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« Le squat, refuge de toutes les pauvretés »

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Statistiquement méconnus, les squats véhiculent toujours une aura de marginalité, voire de parasitisme social. Pourtant, pour la plupart, ceux qui y vivent n'ont pas d'autre solution, rappelle l'anthropologue Florence Bouillon. Après dix ans d'enquête, elle décrit dans « Les mondes du squat » la face cachée de ces lieux de passage, qui conjugent parfois précarité et solidarité.

Quelle est la définition d'un « squat » ?

La définition courante est celle d'un lieu vacant occupé illégalement. Il peut s'agir d'un logement, mais aussi de locaux industriels ou commerciaux. Pour ma part, je préfère le terme « habité » plutôt qu'« occupé », car les notions de temps et d'installation sont importantes. Du point de vue légal, le squatteur entre dans la catégorie des occupants sans droit ni titre, dans la mesure où il ne dispose d'aucune autorisation préalable du propriétaire. Mais il ne s'agit pas d'une violation de domicile qui relève, elle, d'une qualification pénale. Il faut d'ailleurs préciser que, contrairement à ce qu'on imagine souvent, les squatteurs bénéficient de certains droits. A partir du moment où il existe des indices, du type mobilier, prouvant que des gens y habitent, le squat est juridiquement considéré comme un domicile et l'expulsion sans procédure préalable n'est pas possible. A moins que les forces de l'ordre n'interviennent très vite en flagrant délit, ou qu'il existe un problème d'ordre public majeur, ou encore un arrêté de péril sur le bâtiment.

Sait-on combien il existe de squats en France ?

Pour des raisons aisément compréhensibles, la statistique publique ne peut pas les dénombrer. La labilité du phénomène explique son invisibilité partielle. La Fédération des associations pour la promotion et l'insertion par le logement (FAPIL) donne néanmoins le chiffre de un à trois squatteurs pour 1 000habitants dans les grandes villes. Et le conseil général des ponts et chaussées, dans un rapport en 2002, évoquait le nombre de 800squats collectifs à Paris. Au total, le phénomène concerne en France au bas mot plusieurs dizaines de milliers de personnes. Y compris en milieu rural, car il existe dans certaines régions des vacances importantes de logement.

Existe-t-il un squatteur type ?

C'est une population très diverse, mais on distingue quelques figures caractéristiques. Dans les squats alternatifs, la plupart des habitants sont des jeunes qui souhaitent vivre des formes d'expérimentation sociale, culturelle et politique, mener une vie collective en s'affranchissant de certaines normes sociales. Néanmoins, dans la plupart des cas, les squatteurs ne contestent pas directement le « système ». Ce sont des mal-logés qui aspirent au contraire à l'intégrer. On observe dans les squats toutes les formes de la pauvreté et de la précarité contemporaines. Les habitants sont des allocataires du revenu minimum d'insertion, des chômeurs de longue durée et même des travailleurs pauvres, des personnes souffrant de problèmes d'addiction ou de troubles psychiques... On rencontre aussi beaucoup de migrants venus des pays du Sud, des primo-arrivants, ainsi que de nombreuses personnes qui vivent en France depuis longtemps. Pour toutes les raisons connues de précarité économique, de discrimination et de difficulté d'accès aux droits, le squat constitue bien souvent pour elles l'unique recours. Les squats se forment généralement par affinité. Il arrive que des personnes y habitent seules, ou en famille. D'autres lieux fédèrent des groupes importants, autour d'une même origine culturelle ou nationale, ou partageant un même mode de vie. Mais on constate assez fréquemment des formes de mixité sociale et culturelle importantes, notamment dans les squats alternatifs. En termes d'organisation, il existe, là encore, toutes sortes de modalités, qui vont de l'informalité la plus complète jusqu'à l'existence de règles communes précises, en passant par une autogestion fondée sur quelques principes consensuels.

Le squat est-il uniquement le produit du mal-logement ?

Dans le processus de production du squat, l'exclusion du logement ordinaire est bien sûr la première en cause. Les raisons de cette exclusion sont bien connues: la disparition du parc de logements privés bon marché, l'insuffisance de logements sociaux, l'augmentation très forte des prix du foncier et des loyers... Mais cette problématique seule n'explique pas tout. En matière de protection sociale, la fragilisation de certains droits et le délitement du salariat dans sa forme protectrice conduisent à une vulnérabilisation des personnes qui nourrit aussi les squats. On peut également pointer du doigt le durcissement des politiques migratoires, qui précarisent les sans-papiers, mais aussi l'ensemble des migrants, et les empêchent d'accéder au logement.

Est-on donc condamné à demeurer squatteur ?

Vivre dans un squat n'est pas un état, mais une situation résidentielle temporaire. Cette situation s'inscrit souvent dans une trajectoire circulaire, d'un hébergement précaire à un autre. Cela va de l'hôtel meublé à l'hébergement chez un tiers, en passant par le foyer d'accueil d'urgence ou encore le CHRS. Il est relativement rare que le passage par un squat conduise directement à un relogement, car il s'agit d'une situation disqualifiante du point de vue des propriétaires et des bailleurs. Cela arrive cependant, et les possibilités de relogement seront d'autant plus fortes que les habitants d'un squat auront été soutenus par des associations et auront bénéficié d'un relais médiatique fort.

Vous insistez beaucoup sur les compétences développées par les squatteurs...

Ceux-ci déploient en effet tout un ensemble de savoirs et de savoir-faire. Pour ouvrir un squat, il est nécessaire de connaître la ville, de maîtriser la sociologie des quartiers, de savoir par exemple dans quelles rues le voisinage sera le moins hostile. Il faut aussi être capable de repérer un espace vacant, de forcer une porte, de sécuriser les lieux, de brancher l'eau et l'électricité... Il faut enfin connaître ses droits pour éviter de subir la pression du propriétaire ou des forces de l'ordre. Vivre dans un squat génère ainsi des savoirs de l'expérience, qui se transmettent. Les squatteurs doivent d'ailleurs développer des compétences relationnelles. Leur image étant le plus souvent associée à celle de la déviance, il leur est nécessaire de créer des réseaux de solidarité et de rassurer le voisinage sur leur innocuité. En interne aussi, la vie collective impose de pouvoir s'ajuster à la présence de l'autre dans des situations souvent marquées par l'inconfort et la promiscuité.

Quelles relations les squatteurs ont-ils avec les services sociaux ?

De manière générale, on observe une grande distance entre eux. Les squats sont d'accès difficile, et assez mal perçus par certains travailleurs sociaux, en raison notamment de la forte instabilité de leurs occupants et des effets de l'insalubrité sur les enfants. Les habitants peuvent donc être réticents à l'idée d'un suivi social, par crainte d'effets négatifs, en particulier le placement des enfants. Localement, toutefois, des intervenants sociaux ou des associations tentent de recréer du dialogue et de trouver des solutions adéquates. Ils peuvent même parfois avoir recours au squat de manière informelle, pour certains usagers, en l'absence de toute autre solution de logement.

Vous estimez que le squat est un problème public qui ne fait pas l'objet d'une politique publique...

La question du squat est effectivement presque toujours traitée par d'autres entrées que celles du logement et de l'intervention sociale. La réponse peut être de type humanitaire lorsqu'il y a urgence mais, le plus souvent, elle est purement juridique. La police et la justice sont les principaux interlocuteurs des squatteurs. Et, dans la quasi-totalité des cas, cela débouche sur une procédure d'expulsion. On peut d'ailleurs regretter que les juges et les préfets utilisent si peu la capacité dont ils disposent d'octroyer des délais ou de suggérer des possibilités de relogement.

L'expérience du squat est-elle totalement négative ?

Au contraire. Le squat interroge les modalités du lien social et du vivre-ensemble. C'est le cas en particulier des squats alternatifs, qui soulignent les excès de l'individualisme, les effets aliénants de la société de consommation... Ce qui me frappe aussi, c'est qu'il s'agit d'un habitat qui permet à des groupes socialement et spatialement relégués de s'insérer dans le tissu urbain des villes. C'est le cas en particulier à Marseille, où il existe encore des quartiers populaires en centre-ville. Et puis les squats peuvent produire des solidarités de proximité qui aident en partie à pallier les processus actuels d'exclusion, de discrimination... Ce sont, certes, des lieux fragiles, mais ils offrent un ancrage à partir duquel peuvent se construire un certain nombre de projets. Et ceci dans un contexte où les espaces interstitiels se raréfient, la ville moderne excluant un nombre croissant de groupes et de personnes.

REPÈRES

Florence Bouillon est anthropologue. Membre du laboratoire Shadyc (Sociologie, histoire, anthropologie des dynamiques culturelles) à l'Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS), elle a passé près de dix années à étudier les squats marseillais. Ce sont les résultats de cette recherche qu'elle publie dans Les mondes du squat (PUF). Un ouvrage qui a reçu le prix Le Monde de la recherche universitaire.

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