La « niaque » jusqu'au bout

C'est un témoignage exceptionnel que livre Yves Lacroix, infirme moteur cérébral, sur ce que signifie concrètement l'extrême dépendance. Une manière de testament spirituel aussi, puisque l'auteur, décédé en 2007, a travaillé à cet ouvrage pendant les dix dernières années de son existence. Equipé d'une licorne - tige métallique recourbée fixée à un casque de cycliste, dont le bout de caoutchouc permet d'écrire en appuyant sur chaque touche du clavier -, Yves Lacroix entend faire partager une expérience de vie « sans cesse en mouvement, bien que [...] jour et nuit liée aux gestes, aux voix et aux bons vouloirs des autres », proches et professionnels. C'est tout particulièrement à ces derniers que l'auteur destine son patient labeur. Pour leur transmettre « un regard direct de l'intérieur, sans compassion ni complaisance » sur ce qu'attend de ses aidants une personne quadraplégique qui, pendant vingt-six ans, a persévéré dans « la folie de vivre à domicile ». Membre fondateur de la Coordination handicap autonomie (CHA), Yves Lacroix a « toujours évité d'être séquestré par [son] handicap ». Mais il ne le cache pas : il faut une « niaque » à toute épreuve pour parvenir à un accompagnement à la hauteur de ses ambitions, et une condition d'haltérophile, tant il est harassant de dépendre physiquement d'aidants dont le tact, le respect et l'attention à l'autre sont loin de lui sembler être toujours les qualités dominantes...