On a tort, même si, lorsqu'on s'abandonne à cette tentation, on peut se prévaloir d'illustres prédécesseurs (Balzac), de professer un excessif mépris pour les groupes d'études et les rapports administratifs. Il arrive qu'ils contribuent à élucider des problèmes dont, en leur absence, les décideurs auraient persisté à ne se saisir qu'à la lumière soit d'intuitions plus ou moins confuses, soit de préoccupations purement budgétaires. Le fait est, cependant, qu'un rapport administratif ne peut se révéler élucidateur qu'à condition d'adopter à l'égard des rumeurs (l'antipsychiatrique, par exemple) et des clichés bureaucratiques - intégrer, coordonner, partenariat, incitations fortes - une posture résolument indépendante et novatrice. Faute de quoi il pourrait bien s'agir soit d'un coup d'épée dans l'eau, soit, sans que ses auteurs en aient vraiment conscience, d'une mauvaise action. Le rapport dit Couty - du nom d'Edouard Couty, le président de la commission « Missions et organisation de la santé mentale et de la psychiatrie » - n'est pas une mauvaise action. Il est seulement désolant de fascination pour les lois, celles qui sont déjà intervenues et celle qu'il appelle de ses voeux, les règlements, les paysages institutionnels (les agences régionales, les autorités indépendantes nationales, les élus, etc.). Désolant aussi de défaut d'imagination.
Ce rapport, remis à Roselyne Bachelot fin janvier, ne s'essaie, en réalité, à aucun véritable état des lieux, sinon au détour des quelques énoncés propositionnels auxquels on est, dès les premières pages, confronté, avant d'avoir été introduit au sujet, et par cette notation, qui a certes son prix, que les maladies mentales se classent au troisième rang en termes de prévalence et affectent chaque année une personne sur cinq, et une personne sur trois au cours d'une vie. Ce n'est pas que le sens de la complexité et des dimensions paradoxales manque aux rapporteurs, non plus que celui des attentes de la société française et, bien sûr, celles des malades et de leurs proches, à l'égard du système de santé mentale. Ni qu'ils ignorent à quel degré la situation prévalant sur le front du logement social contribue à compromettre toute stratégie d'insertion ou de réinsertion durable des personnes atteintes de troubles psychiques. Mais tout cela se perd dans les sables d'un paysage où ne se dessinent avec un vrai relief que les institutions ayant déjà pignon sur rue (dont il est envisagé de renforcer les compétences ou d'accompagner les efforts) et celles auxquelles il est envisagé de donner naissance (essentiellement les groupements et comités locaux de concertation en matière de santé mentale, un service psychiatrie dans les agences régionales de santé, une mission interministérielle de santé mentale, un bureau des usagers dans les hôpitaux...). Sans oublier, bien sûr, le financement via la valorisation de l'activité en psychiatrie, l'évaluation, l'accréditation et la certification, dont nul ne nie l'importance, mais en vue de quelle dynamique ? Le rapport est éloquent aussi par ses silences. Ainsi n'indique-t-il pas, par exemple, que parmi les bénéficiaires du RMI on compte nombre de personnes affectées de troubles psychiques dont personne ne songe à assurer, dans le cadre de l'insertion ou à un autre titre, la prise en charge. Parmi les quelque 50 ou 60 personnes associées aux travaux du groupe Couty, ne s'en est-il donc trouvé aucune qui ait connaissance de ces situations ? Et que faut-il entendre par « prise en charge sécure » de certains malades ? Il ne suffit pas toujours de parler une autre langue que le français pour trancher des problèmes de longue date débattus. On sait qu'est souhaitée, au sommet de l'Etat, une réforme de l'hospitalisation d'office. Sans doute est-ce pourquoi on n'a pas, s'agissant de la psychiatrie, opéré par voie d'amendement à la loi santé et territoires. Ce qui aurait pourtant eu l'avantage de marquer, symboliquement au moins, le désenclavement qu'on souhaite promouvoir entre la psychiatrie et les autres disciplines médicales, mais aussi entre la psychiatrie et le social ou médico-social. Quel désenclavement, d'ailleurs ? Quand l'Assistance publique sera-t-elle pour de bon disposée à accueillir, dans l'enceinte d'hôpitaux généraux, des lits ou des consultations de psychiatrie gérés par d'autres qu'elle ? Comment financera-t-on dans l'avenir la prévention à laquelle on dit aspirer, mais dont la mise en oeuvre passe par d'intenses investissements intellectuels et matériels, mais aussi des mises en réseau. Et s'agissant de l'hospitalisation d'office, quelle réforme, au fait ? Le rapport n'en dit rien. Il est vrai que ce n'était pas dans la commande. On aimerait tout de même en savoir plus.
Attendons la loi annoncée pour le printemps. Et après la loi, ses fruits. Car le droit n'est qu'une partition dont l'exécution requiert de la sincérité, du talent, de l'assiduité... y compris de la part des pouvoirs publics.