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« Revenir à la pédagogie de la responsabilité »

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A l'heure où une énième réforme de l'ordonnance de 1945 sur la délinquance des mineurs est en chantier, la pédagogie de la sanction reste plus que jamais au coeur des projets gouvernementaux. Telle est l'analyse du sociologue Philip Milburn, qui interroge les logiques à l'oeuvre en la matière dans son ouvrage « Quelle justice pour les mineurs ? ». Et qui souligne l'inefficacité d'une conception purement répressive de la justice des mineurs.

A lire votre ouvrage, on mesure à quel point l'évolution de la justice des mineurs suit celle de la société en général...

En effet, les politiques et les dispositifs appliqués dans ce domaine ont toujours été le reflet du style de lien social à l'oeuvre dans la société à un moment donné. Par exemple, la prise en charge disciplinaire des mineurs à la fin du XIXe siècle correspondait à une société où le disciplinaire était effectivement un mode d'organisation transversale. De la même façon, la responsabilité individuelle constitue aujourd'hui un mode d'organisation sociale. Il est donc logique de la retrouver dans les modes de prise en charge des déviances.

Vous identifiez trois grandes époques dans l'histoire de la justice des mineurs. Qu'est-ce qui les distingue ?

La première démarre avec les lois de 1810 et de 1850 consacrées au traitement des mineurs difficiles. Pour reprendre le vocabulaire de Michel Foucault, il s'agit alors de redresser les mineurs par une orthopédie de la discipline pratiquée au sein des fameuses maisons de correction et des colonies pénitentiaires. Le deuxième modèle, qui prend davantage en compte la personnalité des jeunes, commence à émerger dans les années 1930 et se concrétise avec la publication de l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante, qui prendra sa pleine envergure après la parution de l'ordonnance de 1958 sur la protection de l'enfance. Le juge pour enfants, pilier du nouveau système, se voit alors confier la double fonction de protection des mineurs en danger et de prise en charge des jeunes délinquants. La justice des mineurs repose à cette époque sur le principe d'éducabilité. L'acte délictueux est vu comme le symptôme d'un problème, d'une carence éducative, d'un dysfonctionnement social. Jusqu'aux années 1980, la clinique - c'est-à-dire l'adaptation du jeune à un système social normalisé - est le mode dominant de prise en charge des mineurs délinquants. Cette approche commence à être critiquée dans les années 1980, qui marquent le début de la troisième époque. Le dispositif juridique ne change pas - du moins dans un premier temps -, mais par petites touches le pénal se sépare du civil, avec des traitements de plus en plus différenciés entre mineurs délinquants et jeunes en danger. La responsabilité devient la thématique dominante de la prise en charge des jeunes délinquants, notamment avec l'instauration de la réparation pénale. Plutôt que de prendre en compte uniquement les déficiences éducatives du mineur, il s'agit de lui faire reconnaître le caractère problématique de son comportement et de l'inciter à exercer sa responsabilité.

Le couple « vulnérabilité-responsabilité » constitue, selon vous, le paradigme actuel de la justice des mineurs. C'est-à-dire ?

Le nouveau modèle est marqué, on l'a vu, par la séparation progressive des mesures civiles de protection de l'enfance de celles pénales visant les jeunes délinquants. Auparavant, elles relevaient toutes d'une même approche, celle de l'inadaptation. Mais à partir des années 1980, on a vu se renforcer une délinquance des mineurs d'un genre nouveau, alors que la thématique de l'enfance en danger devenait de plus en plus présente, à la lumière de cas réels de maltraitance et d'abus. Deux populations assez différentes se croisent dans les cabinets des juges, avec, d'un côté, des victimes plutôt jeunes et, de l'autre, des adolescents ou préadolescents responsables d'infractions. Un clivage va alors se produire, les conseils généraux héritant de la protection de l'enfance, tandis que la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) est recentrée sur le volet pénal, dans lequel elle est même cantonnée. Cette double entrée entre « victimes » et « responsables » va d'ailleurs s'imposer à l'ensemble des politiques sociales. Les personnes en difficulté sont considérées soit comme vulnérables, car menacées par les effets du fonctionnement de la société et de l'économie, soit comme responsables, car capables a priori de s'en sortir à condition de le vouloir. Le RMI intègre ces deux dimensions : vulnérabilité avec l'allocation et responsabilité avec le contrat d'insertion.

Les lois Perben de 2002 puis de 2004 ont-elles constitué un nouveau tournant ?

Du point de vue des paradigmes qui fondent l'action publique en matière de délinquance des mineurs, elles ne représentent pas vraiment une rupture, dans la mesure où elles s'inscrivent dans la thématique de la responsabilité déjà à l'oeuvre. Ce qui change, c'est que l'on passe alors d'une approche plutôt positive, fondée sur la responsabilisation des jeunes, à une conception répressive de la responsabilité. La sanction et la contention deviennent les seules réponses à la délinquance des jeunes. Les propositions de la commission Varinard en sont une nouvelle illustration. Parmi celles-ci, l'idée, heureusement abandonnée, de fixer la responsabilité pénale dès l'âge de 12 ans a été beaucoup critiquée. Mais une autre idée du rapport, passée assez inaperçue, a été reprise par la ministre de la Justice. Il s'agit de modifier la terminologie en transformant toutes les mesures éducatives prononcées par les juges en « sanctions éducatives ». Ce serait symboliquement un tournant important, car la sanction ne s'appuie pas sur la relation pédagogique, la responsabilité ou encore la liberté. La question se pose, en outre, de la traduction de la sanction en termes pédagogiques. L'affirmation selon laquelle la sanction va permettre aux mineurs de se réformer et d'éviter la récidive n'a ni corps ni contenu. Et je ne vois rien sur cette question dans les textes émanant de la chancellerie. Ainsi, même s'ils le voulaient, les éducateurs de la PJJ n'auraient aucune base solide pour construire une action éducative sur la sanction.

Comment se situe la justice des mineurs en France, au regard des autres pays européens ?

Sur le plan des textes, la France apparaît plutôt dans la norme, la priorité étant généralement accordée à la responsabilité. Mais, sur le terrain, on observe ailleurs des pratiques qui se révèlent plus pragmatiques que chez nous. Pour prendre l'exemple de la Grande-Bretagne, qui a elle aussi beaucoup durci sa législation, il existe une approche, baptisée « problem solving », qui consiste à mobiliser les ressources locales et à valoriser les meilleures initiatives afin de répondre au problème du mineur, avant de chercher à punir sa déviance. En outre, autour des mineurs délinquants interviennent des équipes de travail multi-agences, les « young offender teams », qui regroupent aussi bien des travailleurs sociaux que des professionnels de santé ou encore des policiers.

La logique de l'éducabilité peut-elle résister à la pression des politiques sécuritaires actuelles ?

La pédagogie de la sanction qui se dessine aujourd'hui me paraît contradictoire avec l'idée même d'éducabilité. Quand vous êtes dans un centre éducatif fermé (CEF), il n'y a pas forcément des grilles ou des murs, mais si vous quittez le foyer, ça n'est plus une fugue : c'est un délit. Que fait alors l'éducateur qui souhaite préserver la relation éducative avec le jeune ? Doit-il signaler le délit ? Doit-il le consigner dans son rapport ? Et s'il ne le fait pas, qu'en est-il de sa responsabilité professionnelle ? Les risques de dérive sont réels, surtout avec le parquet qui fait pression pour que ces faits soient sanctionnés. On peut toutefois espérer que la logique de l'éducabilité survive à travers les pratiques d'éducateurs et de juges pour enfants. Un certain nombre d'entre eux font d'ailleurs de la résistance en essayant d'inventer des réponses éducatives nouvelles. Malheureusement, ces innovations vont à contre-courant de la ligne officielle et sont très peu mises en valeur par les instances centrales. Néanmoins, si le balancier va trop loin du côté de la sanction, comme cela semble être le cas actuellement, on va très vite percevoir les limites de la pédagogie de la sanction. Ne serait-ce que si les chiffres de la délinquance des mineurs continuent de croître. De plus, des situations explosives vont se développer dans certains centres éducatifs fermés ou certains établissements pénitentiaires pour mineurs. Déjà, au sein de ces derniers, on s'aperçoit que cela ne fonctionne pas si bien que ça. On ne sait pas faire de l'éducatif en milieu carcéral, ce n'est pas nouveau. A un moment ou à un autre, on sera sans doute obligé de revenir un peu en arrière, vers la pédagogie de la responsabilité telle qu'elle avait été engagée dans les années 1970, en laissant de la place à l'innovation. Avec, espérons-le, un peu moins de mépris pour les acteurs de terrain, car la boîte à idées se trouve aujourd'hui de leur côté, et pas de celui du gouvernement.

REPÈRES

Philip Milburn est sociologue. Il enseigne à l'université de Versailles-Saint-Quentin et est membre du laboratoire Printemps du CNRS. Il vient de publier Quelle justice pour les mineurs ? Entre enfance menacée et adolescence menaçante (Ed. érès). Il a également participé à l'ouvrage La réparation pénale à l'égard des mineurs (Ed. PUF, 2005), et publié Les modes alternatifs de règlement des litiges : les voies nouvelles d'une autre justice (Ed. La Documentation Française, 2003).

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