Créés à titre expérimental au début des années 90, les postes d'intervenants sociaux en commissariat, puis en unités de gendarmerie, se sont multipliés depuis que l'Etat a appelé à leur généralisation en 2005 et leur a fixé un « cadre de référence » par voie de circulaire en décembre 2006 (1). Alors que ces professionnels, dont la mission est désormais inscrite dans la loi sur la prévention de la délinquance du 5 mars 2007, sont aujourd'hui plus d'une centaine (voir encadré), la délégation interministérielle à la ville, co-financeur des postes, rend public un rapport d'évaluation du dispositif. Réalisé avec FORS-Recherche sociale (2), il vise à prévoir les conditions de son développement et de sa pérennisation.
Issus d'une mobilisation individuelle, d'un contexte politique favorable ou de « l'effet de levier des financements expérimentaux du comité interministériel des villes (CIV) », les postes d'intervenants sociaux en commissariat et en gendarmerie ont fait l'objet d'un montage souvent complexe, variable d'un site à l'autre. Dans la majorité des cas, la convention de partenariat associe l'Etat, le conseil général ou une commune, et les services de police ou de gendarmerie. Les conseils généraux, perçus comme les partenaires « naturels » du dispositif en raison de leurs compétences en matière d'action sociale et de l'inscription territoriale des postes, sont les plus mobilisés pour le financement. Et quand les collectivités ne mettent pas directement des travailleurs sociaux à disposition, le poste peut être assuré par une structure associative.
Si tous ces professionnels partagent le « coeur de métier » défini dans la circulaire de 2006 - évaluer, réaliser une intervention de proximité (actes éducatifs, de médiation sociale, information, orientation...) et faciliter l'accès aux services sociaux de droit commun -, il existe de nombreuses disparités dans leurs missions et leurs modalités d'intervention selon leur formation, la taille du site, ou la volonté de la hiérarchie de leurs services d'implantation. Il en va ainsi de la médiation sociale, qui, au-delà de la mise en relation, s'étend sur certains sites à la gestion des conflits. « Urgentistes » de l'action sociale, ces intervenants sociaux fournissent « une réponse sociale en temps réel ». L'action de court terme est donc la règle, avec toutefois des nuances, notamment quand le changement de référent, induit par le passage de relais, risquerait de mettre fin au suivi, surtout quand l'usager est très fragilisé.
Le choix des problématiques traitées distingue les sites en deux catégories. Celle où l'intervenant social s'adresse à toute personne connaissant des difficultés sociales, comme le précise la circulaire de 2006 et l'a recommandé l'Association nationale des assistants de service social. Et celle où le poste est davantage conçu pour les personnes ayant un statut de victime ou étant juridiquement considérées comme vulnérables, au risque de faire du professionnel un « expert » dans des domaines couverts par d'autres acteurs, notamment ceux de la protection de l'enfance. Mais, plus que la fiche de poste, ce sont les caractéristiques sociodémographiques du territoire, l'existence ou non de services sociaux et médico-sociaux de proximité, ainsi que la configuration des locaux qui déterminent les publics auxquels s'adresse le professionnel. Si, en la matière, l'activité de la structure porteuse joue également un rôle, « la manière dont les agents de police ou de gendarmerie comprennent le rôle de l'intervenant social n'est pas non plus à négliger ».
De fait, les conflits intrafamiliaux (avec une prépondérance des conflits conjugaux) représentent près de 70 % des situations abordées. Les problèmes d'ordre socio-économique ne sont pas négligeables, « mais sont plus souvent une porte d'entrée vers l'intervenant social en gendarmerie qu'en commissariat ». Et de manière générale, « le dispositif prend en charge huit fois plus fréquemment les victimes que les auteurs présumés ». Alors que la circulaire de 2006 prévoit aussi leur prise en charge, « les mis en cause sont quasiment absents des discours, y compris dans les sites où les fiches de poste, conventions ou notes de service les mentionnent comme des bénéficiaires potentiels du dispositif au même titre que les victimes ». Pourquoi ne sont-ils pas orientés vers ces services ? Tandis que les gendarmes et policiers cantonnent l'auteur à une prise en charge pénale, avec la crainte d'une « banalisation du traitement social dans les affaires judiciaires », les intervenants sociaux ont du mal, « sur un plan déontologique, à concevoir la possibilité d'assurer l'accompagnement, dans une même situation, à la fois de la victime et de l'auteur ». Dans certains cas, c'est le financeur qui a fait le choix d'une telle spécialisation. Plus globalement, ajoute le rapport, les récentes campagnes en faveur de la prise en charge des victimes ont contribué à faire du dispositif « un levier pour l'amélioration de leur suivi ».
Transversale, l'action des intervenants sociaux vise à mobiliser les partenaires concernés, au premier rang desquels les services sociaux départementaux. Ainsi, les collaborations avec les assistants sociaux de secteur « sont fréquentes dans 94 % des cas » et celles avec les services de protection de l'enfance sont habituelles. Ce constat est d'autant plus vrai « que l'intervenant social est un assistant social rattaché au service social du département ». Les échanges sont en revanche faibles avec la justice. Considéré comme un relais, l'intervenant est également sollicité comme personne ressource, notamment pour réaliser des évaluations conjointes. Au-delà de la simple orientation, les échanges d'informations se font « de manière unilatérale, à savoir de l'intervenant social vers ses partenaires », de façon non formalisée et « dans les limites du secret partagé ». La qualité de ce processus partenarial, nuance néanmoins le rapport, est quelquefois menacée par le « turn-over » des intervenants sociaux en gendarmerie ou en commissariat, à la recherche d'une plus grande stabilité. La plupart, en effet, sont embauchés sur des contrats de un an renouvelables trois fois. A cette précarité de l'emploi s'ajoute un sentiment d'isolement, d'autant que la formation à l'entrée au poste, la formation continue et la supervision « restent encore des pratiques peu généralisées ». S'ils sont bien intégrés dans les services, cependant à des degrés différents selon l'appui de leur hiérarchie et les efforts de communication réalisés auprès des agents, leur attachement à une double autorité - fonctionnelle (commissaire, commandant) et hiérarchique (conseil général, association...) - peut être par ailleurs source de confusion.
Quelle est la plus-value du dispositif ? En première ligne dans le repérage de situations nécessitant un accompagnement, les intervenants sociaux sont « le gage d'une meilleure réactivité ». Ils permettent aussi aux travailleurs sociaux de secteur « d'avoir connaissance d'un public «déconnecté» des circuits de l'action sociale ». Et, plus spécifiquement, « d'avoir une meilleure visibilité des situations de violences intrafamiliales » et de favoriser la prise de conscience, chez les personnes victimes, de l'importance de déposer plainte. Quant aux services sociaux partenaires, ils voient dans le dispositif « la possibilité d'une prise en charge plus cohérente et plus complète du public ». Autre impact positif évoqué : le décloisonnement interinstitutionnel entre les différents acteurs sociaux et les services de police et de gendarmerie. L'intervenant social apparaît comme un « facilitateur de communication » alors qu'existaient auparavant « défiance et préjugés ».
Cette plus-value reste néanmoins difficile à valoriser, peu de sites ayant engagé une démarche d'évaluation avec des outils adaptés. « Comme d'autres métiers du champ de la médiation, le dispositif des intervenants sociaux pâtit donc des difficultés éprouvées à évaluer son «utilité sociale». » D'où la nécessité, préconise le rapport, de mettre en oeuvre un référentiel d'évaluation reposant sur des indicateurs pertinents.
Améliorer les conditions de pérennisation du dispositif suppose de favoriser son appropriation locale, suggèrent les rapporteurs, qui avancent dans cet objectif trois pistes : la réalisation d'un diagnostic partagé préalable avec les services sociaux départementaux, la formalisation de protocoles d'intervention entre services sociaux et intervenants sociaux permettant d'assurer la visibilité du poste, et la mise en place d'outils de pilotage et d'évaluation adaptés. Reste, en outre, un important « travail de conviction » à mener auprès de collectivités, peu enclines à porter seules la charge financière du dispositif. « Le financement des postes sur un mode partenarial (Etat/collectivités) sera donc amené à perdurer, en cohérence avec l'action des intervenants sociaux, qui se situe bel et bien au carrefour de multiples champs de l'action sociale, de la lutte contre l'exclusion à la lutte contre les violences faites aux femmes, la protection des personnes vulnérables, l'accès aux droits ou encore la protection de l'enfance. »
En décembre 2008, 118 postes d'intervenants sociaux, dont 68 en commissariat, 33 en gendarmerie et 17 postes rattachés à la fois à ces deux services, étaient répartis sur 57 départements français. La majorité (75 %) ont été créés après 2006 et sont implantés dans des zones urbaines sensibles ou des quartiers de la politique de la ville. Mais parmi les départements prioritaires cités dans la circulaire de 2006, 11 ne sont pas encore couverts. Au total, 34 % des intervenants sociaux en commissariat et en gendarmerie sont employés par un conseil général et 41 % par une association. Qui sont-ils ? Les intervenants sociaux sont plutôt jeunes - 57 % ont moins de 35 ans -, mais ont néanmoins de l'expérience, supérieure à dix ans pour la moitié d'entre eux. Au sein de cette population essentiellement féminine, le diplôme d'assistant de service social est le plus représenté (six sur dix), bien que les formations d'origine soient variées (juriste, psychologue, universitaire, conseiller en économie sociale et familiale...). 53 % d'entre eux appartiennent à la fonction publique, 45 % relèvent du droit privé, des différences statutaires qui se traduisent par des écarts salariaux. La plupart travaillent uniquement en semaine, même si beaucoup restent joignables en soirée, voire la nuit. Dans la grande majorité des cas, l'intervenant social est saisi par les services de police ou de gendarmerie ou s'autosaisit en s'appuyant sur les mains courantes ou sur les synthèses d'intervention. Plus rarement, il est directement sollicité par le bénéficiaire.
(1) Voir ASH n° 2490 du 19-01-07, p. 19 - Voir aussi ASH n° 2393 du 4-02-05, p. 23 et ASH Magazine n° 25, février 2008, p. 22.
(2) Evaluation du dispositif relatif à la création de postes d'intervenants sociaux en services de police et groupements de gendarmerie - Mars 2009 - Disponible sur