Septembre 2008, en Grèce. « Le 20e Grand Prix international de la radio est attribué au programme Mémoire vive présenté par Radio Clapas ! » Le président du jury de l'Université radiophonique et télévisuelle internationale (URTI) (1) a ainsi consacré une émission réalisée par une dizaine de jeunes placés sous protection judiciaire, dans laquelle ils témoignent et échangent avec des interlocuteurs sur le thème de la mémoire. La compétition réunissait pas moins de 55 émissions représentant 30 pays des 5 continents. Le jury a salué un programme « très original, porté par une sincérité, un optimisme, une fantaisie et une fraîcheur qui n'excluent pas une vision dense et profonde du sujet » (2). Une véritable consécration pour les adolescents et l'équipe éducative de l'atelier radio de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) de Montpellier.
Mars 2009, dans l'Hérault. Sept adolescents confiés à la PJJ planchent sur le thème de la confiance. Avec l'aide de quatre travailleurs sociaux, ils doivent réaliser en cinq jours une nouvelle émission de vingt minutes, de qualité professionnelle, qui sera diffusée sur Radio Clapas (une radio locale associative de Montpellier, sur la fréquence 93.5) puis, selon les cas, sur RFI. « J'ai rien à dire sur ce sujet », « C'est nul ! »... Jean-Jacques Chauchard et Guillaume Marrot ont l'habitude. A chaque fois que le professeur technique et l'éducateur PJJ de l'atelier radio annoncent le thème qu'ils ont retenu, la réaction des jeunes est la même. Et immuablement, après quelques minutes de brainstorming - une véritable conférence de rédaction -, les idées fusent : « On pourrait interviewer des flics, moi je leur fais pas confiance », « un homme politique ? », « un vendeur ! » « moi, j'ai plus confiance en personne »... La dynamique est lancée. Les sept ados se connaissent à peine, mais vont vivre ensemble une semaine intense de création radiophonique autour d'ateliers d'écriture, de séances d'enregistrement, de reportages, d'interviews, de montages audio.
Depuis son ouverture, en octobre 2003, l'atelier a diffusé plus d'une vingtaine d'émissions, sur des thèmes aussi variés que la vieillesse, la frontière, la peur, l'amour, etc. Des programmes conçus en trois temps : les jeunes racontent d'abord une histoire personnelle en lien avec le sujet de l'émission ; puis ils partent interviewer des spécialistes ; enfin, ils partagent une expérience de vie « en direct », durant laquelle du son est enregistré.
En 2000, Jean-Jacques Chauchard, alors éducateur PJJ, dessine à Villemomble (Seine-Saint-Denis) un premier projet éducatif utilisant la radio. Sa rencontre avec Edouard Zambeaux, producteur-journaliste à RFI, via la Fondation 93 (3), l'aide à donner une dimension professionnelle à ce projet. Après une formation de professeur technique PJJ (le thème de son mémoire de fin d'étude était « 24 heures au poste : la radio comme outil d'insertion »), il répond à un appel d'offres du centre d'action éducative et d'insertion (CAEI) de Montpellier pour y monter un projet similaire. Rejoint par Guillaume Marrot, éducateur PJJ issu de la même promotion, il développe un atelier informatique au sein du foyer d'action éducative (FAE) La Source (4). « Ouvert à tous les jeunes inscrits au CAEI, cet atelier informatique est un espace de remobilisation et d'émergence de projets, un lieu de formation et d'apprentissage des techniques de l'information et de la communication. De plus, le matériel radio permet de travailler le montage et le mixage audio », explique Guillaume Marrot. Les semaines consacrées aux émissions radio sont proposées au public de l'atelier informatique et, plus largement, aux 12 résidents du FAE ainsi qu'à tous les jeunes du département de l'Hérault suivis par la PJJ.
Cette fois-ci, ce sont Kamel, Jordan, Nicolas, Fatih (16 ans), Kenza, Lina (17 ans) et Brandon (19 ans) (5) qui seront amenés à se questionner, à découvrir, à créer, à se valoriser, à s'ouvrir en créant leur propre oeuvre radiophonique. « Pour ces jeunes, ce qui fonctionne, c'est d'être dans le désir et pas dans l'obligation. S'ils ont décidé de venir à l'atelier radio, c'est qu'ils y perçoivent un intérêt. Ils transgressent parfois la loi, parce que cette transgression leur procure du plaisir. Une activité comme la radio peut avoir la même teneur en intensité, sans l'illégalité », insiste Jean-Jacques Chauchard. Ce matin, Lina manque à l'appel. Marianne Legrand, éducatrice PJJ, détachée du CAEI pendant cette semaine radio, prévient son éducatrice de milieu ouvert. « Si elle nous rejoint dans l'après-midi, elle pourra se raccrocher au projet. C'est notamment pour cela que, lors des semaines radio, nous sommes quatre encadrants. Cela peut paraître beaucoup, mais si Lina arrive et que je dois lui faire travailler son texte, que Guillaume part chercher Kenza chez elle parce qu'elle n'a pas réussi à se lever, tandis que Jean-Jacques est au téléphone pour fixer une interview... on n'est pas de trop ! » L'équipe est donc complétée par Virginie Dalverny, habituellement éducatrice PJJ à La Source, qui précise : « Jordan, qui participe à l'atelier radio, est hébergé au FAE, mais ce n'est pas pour autant que je m'occupe plus spécifiquement de lui. Au contraire, ce projet est l'occasion pour lui de nouer un contact avec des éducateurs ayant une approche différente, et pour moi de l'observer dans un tout autre cadre. »
Après la « conf de rédac » du lundi matin, les jeunes sont envoyés l'après-midi même sur le terrain pour réaliser un micro-trottoir. « Ils apprennent ainsi à se servir du magnétophone et s'imprègnent pleinement du sujet en posant des questions », explique Guillaume Marrot. Le mardi matin, commence le travail d'écriture d'un « papier radio » visant à échafauder leur pensée autour du thème de la confiance. Les jeunes doivent réfléchir à partir de leur expérience personnelle, « sans tomber dans le pathétique, la réactivité, le médiatique ou s'enfermer dans des histoires dramatiques », précise l'éducateur. Qui ajoute : « Le travail sur l'écriture les bloque souvent. Certains possèdent un niveau scolaire faible. Ils acceptent de se débloquer quand on leur explique que c'est un outil de travail, et que l'objectif n'est pas d'obtenir un texte propre comme à l'école. Ils peuvent faire des fautes d'orthographe, avoir des formulations bien à eux, le papier doit simplement avoir un début, une fin, un sens. Ce temps de rédaction, que nous effectuons en tête à tête, représente un travail éducatif que l'on a rarement l'occasion de produire quand on est derrière un bureau. »
La radio, outil éducatif ? Selon Jean-Jacques Chauchard, c'est indéniable : « Les portes d'entrée éducatives sont multiples ! D'abord, la radio nous sert de prétexte pour amener les gamins à réfléchir sur eux-mêmes. En dehors de l'atelier, si j'avais demandé à l'un d'eux de me parler de la confiance en soi, il ne m'aurait rien dit. Là, ils acceptent de se creuser la cervelle. C'est aussi une aventure collective, où chacun doit trouver sa place dans un groupe. Par ailleurs, quand on commence l'activité, ni eux ni nous ne savons quel sera le résultat. Avec ces adolescents terrorisés par l'avenir, nous abordons ainsi le fait que l'on n'est pas obligé de toujours tout maîtriser jusqu'au bout pour avancer. » Même si cette action reste difficile à évaluer, les professionnels assurent qu'en maillage avec les autres interventions de la PJJ, la participation à cet atelier peut accélérer le déblocage de certaines situations, et aider à asseoir ces jeunes dans une posture d'adulte.
Mercredi matin, 9 heures. Rendez-vous est pris au commissariat avec le gardien de la paix Thierry Tejedo. Ce syndicaliste accepte de recevoir les jeunes pour aborder le thème de la confiance. « Avec des jeunes étiquetés «PJJ», il n'est pas toujours aisé d'obtenir les autorisations pour interviewer des professionnels, ou d'entrer dans certains lieux, admet Marianne Legrand. Nous jouons sur nos contacts, et parfois sur nos talents de négociateurs. Ce dont nous sommes le plus fiers est d'avoir pénétré chez IBM, dont le dispositif de sécurité est particulièrement lourd ! Quand on sait que le simple fait d'avoir une carte d'identité à jour est compliqué pour ces jeunes... »
Guillaume Marrot aide les apprentis journalistes à préparer l'interview du policier : « Lorsqu'on a évoqué le thème de la police, ils avaient d'office un discours caricatural. Mais attention, mon objectif n'est pas du tout de déconstruire ce discours, ni de faire du «politiquement correct», mais de les amener à se poser un certain nombre de questions, afin qu'ils arrivent à penser par eux-mêmes, et non plus simplement par clichés. » Avant la rencontre, l'éducateur rappelle surtout aux jeunes que l'exercice consiste à ramener du son, et du bon !
La petite équipe s'installe dans le bureau du gardien de la paix. Ouvert, celui-ci répond avec prévenance aux questions, d'abord timides : « Est-ce que vous faites confiance aux jeunes ? » « Avez-vous confiance en vos coéquipiers ? » Puis plus spontanées : « A quoi sert la police ? » « Pourquoi on mange si mal en garde à vue ? » Du vécu ! Kamel et Brandon parlent beaucoup. Fatih et Kenza, plus attentifs à l'enregistrement, restent en retrait. La présence du micro modifie la place et le rôle de chacun. Les jeunes apprennent à s'appréhender différemment, dans une image positive que, pour la plupart, ils ont perdue depuis longtemps. Jusqu'à la fin de l'interview, ils écoutent avec attention et semblent satisfaits. « J'avais encore plein de questions », s'insurge Kamel quand l'entretien prend fin. Mais il faut penser au montage radio : sur trois quarts d'heure d'enregistrement, seules deux minutes doivent être conservées. Devant le commissariat, les adolescents fument une cigarette avec Thierry Tejedo. « S'asseoir et discuter avec un policier, c'est le genre de rencontres improbables que suscitent ces émissions », sourit Guillaume Marrot.
14 h 20. Lina apparaît enfin. Jean-Jacques Chauchard la reçoit en tête à tête pour comprendre ce qui l'a empêchée d'assister aux premiers jours de l'atelier. Quant à Jordan, on ne le reverra plus de la journée. Dans la soirée, Virginie Dalverny lui rendra visite dans sa chambre, pour tenter de faire tomber ses résistances. Les autres jeunes rentrent de leur pause-déjeuner avec près d'une demi-heure de retard, malgré leur promesse d'être à l'heure pour accueillir l'intervenante de l'après-midi, Anabel Vigier, ancienne éducatrice spécialisée devenue comédienne. « Il y a trois stades de confiance : la confiance en soi, la confiance en l'autre et la confiance au groupe. Ce que je vous propose, ce n'est pas un atelier de théâtre, mais une série d'exercices corporels courts et simples », explique l'intervenante. Elle demande aux adolescents de marcher dans l'espace les yeux bandés, de se toucher, puis de se jeter chacun leur tour avec confiance dans le groupe qui les rattrape. Ça chahute un peu, les garçons jouent à celui qui sera le plus fort, tandis que les filles expriment quelques angoisses. Jean-Jacques Chauchard enregistre la séance dans son intégralité - elle fera l'objet d'un court reportage dans l'émission. « En matière de radio, c'est parfait ! sourit-il. Les jeunes ne sont plus ici des apprentis journalistes. D'intervieweurs, ils deviennent interviewés, vivent eux-mêmes l'action et prennent des sons en situation d'ambiance. »
15 heures. Les tâches de l'après-midi sont réparties. Lina s'isole avec Marianne Legrand afin de rédiger son papier. Kenza et Kamel travaillent avec Guillaume Marrot au « dérushage » - écoute et sélection - du reportage au commissariat, tandis que Fatih enregistre son texte sous le contrôle de Jean-Jacques Chauchard, avec Brandon à la technique.
« Ma famille est kurde, et quand j'avais 8 ans, mon père faisait de la politique en Turquie. Une fois, il s'est fait frapper par la police. » Derrière le micro du petit studio d'enregistrement, Fatih s'applique à lire son écrit. Exigeant, le professeur technique l'arrête : « Refais-moi cette phrase, elle est parfaite mais il y a eu un bruit de feuille. » Il lui corrige ses quelques erreurs de prononciation, son ton, etc. « Il faut que les auditeurs pensent que tu as dit ça en une seule prise parfaite. On va reprendre. Rappelle-toi que tu racontes une histoire. Tu dois mettre des sentiments dans tes phrases. A la fin, on aura un papier «propre». » Fatih raconte son enfance difficile. « Ce qu'ils confient est souvent très intime, mais ça ne finit jamais en larmes, car le micro met de la distance, explique le professeur technique. Sur le plan radiophonique, on n'a pas envie qu'ils émettent des généralités. Et, sur celui éducatif, c'est le moyen d'évoquer des questions intéressantes : ce qui est dit là, on en reparle ensuite. Mais c'est aussi pour cela qu'on refuse de les faire travailler en direct. La radio est un outil du dévoilement. Grâce à ce média, les jeunes abordent leurs problématiques personnelles sans tricherie. Mais on veut qu'à tout moment ils puissent garder le contrôle de leur parole. Le différé évite d'aller trop loin dans la confession. »
Le professeur technique aura la même exigence avec Brandon, qui raconte, quelque peu intimidé devant le micro, l'histoire de sa mère, qui l'a élevé seule et reste l'unique personne à qui il accorde sa confiance. « Je ne suis pas une machine », se plaint-il à Jean-Jacques Chauchard, lassé de devoir répéter les mêmes phrases. « Je suis désolé, mais la radio, c'est contraignant. On ne peut pas dire n'importe quoi n'importe comment », lui réplique celui-ci. Et d'expliquer : « Les jeunes doivent comprendre que dans la vie il y a des contraintes, qui ne sont pas seulement de l'arbitraire des adultes, mais nécessaires pour obtenir un résultat de qualité. Ils s'énervent parfois, mais on est toujours allés jusqu'au bout. »
L'idée de l'équipe éducative n'est pas, et de loin, de faire de ces jeunes de futurs animateurs radio. Néanmoins, pendant un temps, la présence de journalistes radio et ingénieurs du son professionnels s'est révélée indispensable à la bonne teneur du projet. D'une part, ils ont apporté une garantie de qualité. Et d'autre part, dans la perception des jeunes, la participation de personnes hors champ du social a donné du crédit à l'aventure proposée par la PJJ. « Petit à petit, nous nous sommes formés à l'éditorial et à la technique, et on travaille désormais en autonomie », constate Guillaume Marrot.
L'objectif est de finaliser les prises de son et le dérushage des reportages le jeudi soir. Dans la nuit de jeudi à vendredi, les éducateurs terminent le montage et les habillages de l'émission, parfois avec l'aide de résidents du foyer qui peuvent veiller jusqu'à 22 heures. Le vendredi, à 9 heures, est ainsi proposée au groupe une première écoute de l'enregistrement. « En étalant l'atelier radio sur deux semaines, on pourrait éviter de travailler dans l'urgence et profiter de davantage de temps pour fignoler l'émission. On y a pensé, avant d'y renoncer : tout ramasser sur une semaine, c'est ce qui enclenche chez les jeunes une vraie dynamique de groupe. C'est l'intensité qui fait l'aventure », observe Jean-Jacques Chauchard.
Une fois la version finale validée par tous, un CD du programme est remis à chaque participant. « C'est leur émission. J'ai vu des jeunes ramener le disque à leur famille. C'est quelque chose de très valorisant pour eux », note Virginie Dalverny. Un « produit fini » qui leur redonne le sentiment qu'ils valent quelque chose et qu'ils possèdent des compétences réelles. Mercredi 25 mars, sur Radio Clapas, La confiance a été présentée simplement comme « une émission proposée par l'atelier radio de la PJJ », sans que soit expliquée aux auditeurs montpelliérains la signification de ce sigle.
L'atelier radio ne se limite pas aux émissions radio remises clé en main à Radio Clapas. Le professeur technique et l'éducateur PJJ proposent aux jeunes de travailler également sur d'autres formats : ils ont ainsi déjà réalisé trois docu-fictions - La mer, La ville et Le bonheur -, des directs, dans le cadre de la couverture d'événements sportifs ou d'un festival de musique, des camps radio, en partenariat avec le CAEI de Villemomble, etc. En 2008, ils ont proposé à sept stagiaires un travail au long cours afin de mettre en voix sous forme d'audio-livre le roman de Thierry Jonquet La vie de ma mère, un récit rédigé dans un langage oral et familier. L'histoire est celle d'un adolescent qui relate, depuis la prison où il est incarcéré, quelques épisodes de sa vie sur une cassette destinée au juge. « La plupart de ces jeunes n'ont jamais lu un livre dans son intégralité, explique Jean-Jacques Chauchard. L'objectif était de les familiariser avec l'objet-livre, de dédramatiser ce support. Ils ont tous lu les 150 pages du roman, et ont travaillé sur une réduction du texte accessible au format radio (25 % du texte pour une heure de radio). » Ce travail de reformatage et l'enregistrement audio les a aidés à consolider leurs compétences en lecture. « A la différence de la première lecture orale, où un certain manque d'expressivité était accepté, l'enregistrement a fait appel au jeu théâtral : la recherche du ton, de l'émotion, du timbre et de la vélocité. » Devenu écrivain après diverses expériences professionnelles dans le travail social, Thierry Jonquet a été enthousiasmé par le projet, au point de céder ses droits d'auteur.
(1) Organisation non gouvernementale, l'URTI constitue, depuis 1949 pour la radio et depuis 1957 pour la télévision, une base de programmes audiovisuels de référence. Le Grand Prix international de radio récompense des oeuvres qui ont, par leur originalité et la qualité de leur réalisation, le mieux contribué à la sauvegarde ou à la promotion du patrimoine culturel. Contact :
(2) L'émission, réalisée en février 2005, avait déjà reçu le prix « Jeunes talents » de la Société de gestion collective des droits d'auteur dans le domaine du multimédia (SCAM) en 2006.
(3) La Fondation 93 est un centre de culture scientifique, technique et industrielle. 70, rue Douy-Delcupe - 93100 Montreuil - Tél. 01 49 88 66 33 -
(4) FAE La Source : 238, avenue de Lodève - 34090 Montpellier - Tél. 04 67 75 95 10. Des fichiers MP3 des émissions sont disponibles sur demande par e-mail :
(5) Les prénoms des jeunes ont été modifiés.