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« Aider les jeunes oubliés du système »

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Comment améliorer l'autonomie des jeunes ? C'est l'une des questions posées à la Commission de concertation sur la politique de la jeunesse, présidée par Martin Hirsch, Haut Commissaire à la jeunesse. Du renforcement des bourses de l'enseignement supérieur à la création d'une allocation unique, la palette est large. Mais faut-il bouleverser le système actuel ? interroge le sociologue Olivier Galland, membre de la commission.

La question de l'autonomie financière des 18-25 ans n'est pas nouvelle. Pourquoi revient-elle aujourd'hui sur le devant de la scène ?

Elle a souvent été abordée, notamment en 2002 par la commission de Foucauld pour l'autonomie des jeunes et en 1998 dans le rapport Thélot-Villac sur la politique familiale. Elle revient aussi de façon récurrente du côté des organisations de jeunesse, telle l'Union nationale des étudiants de France. Cela dit, le débat se pose dans des termes très différents entre les étudiants et les jeunes cherchant à entrer dans la vie active, les seconds étant les plus exposés à la précarité de l'emploi, et donc à l'instabilité des ressources financières. Et avec la crise actuelle, leurs difficultés vont probablement s'aggraver. Les étudiants, eux, lorsqu'ils démarrent leurs études, vivent le plus souvent chez leurs parents. Puis ils accèdent progressivement à un logement individuel ou collectif. C'est le cas de 80 % d'entre eux après 22 ans. Ils combinent l'aide de leurs parents, les revenus de petits boulots, parfois les bourses et les aides au logement. Le problème est que certains ne reçoivent pas d'aide familiale, soit parce qu'ils n'ont plus de contacts avec leurs parents, soit parce que ceux-ci ne disposent pas des moyens de les aider. Les chiffres de l'Observatoire de la vie étudiante montrent que de 1 à 2 % de l'ensemble des étudiants sont dans une situation de pauvreté grave et durable. Ils sont alors contraints de travailler de façon trop intense, avec le risque de compromettre la réussite de leurs études.

Réformer le système actuel de bourses de l'enseignement supérieur, que beaucoup jugent à bout de souffle et inégalitaire, serait-il suffisant pour répondre aux besoins des étudiants ?

C'est une piste que Valérie Pécresse a déjà explorée, en augmentant le montant des bourses et en élargissant leurs conditions d'accès. Il reste cependant du chemin à parcourir. Le rapport Wauquiez de 2006 sur les aides aux étudiants a montré qu'un certain nombre de jeunes des classes moyennes demeurent non éligibles aux bourses, alors même que leurs parents ne peuvent pas les aider. Le système actuel tend, en effet, à favoriser les deux extrêmes : les jeunes issus de milieux très modestes qui bénéficient pleinement des aides, et ceux qui peuvent s'en passer. Il serait judicieux d'élargir aux catégories intermédiaires les critères d'accès aux bourses. Du côté du logement aussi, il y a des choses à faire, car c'est l'un des facteurs essentiels d'accès à l'autonomie. On pourrait, entre autres, améliorer et diversifier les résidences universitaires.

L'idée qui revient en force aujourd'hui est de fusionner l'ensemble des aides existantes pour créer une allocation unique accessible à un grand nombre de jeunes, étudiants ou non, voire à tous. Cela vous paraît-il aller dans le bon sens ?

S'il s'agit d'aller vers une simplification du système, c'est sans doute une idée intéressante, plutôt que d'avoir une superposition de dispositifs. Cela supposerait évidemment de remettre à plat le système actuel de bourses, d'aides au logement, d'indemnisation du chômage pour les moins de 26 ans... Mais ce qui me gêne, dans ce débat, c'est que, en France, dès lors qu'on a identifié un problème social, on a tendance à penser « allocation ». Le premier moyen d'accès à l'autonomie devrait quand même être l'emploi, du moins pour ceux qui ont terminé leurs études. Malheureusement, l'organisation de notre marché du travail ne favorise guère la stabilisation des jeunes dans l'emploi.

Allocation d'autonomie, revenu social jeunes, bourse d'autonomie, allocation étudiante... Les déclinaisons de cette allocation unique sont multiples. Qu'est-ce qui les différencie ?

Différentes options se cachent derrière ces formules, en particulier en ce qui concerne l'universalité d'une telle allocation. Certains proposent de l'étendre au plus grand nombre de façon indifférenciée, tandis que d'autres souhaitent la maintenir sous conditions de ressources en fonction des revenus des parents. S'il s'agit de favoriser réellement l'autonomie des jeunes, il n'y a pas de raison a priori de tenir compte des ressources familiales. C'est d'ailleurs ce principe qui régit les aides destinées aux jeunes dans les pays du nord de l'Europe. Au Danemark, les jeunes étudiants ont droit à une bourse à partir de 18 ans, quels que soient les revenus de leurs parents. Mais ces dispositifs s'appuient aussi sur une culture de l'autonomie des jeunes très fortement ancrée dans les mentalités. On peut se demander si elle l'est autant en France... En revanche, si la priorité consiste à mettre en place un mécanisme redistributif afin de gommer les inégalités, pourquoi irait-on donner chaque mois quelques centaines d'euros à des jeunes dont les parents bénéficient de revenus plus que confortables ?

Certains craignent qu'un système trop favorable ne favorise une « mentalité d'assistés » chez les jeunes. Partagez-vous cette crainte ?

On ne peut pas évacuer cette question d'un revers de main. C'est d'ailleurs pour cela qu'il avait été décidé à l'origine, en 1988, de ne pas faire entrer les moins de 26 ans dans le RMI. Tout dépend toutefois du montant d'une éventuelle allocation d'autonomie. Dans le contexte actuel, il ne s'agirait vraisemblablement pas de sommes permettant de vivre dans l'oisiveté. En outre, comme c'est le cas dans les pays nordiques, cette allocation serait, sans nul doute, attribuée sous conditions, par exemple en matière de suivi d'études, de réussite scolaire ou de recherche d'emploi.

On évoque aussi des pistes telles que la prolongation des prestations familiales pour les familles modestes, le développement des prêts étudiants, le renforcement de l'alternance dans le supérieur ou encore des formules de prérecrutement. Ces scénarios vous paraissent-ils plausibles ?

Je trouve plutôt intéressante l'idée, déjà évoquée dans le rapport Thélot-Villac, de prolonger les allocations familiales jusqu'à l'âge de 22-23 ans. Ce qui correspond à l'âge moyen du départ des jeunes du domicile familial. Evidemment, cela coûterait cher. Le développement des prêts aux étudiants à des conditions avantageuses me semble également une piste possible car, dès lors, on évacue le risque d'encourager une logique de l'assistanat chez les jeunes. Mais cela reste inégalitaire avec, d'un côté, ceux qui pourront se passer de prêt et, de l'autre, ceux qui devront y recourir et le rembourser pendant plusieurs années. On en revient toujours à la même question : peut-on à la fois favoriser l'autonomie des jeunes et réduire les inégalités ?

Pour ceux qui ont terminé leurs études, vous rappeliez que le véritable problème reste la difficulté à entrer sur le marché du travail...

De fait, c'est la clé de tout. L'emploi doit être le premier moyen d'accéder à l'autonomie. Une allocation ne devrait donc représenter qu'un pis-aller. Mais il existe en France un pacte générationnel implicite qui veut que les jeunes supportent le poids de la flexibilité, tout en bénéficiant d'une redistribution informelle à l'intérieur des familles. Pour la plupart, ils s'adaptent tant bien que mal à cette situation, dans la mesure où, pour le plus grand nombre, cette précarité n'est pas durable. Entre 25 et 30 ans, 80 % d'entre eux finissent par obtenir un CDI. Malheureusement, ce système comporte des failles, avec des situations dramatiques pour ceux qui cumulent précarité économique et absence d'aide familiale. Toute la question est donc de savoir si l'on souhaite rompre, à tout le moins renouveler, ce pacte générationnel. Soit on essaie de colmater les brèches du système par des aides spécifiques en direction de telle ou telle catégorie, soit on change de philosophie, en décidant d'aider directement tous les jeunes. On risque toutefois de se heurter aux contraintes budgétaires, car même en fusionnant toutes les prestations actuelles, je ne suis pas certain que l'on parvienne à financer une allocation d'autonomie digne de ce nom. Pour ma part, je trouve que le système actuel ne fonctionne pas si mal qu'on le dit. Il permet à beaucoup de jeunes de prendre une autonomie progressive dans des conditions relativement souples. Bouleverser cette organisation ne me paraît pas une bonne idée, sous la réserve importante d'apporter des solutions pour les oubliés du système, notamment les étudiants qui n'ont pas droit aux bourses et ne sont pas aidés par leur famille, ainsi que les jeunes actifs en situation précaire qui ne bénéficient pas du RMI, et pour lesquels les conditions d'indemnisation du chômage sont peu favorables.

REPÈRES

Olivier Galland est sociologue. Il est directeur de recherche au CNRS-GEMAS (Groupe d'étude des méthodes de l'analyse sociologique) et préside le comité scientifique de l'Observatoire de la vie étudiante. Début avril, il a publié Les jeunes Français ont-ils raison d'avoir peur ? (Ed. Armand Colin, 2009). Il est également l'auteur de Les jeunes (Ed. La Découverte, 6e édition, 2009).

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