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Un petit air de vacances

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Près de Lille, dans le département du Nord, l'établissement Résidence des Weppes propose aux personnes âgées dépendantes un hébergement spécifique de courte durée, en cas d'imprévu ou lorsque les aidants n'arrivent plus à faire face.

« Ici, c'est le Club Med des personnes âgées », lance, souriante, Christiane Michez, la maîtresse de maison de la Résidence des Weppes. Créé par la Croix-Rouge, cet établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) est situé à Fournes-en-Weppes, au coeur de ce grand morceau de campagne coincé entre Lille, Armentières et Béthune, dans le nord de la France (1). Sa spécificité : offrir un accueil temporaire à des personnes de plus de 60 ans, dépendantes et vivant à domicile. On ne vient à la Résidence des Weppes que pour de courtes durées - de quelques heures à trois mois, avec une durée moyenne de un mois. Les personnes accueillies sont issues du milieu rural, mais aussi des zones industrielles du secteur. « En majorité, nous sommes dans l'aide à l'aidant », précise la directrice du lieu, Marie-Françoise Auger, dont l'objectif, lorsqu'elle a ouvert cette structure en 1995, était d'accorder un droit au répit aux proches de la personne dépendante (conjoint, enfants, petits-enfants...). « Dans le Nord, ils sont nombreux à s'occuper de leurs grands-parents », précise-t-elle.

Infirmière de formation, Marie-Françoise Auger est entrée à la Croix-Rouge en 1979, au centre de soins infirmiers de Marquillies, dans les Weppes. En 1981, paraît le décret qui donne naissance aux services de soins à domicile. La Croix-Rouge ouvre dans la foulée un service de soins infirmiers à domicile disposant d'un agrément de 20 lits. « Nous ne savions pas si cela allait marcher, si les médecins allaient prescrire », se souvient la directrice, qui s'initie alors à ce nouveau métier, l'aide à domicile pour les personnes âgées dépendantes. « Nous nous sommes rapidement rendu compte qu'il existait d'autres besoins que le médical et le paramédical : l'accompagnement, le ménage, la cuisine, par exemple. Puis, très vite, nous avons pensé à l'aidant, qui est à côté de la personne dépendante et qui a besoin de soutien. » Un constat qui décide la Croix-Rouge à embaucher des aides ménagères, avant d'ouvrir en 1988 un service d'aide et d'accompagnement à domicile (SAAD) (2).

Une plate-forme pour le maintien des personnes âgées à domicile s'agrège alors peu à peu, mais il lui manque encore un étage. « Quand une personne aidée avait une bronchite, une angine, il aurait fallu se déplacer six ou huit fois dans la journée pour l'aide à domicile. Ça n'était pas toujours possible et je n'avais pas d'autre solution d'hébergement. » A l'époque, Marie-Françoise Auger prépare son certificat d'aptitude aux fonctions de directeur d'établissement social (Cafdes). Elle décide de consacrer son mémoire au projet d'une structure d'accueil temporaire. « J'avais détecté les limites du maintien à domicile, avec des crises, des situations de ras-le-bol, surtout chez l'aidant, liées à l'intervention quotidienne à son domicile d'acteurs multiples. La vie sociale et familiale est perturbée. C'est un défilé permanent : infirmières, kinésithérapeute, médecin, auxiliaire de vie... », décrypte la directrice. Arrive toujours un moment où l'aidant n'en peut plus, où le travail des professionnels devient soudain plus compliqué. Dans ces moments-là, forte est la tentation de rajouter de l'aide, de surenchérir, ou de demander au médecin d'hospitaliser la personne aidée quelques jours pour autoriser ses proches à souffler. Une solution peu satisfaisante, y compris pour les aidants et les professionnels, alors qu'il vaudrait mieux mettre tout à plat et réorganiser le système (sur le développement de l'aide aux aidants, voir ce numéro, page 34). En outre, la dépendance n'évolue pas de façon linéaire. « Il y a des pics lorsque surviennent des problèmes de santé particuliers, souligne Marie-Françoise Auger. Il faut alors concevoir au cas par cas un travail de coordination au quotidien, avec les équipes qui interviennent à domicile. »

Un élément d'une plate-forme globale

Dans ce contexte, la Croix-Rouge et le conseil général du Nord décident de donner suite au projet de Marie-Françoise Auger, pour compléter l'action du SAAD en tant qu'élément de la plate-forme globale d'aide au maintien à domicile. Laquelle comprend, en plus, un service de soins infirmiers à domicile pour 119 personnes et un service d'animation à domicile assuré par 20 bénévoles. L'établissement ouvre en décembre 1995 avec 30 lits. « Au début, nous tournions avec un taux de 85 % d'occupation. Mais, en 2000, nous sommes arrivés à saturation, se rappelle la directrice. L'accueil temporaire doit être souple et réactif pour pouvoir répondre à l'urgence. Or nous avions une liste d'attente, nous étions débordés. » D'où la décision, en 2001, d'agrandir l'établissement et de demander le statut d'EHPAD l'année suivante. L'agrément porte actuellement sur un total de 41 lits, l'établissement disposant en réalité de 46 lits. Ce qui permet d'absorber les à-coups liés au turn-over. Reste qu'en cette mi-mars, trouver une chambre vacante dans la résidence représente un exploit. Les vacances scolaires sont pourtant finies, mais la structure répond à un besoin réel et permanent. « C'est une vraie cure de repos pour l'aidant. Lorsque survient un ras-le-bol, on propose à la personne dépendante un séjour à Fournes-en-Weppes, se félicite Denise Bastien, auxiliaire de vie sociale à domicile au SAAD de la Croix-Rouge. C'est un vrai plus, pour moi, de savoir qu'il existe cet établissement capable de les accueillir temporairement. Car le travail à domicile est difficile. Une lourde responsabilité pèse sur nos épaules. »

En 2008, la Résidence des Weppes a géré 433 séjours pour 295 personnes différentes. Elles arrivent après une hospitalisation (7 % des cas en 2008) ; pendant les vacances des enfants, qui préfèrent alors savoir leur parent en établissement spécialisé (31 %) ; ou quand le conjoint a besoin de souffler (20 %). Pour assurer l'accueil de toutes ces personnes, l'EHPAD emploie 13 auxiliaires de vie sociale et 6 aides-soignantes. Elles assurent toutes à peu près les mêmes tâches : lever et coucher, aide à la toilette et aux repas, ménage, veille de nuit - les aides-soignantes étant plus particulièrement chargées de la distribution des médicaments. L'équipe comprend aussi une assistante sociale à mi-temps, une psychologue à quart-temps, un animateur et un médecin coordinateur, lui aussi à quart-temps. Enfin, trois infirmières organisent les soins, donnent les consignes nécessaires et préparent les médicaments. S'ajoute le poste plus atypique de la maîtresse de maison, chargée de la gestion hôtelière et du bien-être des résidents, notamment en ce qui concerne l'entretien des chambres et des parties communes, la gestion de la buanderie et celle de la restauration.

Le respect de l'intimité

Ce jeudi matin, une admission a lieu. La famille a rencontré auparavant la secrétaire de la résidence pour les premières formalités, et récupéré le dossier médical à faire remplir par le médecin traitant. Car il existe certaines contre-indications à un séjour aux Weppes. Les fugueurs, par exemple, ne sont pas acceptés. « Notre médecin-coordonnateur donne également son avis et décide, in fine, si la personne peut être acceptée. Nous sommes seulement semi-médicalisés et il faut que nous soyons capables de soigner les résidents », explique Christiane Michez, la maîtresse de maison. Une fois les formalités accomplies, une chambre est attribuée au nouveau résident et les règles de vie lui sont expliquées. Ici, c'est un peu comme à l'hôtel. Pas question de trop ressembler à une maison de retraite. Les couloirs sont fleuris. Les meubles, imaginés par un ébéniste, ont des courbes douces et les lits ne sont pas tous médicalisés. Dans le même esprit, le petit déjeuner peut être servi entre 7 h 45 et 9 heures, au choix du résident. Il existe une véritable souplesse du service, allié à un souci du respect de l'intimité. Ainsi, on ne force personne à prendre un bain. « On lui dit que nous avons une belle baignoire à bulles, pour l'inciter, mais il faut que ce soit un choix volontaire », précise Christiane Michez. Si le bain est dédaigné, la toilette est faite dans la salle de bains attenante à chaque chambre. La vie de famille et le lien avec les aidants sont également préservés. Une salle de réception, avec une grande table, de la vaisselle et un micro-ondes, est mise à disposition pour accueillir les anniversaires ou les repas du dimanche.

En dépit de ces attentions, les premiers jours peuvent constituer un moment délicat, parfois difficile pour des personnes âgées qui, souvent, n'ont jamais quitté leur maison. « Elles n'arrivent pas ici forcément de gaieté de coeur, reconnaît Marie-Françoise Auger. Elles ont du mal à croire que c'est un accueil temporaire, et imaginent qu'elles vont rester ici définitivement. » Sur la feuille d'admission, sont pourtant clairement indiqués les jours d'entrée et de sortie. Andy Leone, aide médico-psychologique (AMP) de l'établissement, raconte : « Nous sommes les premiers que la personne voit, les premiers à tout prendre de leur angoisse, ce qui va parfois jusqu'à la panique violente. Nous devons les rassurer. » Stéphanie Michez, la psychologue, soutient l'équipe dans ce travail de mise en confiance : « J'essaie de me présenter à tous les nouveaux résidents, ce qui n'est pas toujours évident, en raison du turn-over rapide. » Les pensionnaires sont eux-mêmes très attentifs aux arrivées et aux départs, qui témoignent que l'hébergement n'est en effet que temporaire.

L'équipe doit aussi gagner la confiance de la famille. « Ma mère, à 82 ans, souffre de la maladie d'Alzheimer au plus haut niveau. Notre but était que notre père puisse se reposer quelques jours de manière régulière. Les médecins nous ont parlé de la Résidence des Weppes. Notre mère s'y rend désormais huit jours par mois », raconte Francis Marotine. Après un premier séjour-test de trois jours, ce dernier a été convaincu de la qualité de la prise en charge. « Tout nous a plu : les locaux, la luminosité, les chambres spacieuses, l'accès à la salle de bains, le personnel. Et quand nous sommes allés la chercher, ma mère était gaie, heureuse. » Une solution presque idéale pour cette famille. En effet, hors de question pour le père de Francis Marotine de placer son épouse, malgré son cancer du poumon et son grand âge. « Au début, il avait l'impression d'abandonner sa femme. Maintenant, il est content », se réjouit son fils, qui sait déjà que les séjours de sa mère sont une manière de l'amener en douceur vers un placement définitif qui ne pourra pas être évité. La résidence n'entend toutefois pas être systématiquement utilisée comme un sas, en attendant qu'une place se libère dans une maison de retraite. « C'était mon angoisse, confie sa responsable, mais actuellement ça n'est le cas que dans une situation sur dix. »

Le passage à la Résidence des Weppes présente également l'intérêt de pouvoir dresser un véritable bilan de l'état d'autonomie du patient. « Il existe toujours une différence entre ce qui est censé se passer au domicile et ce que nous observons ici. Une personne dit être capable de couper sa viande et, en fait, elle ne le peut plus », expliquent les professionnels. L'équipe est chargée de faire remonter ces informations, qui vont aider à poser un nouveau diagnostic sur l'état de dépendance des résidents et, dans certains cas, à rétablir une meilleure hygiène de vie.

Un bilan de l'état de dépendance

A la Résidence des Weppes, l'accent est mis sur un travail d'animation pleinement intégré à la vie de la maison. De nombreux ateliers sont proposés, articulés autour d'activités de loisirs (chants, grands jeux, spectacles), cognitives (travail sur la mémoire, revues de presse, jeux de société) et physiques (notamment sur l'équilibre). Le matin est consacré aux soins et au bien-être. La maison dispose ainsi d'un salon de coiffure, avec séchoirs à mises en plis, dans lequel se succèdent des coiffeuses à domicile. En outre, l'une des vérandas a été transformée en petit salon de relaxation, pour un atelier qui se déroule une fois par semaine à l'initiative d'Andy Leone, en lien avec la psychologue de l'établissement. Tout cela participe à dénouer des angoisses, fréquentes quand les habitudes de vie sont bousculées. Chaque jeudi matin, un prêtre vient dire la messe : la salle est toujours bondée, car les gens du village en profitent pour y assister. Une ouverture vers l'extérieur à laquelle tient l'équipe. L'après-midi, une place est accordée à des temps collectifs, toujours facultatifs. Au programme, ce jeudi : des chants accompagnés par un accordéoniste dans la salle du restaurant. L'animateur attaque Le temps des cerises. Les voix chevrotent un peu, mais des sourires fleurissent ici et là. Certains préfèrent rester dans leur chambre, porte ouverte sur les va-et-vient dans leur couloir. Un service de prêt de livres est également à leur disposition.

Dans le grand hall qui donne sur le patio, ils sont plusieurs à unir leurs efforts pour transporter un palmier plutôt desséché. « C'est pour notre spectacle », confie François Mouchon, l'animateur, titulaire d'un brevet d'Etat d'animateur technicien de l'éducation populaire et de la jeunesse (Beatep). Il est accompagné d'Andy Leone. Ce dernier est entré comme auxiliaire de vie sociale à la Résidence des Weppes, puis a suivi une formation afin de devenir aide médico-psychologique. Il a choisi de revenir ici, car il aime « la diversité », et cette obligation de « se remettre en cause tous les jours ». Avant de préciser : « On avait besoin ici de quelqu'un possédant cette double casquette, qui puisse faire de l'animation tout en connaissant bien les résidents. Je vois la personne dans sa globalité, c'est un atout. » Une courroie de transmission d'autant plus nécessaire entre les temps du matin et de l'après-midi que les pensionnaires ne sont jamais les mêmes. Un cahier sert également de lien entre les équipes de la journée et de la nuit.

Professionnels de l'imprévu

Le bureau de la maîtresse de maison forme le centre névralgique de la résidence : une kinésithérapeute passe la tête pour donner des nouvelles d'une pensionnaire hospitalisée, et désormais trop dépendante pour être en maison de retraite. « Nous n'avons pas eu le temps de lui dire au revoir. Dites à sa fille qu'elle nous l'amène pour boire un petit café ensemble », lance Christiane Michez. C'est ensuite un habitué des lieux qui passe. « Cela fait bien quatre ou cinq ans que je viens. Ma femme était sous dialyse. On venait ici se reposer. Elle est décédée il y a cinq mois. » Cet ancien ouvrier d'une usine d'explosifs a gardé l'habitude de séjourner régulièrement aux Weppes.

« Nous sommes des pros de l'adaptation, affirme Christiane Michez. Par exemple, nous avons accueilli une vieille dame juste le temps d'un week-end, à l'occasion du mariage d'un de ses petits-fils. Nous l'avons habillée, emmenée chez le coiffeur. Ensuite, ses enfants l'ont conduite à la noce, et elle est revenue après dormir ici. » L'équipe doit d'ailleurs parfois faire face à des situations qui ne sont pas vraiment de son ressort, comme le séjour d'une personne sans domicile fixe avant son installation dans un appartement, ou l'accueil en urgence d'une personne âgée découverte errant sur la nationale, ou, plus classiquement, l'hébergement de personnes convalescentes après une hospitalisation quand les maisons de repos sont saturées. « Nous sommes là pour donner droit à une demande de répit. Mais parfois nous souffrons nous-mêmes d'une fatigue morale et physique », s'inquiète la psychologue. Sans compter la pression des familles, qui exigent souvent la perfection. A l'image de ces enfants qui ont reproché à l'équipe le décès de leur mère durant son sommeil, le soir même de son admission.

Marie-Françoise Auger rêve désormais de multiplier ce type de structure, mais « les promoteurs sont frileux », regrette-t-elle. Il est vrai que, même doté du statut d'EHPAD, l'établissement n'entre dans aucune case. « Ainsi, nous devrions faire passer une visite médicale d'admission à chaque pensionnaire. Mais avec plus de 400 entrées par an, c'est impossible. Alors nous le faisons sur dossier médical, avec un accord écrit de notre médecin-coordinateur. » Et en ce qui concerne le financement, même si les aides, comme l'allocation personnalisée d'autonomie (APA), peuvent être utilisées, le prix de journée de 69,99 € doit être avancé par la famille. « Nous aurions besoin de règles et de tarifications spécifiques d'accueil temporaire », estime Marie-Françoise Auger. Mais le vrai frein est budgétaire. Impossible en effet d'établir la moindre projection sur le long terme car, en dépit d'un taux annuel de remplissage élevé, il y a toujours des moments plus creux que d'autres, et il n'existe aucune garantie que l'activité ne fléchisse pas. Une chambre vide coûte presque autant qu'une occupée, et il est plus rassurant, pour les financeurs, d'adosser un lieu d'accueil temporaire à une structure de longs séjours qui peut établir ses prévisions budgétaires sur plusieurs années. Mais cette solution laisse sceptique Marie-Françoise Auger. Pour elle, la relation de confiance sera plus difficile à mettre en place si les personnes en court séjour côtoient dans un même lieu des pensionnaires permanents. Au risque, estime-t-elle, qu'« il n'existe pas alors de réelle différence de fonctionnement ».

Notes

(1) EHPAD Résidence des Weppes : 700, rue Faidherbe - 59134 Fournes-en-Weppes - Tél. 03 20 44 08 50.

(2) Le centre Barrois, qui jouxte la résidence, comprend trois services : l'aide ménagère, le service de soins à domicile et le service de gardes à domicile.

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