournables pour répondre aux appels d'offres - parmi les petites associations comme parmi les fédérations qui s'organisent sous la forme de « groupements solidaires » (7). Ce qui suscite, sur le terrain, de petites révolutions culturelles puisqu'il s'agit, pour les associations, d'apprendre à travailler avec leurs concurrents. La généralisation du recours à la commande publique oblige également les réseaux associatifs à se restructurer en consolidant leurs échelons régionaux ou départementaux pour mieux accompagner les associations locales dans leurs réponses. Formation et outillage technique des acteurs deviennent incontournables. L'Uniopss élabore ainsi un guide politique, juridique et technique à destination de ses adhérents, dont la parution est prévue en septembre prochain.

Au-delà et à un niveau plus politique, les fédérations se mobilisent pour faire pression sur les pouvoirs publics afin de co-construire un mode de relations avec eux dans le respect des spécificités associatives. Il peut s'agir de sécuriser le régime des subventions - notamment sous la forme de conventions pluriannuelles d'objectifs - ou de promouvoir, comme le souhaite l'Uniopss, en cas de carence de l'offre dans certains territoires, « une commande publique socialement responsable et transparente », qui ferait une place plus large aux critères sociaux et environnementaux.

L'enjeu est d'autant plus important aujourd'hui que les exigences de la législation européenne sur les aides d'Etat encouragent les collectivités locales à recourir aux procédures de marché public (8).

SUBVENTION, DÉLÉGATION OU MARCHÉ PUBLIC

Les relations entre les associations et les collectivités publiques sont traditionnellement régies par le système des subventions. La subvention est une contribution financière versée par une collectivité publique à un service revêtant un caractère d'intérêt général. L'initiative et la mise en oeuvre du projet sont le fait de l'association. Aucune contrepartie directe n'est attendue par la collectivité publique.

A l'inverse, lorsque la collectivité est à l'initiative du projet, elle doit passer par la commande publique, qui implique la publicité et la mise en concurrence des opérateurs. Elle a le choix entre deux contrats : la délégation de service public (DSP) et le marché public. Par le biais de la DSP, elle confie la responsabilité de la gestion d'un service public à un délégataire public ou privé, qui se rémunère sur l'exploitation du service (dont il assure la mission) et qui en assume le risque financier.

Via le marché public, réglementé par le code des marchés publics (CMP) qui a connu trois versions en cinq ans (2001, 2004 et 2006), la collectivité effectue un achat pour ses besoins propres (travaux, fournitures, services). Elle a la maîtrise totale de la définition de la commande passée par la procédure d'appel d'offres. L'association fournit une prestation de service contre une rémunération fixe.

LES « CLAUSES SOCIALES » PEU UTILISÉES DANS LES MARCHÉS PUBLICS

Les associations sont particulièrement concernées par l'article 30 du code des marchés publics (CMP). En 2001, cet article stipulait que les services de qualification et d'insertion professionnelles et les services sociaux et sanitaires étaient exclus de la publicité et de la mise en concurrence et relevaient d'une procédure allégée. Depuis 2006, l'article 30 ne cite plus nommément ces secteurs. Il continue néanmoins de reconnaître une procédure plus souple, adaptée à la nature des besoins à satisfaire et au nombre d'opérateurs susceptibles d'y répondre pour certains marchés. Mais cette liberté, placée sous le contrôle a posteriori du juge, inquiète les collectivités qui préfèrent recourir à des appels d'offres classiques afin de se prémunir contre une éventuelle requalification juridique de la procédure.

Au-delà de l'article30, d'autres articles du CMP développent des « clauses sociales » dans la passation des marchés. L'article 14 oblige les opérateurs marchands à consacrer, dans l'exécution du marché, une partie des heures de travail générées à une action d'insertion. L'article53 permet de retenir, parmi les critères d'attribution d'un marché, « les performances de l'entreprise en matière d'insertion des publics en difficultés ». Ces articles sont toutefois peu utilisés par les administrations publiques.

Nantes Métropole fait, à cet égard, figure d'exception : en 2004, son conseil communautaire décidait en effet de mettre en oeuvre des clauses d'insertion professionnelle dans ses marchés publics - d'abord dans le cadre de l'article 14, puis, à partir de 2007, dans le cadre de l'article 53. A cet effet, a été créée une cellule spécifique, à l'interface entre les donneurs d'ordre, les structures d'insertion, les prescripteurs (Pôle emploi, maison de l'emploi, mission locale...) et les entreprises, chargée de l'application, du suivi et de l'évaluation. Depuis 2005, plus de 660 000 heures ont ainsi été dédiées à l'insertion. Le succès de l'opération a conduit la communauté urbaine à étendre le dispositif à l'article 30 du CMP en 2008. « Cette procédure adaptée respecte mieux notre identité de chantier d'insertion », constate Michel Doinel, directeur de l'association Arbres, qui organise des chantiers de collecte et de tri sélectif de papier.

Reste néanmoins qu'une circulaire du Conseil d'Etat du 30janvier 2009 rappelle que, malgré leurs spécificités, les marchés passés dans le cadre de l'article30 demeurent régis par le CMP.

BRIGITTE CLAVAGNIER
« Un risque de disparition du secteur associatif »

Avocate et directrice de la rédaction de Juris associations, Brigitte Clavagnier estime que les pouvoirs publics n'ont pas envisagé les effets pervers de la mise en concurrence pour les associations.

Pourquoi la logique des appels d'offres inquiète-t-elle les associations ?

Que ce soit dans le cadre d'un marché public ou d'une délégation de service public, les associations rejettent le principe de mise en concurrence qui sous-tend le recours aux appels d'offres. Ce principe est totalement inadapté aux activités gérées par les associations.

Quels sont ses effets ?

Non seulement les associations sont réduites à un rôle de prestataire de service, mais les appels d'offres favorisent les grosses associations au détriment des petites, qui n'ont pas les moyens d'y répondre. Le risque est de favoriser des associations de techniciens sans ancrage local et en amoindrissant le lien social. En outre, les appels d'offres, en faisant émerger une concurrence commerciale, placent les associations dans une situation fiscale différente impliquant leur assujettissement aux impôts commerciaux. Le surcoût n'est pas sans danger pour elles. Par ailleurs, en entrant dans une logique de marché, les associations s'exposent à ne plus pouvoir recourir aux subventions publiques. Or cet enchaînement d'effets pervers et de dommages collatéraux n'est pas, pour l'instant, envisagé par les pouvoirs publics.

A terme, quelles peuvent être les conséquences ?

La mise en concurrence risque d'aboutir à la casse de la vie associative locale. Ensuite et plus largement, c'est l'ensemble du secteur associatif qui court le danger de disparaître du paysage. C'est pourquoi nous sommes devant un véritable choix de société. Ce qui est inquiétant, c'est que les pouvoirs publics n'en ont pas encore pris conscience. Or s'il faut un an pour tuer une association, il en faut dix pour reconstituer un réseau de bénévoles !

PROPOS RECUEILLIS PAR C. S.-D.

Notes

(1) Dès septembre 2006, la CPCA avait toutefois dénoncé un nouveau code des marchés publics « pas assez clair sur la spécificité associative » .

(2) C'est le cas notamment du conseil général de Vendée.

(3) Dans un rapport intitulé Pour un partenariat renouvelé entre l'Etat et les associations - Voir ASH n° 2571 du 5-09-08, p. 20.

(4) Rapport d'information sur La gouvernance et le financement des structures associatives - Voir ASH n° 2575 du 3-10-08, p. 19.

(5) Si la reprise ne s'effectue pas dans les mêmes termes, une association qui remporte un appel d'offres n'est pas dans l'obligation de reconduire l'équipe du gestionnaire précédent.

(6) « Les associations de solidarité face aux logiques de mise en concurrence » - Voir ASH n° 2596 du 13-02-09, p. 25.

(7) Selon l'article 51 du code des marchés publics, le groupement est solidaire lorsque chacun des opérateurs économiques membres du groupement est engagé financièrement pour la totalité du marché.

(8) Voir notamment le rapport de la France sur les compensations de services d'intérêt économique général, ASH n° 2602 du 27-03-09, p. 18.

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