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ESS et développement durable : deux mouvements convergents

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Malgré leurs différences de culture et d'histoire, l'économie sociale et solidaire et le développement durable partagent de nombreux intérêts communs et peuvent s'enrichir mutuellement. L'analyse de François Cathelineau, Nathalie Gaudant et François Rousseau, du cabinet d'ingénierie sociale et territoriale Cirese, à l'occasion de la semaine du développement durable qui se tient jusqu'au 7 avril (1).

«La crise financière et économique récente est analysée par certains comme une crise des valeurs du capitalisme. Dès lors, n'est-elle pas l'opportunité de faire valoir d'autres modes de développement, à la fois durables et solidaires ? A tout le moins, elle met en évidence les limites d'un modèle centré sur la seule logique du retour sur investissement et de la rentabilité pour les actionnaires, qui en vient à passer sous silence la pluralité des logiques économiques. Et c'est bien la question de la définition de l'économie que pose la crise actuelle : que désigne-t-elle ? A quoi, et à qui, sert-elle ? A quel prix est-on prêt à payer un niveau de croissance soutenu ? Enfin, dans une optique de durabilité, comment l'économie peut-elle être mise au service de la société et de l'homme, dans le respect de son environnement ?

Aujourd'hui encore, alors qu'une multitude d'acteurs s'en réclame, le développement durable n'est que peu appréhendé par de nombreuses structures de l'économie sociale et solidaire (ESS), souvent fragilisées par un contexte budgétaire critique. Evidence pour certains, mode passagère pour d'autres, le développement durable est plus souvent perçu comme une contrainte que comme une opportunité réelle. Pourtant, les acteurs et les publics des politiques sociales et territoriales peuvent-ils faire l'économie d'une véritable réflexion sur les enjeux du développement durable ?

A y regarder de plus près, les éléments de convergence entre les enjeux portés par l'économie sociale et solidaire et le développement durable sont réels. Malgré la différence de culture et d'histoire des deux mouvements, ils se réclament l'un comme l'autre :

d'une conception du développement solidaire (et non élitiste) ;

de critères de performance autres que strictement économiques ou financiers (tels que l'utilité sociale ou la durabilité) ;

d'une démarche qui donne du temps au temps, tant au niveau des individus que des organisations ;

de l'investissement dans des domaines qui allient la fin et les moyens (comme les énergies renouvelables, le tri et le recyclage, l'usage de logiciels libres).

En considérant l'activité économique comme un moyen, au service de l'atteinte du but qu'est le bien-être (social et environnemental), la multiplication des discours et des pratiques de développement durable offre un réel espace d'action aux organisations de l'économie sociale et solidaire ; et cela passe par la sensibilisation des acteurs des deux champs à la grammaire et au langage de l'autre.

Le risque de l'élitisme

L'enjeu est double. D'une part, une plus grande intégration des enjeux et principes du développement durable peut donc donner du crédit et une visibilité nouvelle à l'économie sociale et solidaire, secteur qui est, dans les représentations, encore vu comme marginal. Participation citoyenne, développement alternatif, qualité du service rendu, responsabilité sociale des entreprises, nouvelles formes de gestion non lucratives mais pas non productrices de richesses (en témoigne par exemple le nombre de salariés de l'ESS), sont autant de questions posées par le développement durable auxquelles les structures de l'ESS peuvent apporter des éléments de réponse fondés sur une expérience concrète. Il y a au coeur de l'ESS un vivier d'innovation, dans lequel on ne saurait trop appeler à puiser pour (ré)inventer des projets de développement durable. Mais au-delà de cette démarche d'expérimentation permanente, l'économie sociale et solidaire paraît la mieux placée pour rappeler l'incontournable dimension solidaire qu'il s'agit de faire vivre ici et maintenant : sans sa participation active, on voit poindre le risque d'un développement durable réservé aux classes les plus aisées et les plus sensibilisées, qui pourront vivre dans les éco-quartiers des centres-ville, loin des antennes relais, consommer les produits de qualité issus de l'AMAP (association pour le maintien d'une agriculture paysanne) locale et rouler dans des véhicules propres exonérés d'éventuels malus. C'est donc bien à la fois la double question de l'innovation et de l'ancrage social du développement durable qui est ici en jeu.

Une solidarité verticale

D'autre part, le développement durable devrait pouvoir étayer et renouveler les valeurs de l'ESS, voire en amplifier la portée. Car le développement durable ajoute à la solidarité horizontale envers les plus démunis une solidarité verticale, à l'égard des générations futures. Les acteurs de l'économie sociale et solidaire peuvent-ils se désintéresser de cette question ? Sans doute non. Mais comment l'abordent-ils dans leur pratique en tant qu'employeurs (dans leur rôle de formation et d'intégration des jeunes, dans l'optimisation des fonds de formation pour les seniors, par exemple), en tant que consommateurs (achats responsables, pratiques économes, etc.), voire en tant que contributeurs à l'amélioration des politiques de solidarité (durabilité des stratégies mises en oeuvre) ? La question de l'utilité sociale ne peut pas se traiter en dehors d'une anticipation des impacts sociaux, économiques et environnementaux.

Tout concourt à ce que l'ESS soit véritablement un pilier pour l'élaboration, la conduite, et même l'évaluation des politiques territoriales de développement durable. Mais cela suppose un positionnement fort en amont. Quels arguments avancer pour voir reconnaître cette place ?

S'inscrire dans une démarche territoriale de développement durable - voire participer à sa coproduction - permet aux structures de l'ESS de sortir du rôle d'opérateurs dans lequel elles sont parfois confinées. Au-delà des principes communs (coopération, solidarité, cohésion, etc.), des alliances peuvent ainsi se former entre l'économie sociale et solidaire et le développement territorial durable, de par la manière dont les acteurs locaux se relient et se coordonnent, mais aussi par le système de projet qui vise l'intérêt collectif, parfois général. De fait, «l'économie sociale et solidaire réalise des apprentissages et favorise l'acquisition de compétences fort pertinentes pour s'inscrire dans les divers processus qu'exige une gouvernance locale» (2). En rappelant son investissement déjà ancien sur la mise en pratique de valeurs alternatives citées plus haut, elle gagnerait une nouvelle légitimité et une nouvelle écoute.

Reste à l'économie sociale et solidaire, pour que les décideurs et les services de l'Etat actualisent le regard qu'ils portent sur elle, à renouveler la communication sur la pertinence de ses modes d'action, tant du point de vue des champs investis que des critères de performance, de ses modes de management ou de gouvernance que de la durabilité de ses actions. Il faudra également inventer de nouvelles manières d'exploiter les potentialités des structures de l'ESS pour peser davantage sur l'élaboration des stratégies et des plans d'action estampillés «développement durable» et issus des «Grenelle de l'environnement» et autres «Agenda 21» locaux.

Plus de transversalité

L'investissement de la réflexion sur le développement durable par les structures d'économie sociale et solidaire doit pouvoir aboutir à une amélioration des pratiques, qui, à défaut de réaliser un véritable échange entre les secteurs économique et social, se concentrent trop souvent sur la dimension environnementale du développement durable. L'apport de l'ESS (et de sa connaissance fine des interactions intersectorielles entre la société et l'économique) permettra d'enrichir les manières de faire, et d'aller vers plus de transversalité dans l'action, qu'elle soit publique ou privée. »

Cirese : 47, rue Eugène-Oudiné - 75013 Paris - Tél. 01 44 23 70 30 - cireseparis@wanadoo.fr - www.cirese.fr.

Notes

(1) Dans la perspective de cette semaine, le cabinet Cirese a mis sur pied d'un groupe d'experts issus tant du monde de l'ESS que du développement durable. Le compte rendu des travaux est disponible sur demande à l'adresse : ngaudant@cirese.fr.

(2) Benoît Lévesque, Economie plurielle et développement territorial dans la perspective du développement durable : quelques éléments théoriques de sociologie économique et de socio-économie - Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES) (Québec), 2007.

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