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Mineurs étrangers isolés : au-delà des catégories...

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Il n'y a en réalité qu'une question pertinente à se poser pour accompagner au plus près de ses besoins un mineur étranger qui arrive seul sur le territoire français : vivait-il ou non de façon émancipée dans son pays d'origine ?, soutient Dieudonné Kobanda, éducateur spécialisé au Foyer de la jeunesse Charles-Frey à Strasbourg (1).

«En juillet dernier, à l'occasion de la présentation par le gouvernement français de son «pacte européen sur l'immigration et l'asile», l'Unicef-France, avec le soutien de plusieurs associations et acteurs engagés dans la défense des droits de l'enfant, lançait un «appel solennel aux autorités françaises» sur la question des mineurs étrangers isolés (2). Ce fut, une fois encore, l'occasion de rappeler à l'opinion publique la situation difficile et inacceptable (minorité contestée, tests osseux contestables, placement en rétention, expulsion, etc.) faite à ces jeunes en Europe en général, et en France en particulier.

Mais qui sont ces mineurs étrangers isolés ? Quel est leur profil ? Quel est leur parcours ? C'est l'isolement qui constitue le point important de la définition de ces mineurs en France et en Europe. En France, ils sont mineurs parce qu'ils ont moins de 18 ans, étrangers parce qu'ils n'ont pas la nationalité française, et isolés parce que personne ne détient sur eux l'autorité parentale sur le territoire national. Mais la terminologie utilisée pour désigner ce public diffère d'un Etat à l'autre. Au Royaume-Uni comme en Espagne, on parle de «mineur non accompagné». Au Royaume-Uni, ce terme est très couramment employé pour désigner un enfant qui voyage seul ou qui fugue. Le Home Office (l'équivalent du ministère de l'Intérieur) a une définition encore plus restrictive, qui se limite aux mineurs sollicitant la protection au titre de l'asile et selon laquelle «un mineur non accompagné demandeur d'asile est une personne qui, au moment où elle dépose une demande d'asile, est ou (en l'absence de preuve) semble être âgée de moins de 18 ans, fait une demande d'asile de son propre chef, et n'a pas de parent adulte ni de tuteur vers qui se tourner au Royaume-Uni».

Contrairement à la France, qui écarte l'autorité des adultes accompagnants qui ne sont pas parents ni tuteurs légaux du mineur, le Royaume-Uni ne considère pas un mineur comme non accompagné dès lors qu'il est pris en charge par un adulte. La direction anglaise de l'immigration et de la nationalité (IND) ne fera intervenir les services sociaux que si elle estime «qu'il y a une inquiétude au sujet de la relation de l'enfant avec l' 'adulte responsable' ».

La définition italienne de cette population est proche de la définition française. La terminologie utilisée en Italie est «mineurs étrangers non accompagnés» et désigne tout «mineur qui, n'ayant pas la citoyenneté italienne ou d'autres Etats de l'Union Européenne, et qui n'a pas présenté de demande d'asile, se trouve pour une cause quelconque, dans le territoire de l'Etat, dépourvu de l'assistance et de la représentation de ses parents ou d'autres adultes envers lui légalement responsables».

En France, six catégories

La diversité des définitions et les cas de figure innombrables dans lesquels peuvent se trouver des mineurs étrangers nécessitaient l'établissement d'une typologie rigoureuse pour faciliter le travail de prise en charge de ce public fragile. C'est ainsi qu'en septembre 2002, la sociologue Angélina Etiemble a produit une étude pour le compte de la direction de la population et des migrations allant dans ce sens (3). Cette typologie est devenue la référence en France et est régulièrement citée dans les différents rapports, dossiers et études sur le sujet. Elle distingue cinq catégories de mineurs étrangers isolés arrivant sur le territoire français :

les exilés, qui viennent de pays, de régions ou de zones géographiques en guerre ou en conflit ;

les mandatés, qui émigrent pour des raisons principalement économiques et sont chargés par leurs familles de se procurer de l'argent ou de réussir à l'étranger ;

les exploités, victimes des réseaux criminels et des trafics divers (prostitution, esclavage domestique, délinquance, etc.) ;

les fugueurs, qui s'enfuient de chez eux ou des institutions où ils étaient placés dans leurs pays d'origine et qui prolongent leur fugue au-delà des frontières ;

les errants, qui étaient déjà en situation de «précarité» et d'errance dans leur pays d'origine, depuis parfois des mois, voire des années, et vivaient de petits boulots ou d'actes de délinquance, et qui poursuivent en France un parcours d'errance.

Dans son ouvrage Mineurs étrangers isolés. L'épreuve du soupçon (Vuibert, 2006), Julien Bricaud, se fondant sur son travail de terrain d'éducateur spécialisé, a construit une sixième catégorie des mineurs étrangers isolés : les «rejoignants», qui cherchent à rejoindre un membre de leur famille sur le territoire français, européen, ou ailleurs, dans une volonté de regroupement familial avec ou sans acte officiel.

Ayant régulièrement rencontré des mineurs étrangers isolés de diverses nationalités ces sept dernières années dans le cadre professionnel et d'enquêtes de terrain, j'ai pu constater que ces catégories reflètent certes les parcours du public concerné, mais aussi que leur articulation est à revoir. Certaines d'entre elles constituent en réalité des sous-catégories d'autres groupes des mineurs étrangers isolés. C'est par exemple le cas des mineures victimes de réseaux de prostitution ou de travail illégal qualifiées par Angélina Etiemble d'«exploitées». Aujourd'hui, de nombreuses enquêtes menées auprès des jeunes filles prostituées africaines et chinoises à Paris démontrent par exemple que certaines ont été mandatées par leurs familles pour travailler à l'étranger et améliorer leur vie. Les mineures et leurs familles ont librement et volontairement collaboré pour concrétiser leur voyage. C'est une fois sur place qu'elles tombent dans le guet-apens des réseaux et se rendent compte que leur pauvreté a été exploitée par les passeurs. Certaines finissent par déposer des dossiers de demande d'asile, devenant ainsi des exilées après avoir été mandatées par leurs familles, puis exploitées sur le sol français. Ainsi, une seule et même mineure étrangère isolée peut se retrouver dans trois catégories différentes.

De manière strictement rigoureuse, il n'existe que deux groupes de mineurs étrangers isolés : les mineurs «émancipés» et les «non-émancipés».

Avant d'arriver en France, les «émancipés» ne se sentaient pas ou plus concernés par l'autorité parentale. Ils sont mineurs, mais se comportaient et vivaient déjà dans leur pays comme des adultes, de façon autonome et indépendante, en vivant de petits boulots ou de petits trafics. C'est souvent le cas d'anciens enfants soldats ayant refusé d'intégrer le cadre familial, des enfants de la rue, de la plupart des orphelins laissés à eux-mêmes dans les pays sous-développés et/ou en guerre. Leur isolement (absence de l'autorité parentale) était déjà une réalité dans leur pays d'origine et constitue un facteur déterminant. Leur processus de structuration psychologique et leur mode de vie en société avaient déjà intégré ce facteur. La prise en charge proposée à ce groupe dans le pays d'accueil et les actions entreprises dans le cadre de leur parcours d'intégration doivent prendre en compte leur indépendance passée pour éviter de susciter des difficultés dans l'acceptation de l'autorité. Ces enfants peuvent devenir des «exilés» (demandeurs d'asile), des «exploités» (victimes de prostitution, de travail illégal) et des «errants» cherchant une meilleure vie que dans leurs pays d'origine.

Les «non-émancipés», eux, avant d'arriver en France, étaient sous l'autorité d'au moins un de leurs parents, ou d'un adulte à qui il est reconnu la même autorité que les parents, ou encore d'une institution qui assumait l'autorité parentale. Ce sont aussi souvent les plus fragiles car la structuration de leur personnalité n'est pas achevée, ce qui peut faciliter parfois l'acceptation d'une autorité. Pour ce groupe, l'isolement est un facteur nouveau qui peut être très mal vécu et devenir un vecteur de stress et de traumatismes. Les mineurs non émancipés peuvent être des fugueurs mal dans leur peau ou en conflit avec l'autorité de leurs parents ou des institutions qui les prenaient en charge. Ils peuvent aussi avoir été mandatés par les parents pour chercher de l'argent à l'étranger. Ils peuvent tout aussi bien se retrouver dans des situations d'exploitation ou d'errance.

Ne pas enfermer dans des « cases »

Cette catégorisation me paraît essentielle, car elle permet non seulement de définir avec exactitude la personnalité des mineurs en présence et leur environnement social dans leurs pays, mais également de mieux appréhender les mobiles de leur voyage jusqu'en France ainsi que leur situation au moment où ils sont recueillis ou pris en charge par les services sociaux. Ce qui permet de leur proposer ensuite un accueil et une prise en charge adaptés, en évitant toutefois de les enfermer dans des «cases». Cette catégorisation une fois faite, on peut y adjoindre, selon les particularités liées à chaque enfant, ce que nous considérons comme des sous-catégories, c'est-à-dire celles établies par Angélina Etiemble et Julien Bricaud.

Il faut enfin souligner que les mineurs des deux groupes sont des exilés parce que se trouvant en dehors de leur pays d'origine, où ils avaient certaines attaches. Considérer que les seuls demandeurs d'asile seraient des exilés est une erreur. Ce sont d'abord des enfants porteurs d'histoires, des enfants en exil forcé ou volontaire. Qu'ils soient «émancipés» ou «non émancipés», tous ont été dans l'obligation de quitter une sphère familiale, un village, une culture, un pays, la rue, etc. Tous ont un parcours d'exil et peuvent être confrontés aux mêmes difficultés, indépendamment de leur statut sur le territoire français. »

Contact : dieudokobanda@yahoo.fr

Notes

(1) Il est en train de terminer un Master 2 en sciences sociales (spécialité : intervention sociale, conflits et développement) à l'Université de Strasbourg, pour lequel il prépare un mémoire sur l'accueil et la prise en charge des mineurs étrangers isolés.

(2) Voir ASH n° 2566 du 11-07-08, p. 47.(3) Voir ASH n° 2284 du 8-11-02, p. 29.

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