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Lieux de privation de liberté : le contrôleur général dénonce l'insalubrité des locaux et les mauvaises conditions de séjour

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C'est un premier bilan d'activité glaçant mais sans réelle surprise que Jean-Marie Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, a rendu public le 8 avril (1) Depuis sa nomination en juin dernier et jusqu'au 31 décembre 2008, il a effectué 52 visites, notamment dans 16 établissements pénitentiaires, 5 hôpitaux psychiatriques spécialisés, 10 centres et locaux de rétention et 1 zone d'attente, dont l'« état actuel est loin d'être satisfaisant ». Au-delà des constats, le contrôleur général s'est aussi penché sur la question du respect de l'intimité dans les lieux de privation de liberté (2).

Vers une croissance certaine dessaisines

Au 31 décembre 2008, les services du contrôleur général comptaient, lui compris, 20 contrôleurs en équivalent temps plein, un effectif qui a été suffisant, selon lui, pour réaliser ses missions en 2008. Les crédits alloués en juillet dernier ne permettant pas d'assurer la pérennité des missions en année pleine, la chancellerie a accordé à Jean-Marie Delarue une « augmentation significative de l'enveloppe en 2009 », la portant à « un peu plus de trois millions d'euros ».

A cette même date, le contrôleur général avait fait l'objet de 144 saisines, dont 68 % proviennent de l'intéressé ou de son conseil. 86 % des saisines concernent le fonctionnement des établissements pénitentiaires, les préoccupations étant en majorité liées au rapprochement avec les familles, à l'accès aux soins ou à la perte de paquetages. Toutefois, un nombre significatif de plaintes met en cause le fonctionnement même du service public pénitentiaire (accès au travail, surpopulation, relations avec les co-détenus). 42 % de ces saisines ont donné lieu à une enquête et, dans des cas « relativement nombreux », souligne le rapport, l'administration y a répondu favorablement. Dans 45 % des cas, le contrôleur général s'est réservé la possibilité d'examiner la situation, faute de pouvoir y donner une réponse immédiate (3) Le délai moyen de réponse étant de 11 jours.

« Il est clair, indique-t-il, que le nombre de saisines est appelé à augmenter », l'institution étant encore aujourd'hui méconnue. Dans ce cadre, il faudra contenir les délais de réponse, « ce qui posera inévitablement un problème d'effectif ». D'autant plus, prévient Jean-Marie Delarue, qu'il ne sera pas possible de se contenter d'un échange de correspondances avec les détenus, les retenus, les patients..., leurs demandes nécessitant bien souvent une enquête. Il manque ce que les experts appellent la « triangulation de l'information », c'est-à-dire la possibilité de faire vérifier par un tiers la véracité des faits invoqués par chacune des parties, au risque de classer trop vite les dossiers ou de faire des recommandations infondées à l'administration.

Les principaux constats opérés en2008

L'état des lieux de garde à vue est « indigne » pour les personnes qui y séjournent, dénonce le rapport. Et le rapprochement entre le personnel médical et les gardés à vue pose « des difficultés croissantes » qu'il faudra aborder dans un bref délai, estime le contrôleur général. Aussi recommande-t-il aux pouvoirs publics de « prendre les mesures nécessaires pour poser le problème dans sa généralité » et, dans ce cadre, de reconsidérer la possibilité d'étendre les unités médico-judiciaires, « à la condition que celles-ci disposent d'antennes mobiles ».

De même, les locaux de rétention sont très souvent « vétustes » et « surtout inadaptés aux fins qu'on leur assigne », indique le rapport. En outre, bien que l'état des centres de rétention soit jugé « acceptable », les normes de confort ont toutefois été conçues de manière restrictive (chambres collectives, partage de sanitaires...), déplore Jean-Marie Delarue. Ajoutant que peu d'efforts avaient été faits pour l'activité des personnes retenues. « De véritables projets en termes de loisirs, avec les crédits correspondants, ne sont pas hors de portée et doivent être considérés, dès lors que la durée moyenne de rétention avoisine les 13 jours. »

Du côté des établissements pénitentiaires, la situation n'est pas meilleure : sans surprise, inconfort, surpopulation, absence d'activités et de travail, difficultés à entretenir les liens familiaux... retentissent lourdement sur les conditions d'exécution des peines, l'exercice des métiers pénitentiaires et, au final, aggravent les tensions.

L'équilibre fragile entre intimité etsécurité

Le contrôleur général s'est aussi longuement attardé sur le problème de l'intimité dans les lieux de privation de liberté, un droit qui ne peut être limité que par des considérations de sécurité nationale ou de sûreté publique. Toutefois, rappelle-t-il, lorsqu'il existe un conflit entre ces deux notions, il convient de « privilégier la solution la plus protectrice de l'intérêt légitime », un avis partagé par la Cour européenne des droits de l'Homme. Ainsi, et conformément à la législation communautaire, Jean-Marie Delarue précise que l'intervention de l'autorité publique doit être « prévue par un texte » et être « inspirée par des buts légitimes ». En outre - condition plutôt mise en avant par le juge français -, il ne doit y avoir « aucune autre possibilité de parvenir aux mêmes résultats par une mesure moins contraire au respect de la vie privée ». Or la situation est loin d'être satisfaisante. Illustration en est faite, par exemple, dans les établissements pénitentiaires où « la sécurité [est] omniprésente, au mépris de l'intimité ». La multiplication des fouilles lors des transfèrements est ainsi fréquemment dénoncée par les détenus, celles-ci pouvant être effectuées « deux à trois fois sur un même trajet » et parfois sous d'autres regards que celui du surveillant procédant à la fouille. Par ailleurs, l'intimité des personnes handicapées physiques nécessitant une aide est « difficilement assurée, dans la mesure où les aidants sont encore des co-détenus volontaires ».

Quoi qu'il en soit, martèle le contrôleur général, ces règles sont destinées à recevoir une « application stricte et sans réserves ». « Certains textes, et surtout la pratique, y compris dans la formation des différents professionnels concernés, doivent encore évoluer dans un meilleur équilibre entre les préoccupations normales de sécurité et le droit, qui doit être considéré avec une égale rigueur, au respect de la vie privée des personnes. » Selon lui, même dans un lieu de privation de liberté, « la limite des mesures [de sécurité] n'est pas le point où la sécurité absolue est atteinte, mais le point où il est porté atteinte au droit de chacun à son intimité à un niveau disproportionné, c'est-à-dire injustifié ».

Notes

(1) Prochainement disponible sur le site - encore en cours de construction - du contrôleur général des lieux de privation de liberté.

(2) Réagissant au rapport, l'Observatoire international des prisons attend du gouvernement qu'il tire les conséquences des observations et préconisations du contrôleur général, lesquelles s'inscrivent dans la lignée des nombreux rapports parus sur ce sujet (voir notamment ASH n° 2546 du 22-02-08, p. 51). L'Observatoire va même plus loin en lui demandant, dans un communiqué du 9 avril, de renoncer au projet de loi pénitentiaire qui doit être discuté à la mi-mai au Sénat.

(3) En outre, 10 % des saisines ont donné lieu à une décision d'incompétence et 3 % seulement à un classement sans suite.

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