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Le style de l'EPOC

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Dans le XIXe arrondissement de Paris, une structure d'accueil originale, l'Espace psychanalytique d'orientation et de consultations, l'EPOC, propose gratuitement un suivi psychologique et des ateliers thérapeutiques. Depuis quatre ans, sa fréquentation ne cesse d'augmenter et les professionnels du secteur social plébiscitent son action.

« Aujourd'hui, cet endroit représente pour moi un filet de sécurité, un maillage, résume cette femme de 58 ans, suivie depuis quatre ans par l'Espace psychanalytique d'orientation et de consultations, l'EPOC(1). Je n'ai plus peur d'essayer quelque chose de neuf, je me sens plus confiante, car je sais que, si je me plante, il y a un lieu où je pourrai venir déposer mes difficultés. » Des « plantages », cette célibataire sans enfants en a connu quelques-uns, entre la perte de son emploi, celle, consécutive, de son appartement au début des années 2000, puis son éviction de l'association de quartier dans laquelle elle s'était investie corps et âme. « Au début, ce qui m'a intéressée, c'est la gratuité, se souvient-elle. Je me sentais en grande souffrance mais, avec 450 € de revenu mensuel, je ne pouvais pas me permettre de recourir à un psychologue libéral. J'avais aussi tenté le centre médico-psychologique, mais c'est assez connoté comme accueil. Et après y avoir croisé une personne qui m'avait agressée par le passé, je n'ai plus été capable d'y retourner. »

L'EPOC a été créé en 2005 à l'initiative de Sylvie Ullmann, psychologue clinicienne, qui exerçait alors en établissement hospitalier. « Les institutions ont un cadre particulier de travail, des horaires qui ne s'adaptent pas aux réalités des personnes les plus en souffrance, à leurs lieux, à leur temporalité, justifie-t-elle. Je voulais proposer quelque chose de plus souple, où des patients qui ne se rendent pas habituellement chez un psy seraient accueillis rapidement et simplement, dans un lieu non stigmatisant. » Sylvie Ullmann élabore donc le projet d'une structure légère, capable de donner un rendez-vous dans la semaine suivant la première prise de contact. L'idée étant d'accueillir des patients de tous âges, dès l'adolescence. Cinq intervenants, des psychologues et des psychiatres orientés vers la psychanalyse, rejoignent alors l'association. Tous sont bénévoles et conservent leur activité professionnelle en parallèle. Comme Christine Tauzin, par ailleurs psychologue en centre médico-psychologique (CMP) et en hôpital de jour, qui argumente : « Pour moi, cette initiative aide aussi à apporter une réponse intéressante aux psychotiques qui sont de plus en plus nombreux dans la rue, non suivis, parce qu'en CMP il leur faudrait attendre trois mois au minimum avant d'obtenir un rendez-vous. »

Les premières permanences de l'association ont d'abord été ouvertes au sein du centre social de la rue des Ardennes, dans le XIXe arrondissement de Paris. Sylvie Ullmann répond elle-même au téléphone sept jours sur sept et planifie les entretiens. « Je n'avais pas pour priorité de m'installer dans cet arrondissement, précise-t-elle. Mais j'y habite et, tout naturellement, quand j'ai commencé à élaborer mon projet et à chercher des partenaires, je me suis tournée vers la mairie et me suis rapidement rendu compte que beaucoup d'acteurs sociaux locaux étaient intéressés. De plus, c'est l'arrondissement de la capitale qui compte le moins de psychologues. » A l'époque, un « diagnostic santé » mené sur cet arrondissement par l'équipe de développement local avait mis en évidence une carence particulière en ce qui concerne le soin psychique. « Les professionnels que nous avons interrogés se disaient particulièrement démunis dans ce domaine, rapporte Marie Anquez, chargée de mission politique de la ville dans le XIXe arrondissement. Mais c'est aussi un besoin qui émerge partout, probablement lié à la précarisation et au fait que la psychiatrie publique est moins présente dans la ville que par le passé. »

Aucun document exigé

La plupart des patients prennent rendez-vous par téléphone. « Nous n'exigeons pas des personnes qu'elles formulent une demande précise pour les recevoir, et nous ne leur demandons aucun document, affirme Sylvie Ullmann. Elles sont souvent dans l'urgence d'une souffrance ou d'une situation devenue insupportable. Certaines poursuivront par un suivi régulier ou plus épisodique. » D'autres se présentent à l'impromptu - à peine 10 % - et sont reçues brièvement entre deux rendez-vous, les samedis et mercredis après-midi étant plus spécifiquement réservés à ce type d'accueil. Yohann Allouche, qui vient tout juste d'intégrer l'association en tant que psychologue, en fait justement l'expérience au cours de la première permanence qu'il assure ce samedi après-midi. Une jeune femme d'origine étrangère, en difficulté pour trouver un emploi correspondant à ses qualifications, a poussé la porte. « J'ai senti de sa part une demande d'être entendue, confie le psychologue. Alors nous avons rapidement fixé un rendez-vous pour la semaine prochaine. » Car le principe de l'EPOC, c'est aussi que chaque patient conserve pour toutes ses consultations l'intervenant initialement rencontré. Ce que confirme Sylvie Ullmann : « Pouvoir revenir après une interruption du suivi et garder le même référent favorise le travail avec certains patients qui, bien qu'engagés dans un questionnement, ne peuvent assumer d'emblée le lien à l'autre que suppose un suivi régulier. »

Pour rompre l'isolement

Les principales difficultés exprimées par les patients de l'EPOC, et régulièrement répertoriées, sont l'angoisse (56 % des usagers), l'isolement social (41 %), la perte de lien social (36 %), un état dépressif (43 %) et des problèmes familiaux (21 %). « Nous ne sommes pas là pour rectifier ce qui n'irait pas, explique Christine Tauzin. Nous prenons le symptôme tel qu'il vient et notre travail est d'apprendre à la personne à faire avec. Il est important que le patient soit en accord avec ce qu'il est et qu'il s'apaise. » De fait, 43 % des personnes suivies à l'EPOC en 2008 présentent une problématique psychiatrique, que celle-ci ait été préalablement diagnostiquée ou non. Si nécessaire, elles sont orientées vers une structure médicale, car aucune prescription médicamenteuse n'est délivrée ici. « Mais si des patients se sentent persécutés par une institution médicale ou des travailleurs sociaux, nous n'allons pas d'emblée les rediriger vers eux », tient à préciser Sylvie Ullmann. « Ce qui fait le lien entre toutes ces personnes que nous recevons, c'est l'isolement », note, pour sa part, Christine Tauzin. En effet, près de 61 % des personnes accueillies vivent seules ou en foyer monoparental. On compte aussi beaucoup de femmes, près des deux tiers. « C'est le cas dans beaucoup d'institutions du champ social, même si nous avons de plus en plus d'hommes, observe Sylvie Ullmann. Peut-être les femmes parlent-elles plus facilement de leur malaise... » Parmi celles qui sont reçues, 21 % vivent seules avec leurs enfants. « Cela recoupe peut-être aussi la distribution de la population du XIXe arrondissement, où les mères isolées sont relativement nombreuses », suggère Valérie Lépine, assistante de service social à l'Espace insertion de l'arrondissement, qui oriente régulièrement des usagers vers l'EPOC.

Outre les consultations, l'EPOC propose aussi des ateliers à visée thérapeutique ouverts à tous. Et gratuits eux aussi. L'argument est d'importance, car 60 % des patients adressés à l'EPOC se trouvent sans activité, qu'ils bénéficient du RMI, d'indemnités de chômage ou d'un régime d'invalidité. Parmi ceux qui sont salariés, 43 % exercent un emploi précaire et à temps partiel. Et, en 2008, l'association a reçu quelque 90 personnes sans domicile fixe ou en hébergement précaire, soit près de 16 % des patients rencontrés sur l'année.

Des ateliers gratuits

Très vite, la permanence de la rue des Ardennes montre ses limites. « Notre activité prenait trop de place, raconte Sylvie Ullmann. Nous recevions environ 18 nouveaux patients chaque mois. En outre, il pouvait y avoir confusion entre la mission du centre social et la nôtre. » En septembre 2006, grâce à sa première subvention, l'association emménage à deux pas de là, rue Georges-Thill. Les locaux, neufs, donnent directement sur la rue. Aucune enseigne ne précise l'activité du lieu, seuls quelques feuillets plaqués sur la porte vitrée présentent l'association. Entre des ateliers d'artistes et des logements sociaux, l'EPOC prend possession d'une quarantaine de mètres carrés, divisés en deux petits bureaux et un hall d'accueil aux murs blancs. Pas de personnel dans cet espace intimiste où brille perpétuellement une petite lampe. Juste une clochette accrochée à la poignée de la porte d'entrée et une sonnerie électronique pour signaler les nouveaux arrivants.

Toutes deux tintent beaucoup en ce samedi matin, avec l'arrivée des participants à l'atelier jeux d'écriture. « L'idée était de créer un espace où la parole se déposerait autrement que dans un entretien. L'écriture nous a paru le moyen le plus évident », précise Christine Tauzin, qui anime cet atelier. Un samedi sur deux, depuis quatre ans, un petit groupe se réunit pour réfléchir sur des thèmes ou des styles rédactionnels que propose Christine. « Ce matin, je vous propose d'écrire à la manière de Jacques Prévert », annonce-t-elle. Elle lit à haute voix quelques vers du poète, puis donne dix minutes aux participants pour rédiger leur texte. A l'issue du temps imparti, chacun livre le résultat de son travail. « Je n'ai pas été très inspirée », s'excuse Françoise Bailleul, avant de lire aux autres son texte. Tous ne sont pas des spécialistes de l'écrit, loin de là... « Quand on m'a proposé de participer à ce groupe, se souvient Béatrice Owczarczak, la cinquantaine, je me suis demandé ce que j'allais bien pouvoir y faire. Mais maintenant c'est presque devenu une addiction. Je peux dire ici ce que je ne peux pas exprimer autrement, et ce que je fais n'est jamais nul à 100 %. » Elle ne fréquente l'EPOC que pour l'atelier, n'hésitant pas à subir une heure et quart de transports pour cet instant de mieux-être. Rafaèle Muriesse(2), elle, possède une plus grande expérience et cherche depuis toujours à publier les textes qu'elle écrit chez elle. Retraitée du secteur commercial, elle a découvert ce lieu alors qu'elle offrait bénévolement ses services d'écrivain public au centre social de la rue des Ardennes. « Après avoir longtemps été suivie par un psychiatre de secteur, j'avais besoin d'autre chose, explique-t-elle. Comme c'est l'écriture qui m'intéresse, l'atelier me convient tout particulièrement. Il me permet d'approcher mon intériorité dans le calme, la lumière. »

L'équipe de l'association compte aujourd'hui 15 intervenants psychologues, psychanalystes ou psychiatres. Et 5 animateurs, dont certains sont également formés à la psychanalyse, encadrent la dizaine d'ateliers que propose l'EPOC pour quelque 116 usagers annuels : poterie, peinture, arts et calligraphie, expression théâtrale... Devenue directrice de la structure, Sylvie Ullmann a pu salarier son poste en 2007 grâce aux financements obtenus de la direction de l'action sociale, de l'enfance et de la santé (DASES) de Paris, de la direction des affaires sanitaires et sociales (DASS) de Paris, de l'agence nationale pour la cohésion sociale et l'égalité des chances, du groupement régional de santé publique ou encore du conseil régional. De son côté, le groupe immobilier 3F, spécialiste du logement social, fournit certains locaux. « Mais on ne vient pas travailler ici pour être salarié, prévient la directrice. L'engagement pour le dispositif est primordial. » Les financements, dont aucun n'est pérenne, autorisent néanmoins la rétribution de certains psychologues ou intervenants à hauteur de 1,3 équivalent temps plein. « Nous sommes finalement nous aussi en situation précaire », constate-t-elle.

Depuis deux ans, une assistante de service social, Delphine Chapin, vient compléter le dispositif quatre heures par mois, un vendredi sur deux. « Nous orientons vers elle les patients chez qui nous entendons un besoin particulier non traité, explique Sylvie Ullmann. Mais le but n'est pas de remplacer les acteurs sociaux habituels. » Nombre des patients sont en effet déjà suivis par des travailleurs sociaux dans leur secteur, en centre d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), à l'Espace insertion... « Parfois nous nous mettons en lien avec ces travailleurs sociaux, mais ce n'est pas systématique, poursuit la responsable. Certains nous ont déjà contactés, quand ils savent qu'un usager est suivi chez nous et qu'ils ont besoin d'un conseil pour élaborer un contrat d'insertion. » Dans d'autres situations, l'équipe juge préférable, pour le bien du patient, de ne pas instaurer ce type de lien. « De toute façon, en aucun cas je ne peux assurer un suivi complet avec une permanence aussi légère, complète Delphine Chapin. Je peux néanmoins aider certains patients à renouer le lien ou les accompagner dans une rupture. » Comme cet homme au long parcours psychiatrique et carcéral, arrivé à l'EPOC en conflit avec sa curatrice : « J'ai pu contacter cette dernière et le CMP où il était suivi. Je lui ai recommandé d'écrire les revendications qu'il avait à leur égard. Nous avons beaucoup parlé et pu renouer le lien avec ces institutions. » Ou encore ce monsieur qui n'avait plus ouvert son courrier depuis des mois : « Quand il est arrivé, il n'avait plus de ressources depuis deux ans et risquait de grosses difficultés administratives. Depuis qu'il est suivi dans la structure par un psy, je l'ai rencontré quatre fois. Il est parvenu à faire une liste des démarches à réaliser pour recouvrer ses droits sociaux, éviter une interdiction bancaire, mettre en route des travaux d'entretien de son appartement, etc. »

Une référence dans la santé

Au fil des ans, l'EPOC est devenu une référence, pour l'arrondissement, dans le champ de la santé. Au point d'être convié dans diverses instances telles que la commission locale d'insertion, le conseil santé ou l'atelier santé ville. Face aux demandes toujours plus nombreuses, un deuxième lieu de consultations a été créé en février 2008, rue Riquet, dans un secteur du XIXe arrondissement classé prioritaire pour la politique de la ville. Les deux bureaux de consultations sont installés au fond d'un couloir. On retrouve ici la même ambiance feutrée qu'au siège de l'association, le même mobilier en bois clair et ses confortables fauteuils en osier. A ceci près qu'une personne a été embauchée pour accueillir les patients. Ce nouveau lieu a permis d'accroître de 50 % le nombre des consultations, passé à 5 781 en 2008, la file active de patients augmentant de 114 à 218 entre 2007 et 2008. Chaque mois sont accueillis, en moyenne, 34 nouveaux patients. « La multiplication du nombre de partenaires qui orientent vers nous de nouveaux patients en est également responsable », rapporte la directrice. Les travailleurs sociaux des secteurs de psychiatrie, des CHRS et des structures d'insertion, mais aussi les médecins scolaires, généralistes ou spécialistes, les professionnels de santé paramédicaux, voire les associations du secteur du handicap, désormais, tous connaissent bien la structure. « J'évoque l'existence de l'EPOC avec des bénéficiaires au moins trois fois par semaine, confirme Angélique Guigonnet, assistante de service social à l'Espace insertion de l'arrondissement. Je le propose à des personnes chez lesquelles je ressens le besoin de parler, à celles qui sont dépressives, déjà mises sous traitement par un médecin généraliste qui ne peut pas leur offrir le même type d'appui. » Sa collègue Valérie Lépine souligne les bénéfices pour ceux qui ont recours aux consultations : « Certains parviennent à trouver eux-mêmes leurs propres solutions. Ils prennent en main le cours de leur vie, ils verbalisent mieux ce qu'ils ressentent, assument mieux leurs choix et leurs faiblesses. »

A l'annexe de la rue Riquet, le large sourire de Césaria, qui se présente chaque samedi après-midi pour une consultation avec Natacha Vellut, psychologue clinicienne, témoigne de l'apport de ce suivi. Cette mère de famille d'origine capverdienne est venue il y a un an, sur les conseils de la psychologue scolaire qui suit son fils de 6 ans, présentant un handicap moteur. « J'attends ce moment avec impatience, je prépare ce que je vais dire à la psychologue, révèle-t-elle à l'issue de son entretien. Et je vais mieux, même si mon entourage me dit plus agressive. En fait, avant, j'étais comme l'eau qui dort. Maintenant, je me réveille. Moi, je pense que c'est mieux. »

Notes

(1) L'EPOC : 18, rue Georges-Thill et 58, rue Riquet - 75019 Paris - Tél. 06 84 23 52 89 - www.lepoc.org.

(2) Il s'agit d'un pseudonyme.

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