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En prison, les délégués défendent le droit sans entraves

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Depuis 2005, des délégués du médiateur de la République, dont le rôle est d'améliorer les relations entre le citoyen et l'administration, interviennent en prison. Si leurs missions sont les mêmes qu'à l'extérieur, ces bénévoles doivent toutefois s'adapter aux spécificités du monde carcéral. En faisant avancer l'accès au droit des détenus et en débloquant des situations, leur présence se révèle aussi d'un grand secours pour les travailleurs sociaux.

Ici, un détenu s'aperçoit que, à la suite de son transfèrement de maison centrale en centre de détention, il manque un disque dur d'ordinateur dans son paquetage. Malgré sa réclamation et l'intervention des conseillers d'insertion et de probation (CIP), impossible de le récupérer. Là, un homme écroué en maison d'arrêt ne peut recevoir la visite de son épouse car celle-ci a des problèmes de santé et ne peut effectuer le trajet. Un transfert dans un établissement plus proche ne semble pourtant pas à l'ordre du jour. Ailleurs, une détenue s'inquiète de ne rien savoir de la gestion de ses biens car son curateur refuse de se rendre en prison. Enfin, à proximité, un condamné étranger autorisé à percevoir l'allocation aux adultes handicapés par décision de justice se voit refuser par la préfecture la délivrance du document d'identité exigé par la caisse d'allocations familiales (CAF)... Autant de situations soumises au médiateur de la République (1), qui opposent, parfois jusqu'à l'ubuesque, des personnes incarcérées aux administrations ou aux services publics français. Des situations tantôt semblables à celles que connaissent les citoyens libres, mais que l'enfermement vient complexifier, tantôt inhérentes à ce dernier.

Aussi, pour faciliter le recours des détenus à son institution et respecter l'idée que la privation de liberté ne peut signifier la négation de leurs droits, le médiateur de la République a, par convention avec le ministère de la Justice, organisé la présence derrière les murs de ses délégués. Après une expérimentation réussie, le principe d'une généralisation a été décidé en janvier 2007 (2). Aujourd'hui, 119 prisons sont couvertes - pour les plus grandes, il s'agit de permanences régulières, pour les autres, d'interventions au cas par cas -, soit 46 000 prévenus et condamnés. En 2008, plus de 2 500 saisines ont été recensées. Les réclamations dirigées contre l'administration pénitentiaire représentent en moyenne 30 % de l'ensemble. En milieu carcéral, les plaintes concernent fréquemment la gestion des biens des détenus (pécule, pertes de biens, vols de cantine...), l'absence de réponse écrite à leurs courriers, les difficultés d'accès aux soins externes ou encore le renouvellement des papiers d'identité ou des titres de séjour. Comme en milieu libre, une grande part de l'activité relève avant tout de l'information sur les droits.

Avant d'exercer derrière les murs et de « remplir les attributions qui leur sont dévolues par la loi du 3 janvier 1973 modifiée, dans le respect des règles de fonctionnement des établissements pénitentiaires », comme le stipule la convention, les délégués reçoivent une formation sur les spécificités du monde carcéral (questions de sécurité, fonctionnement...), suivie par une série de rencontres avec les services de l'administration pénitentiaire. En prison, leur intervention requiert les mêmes compétences qu'à l'extérieur et repose sur les mêmes modes d'action. Sur le terrain cependant, ces bénévoles, qui continuent à exercer en milieu libre pour marquer le lien entre le dedans et le dehors, reconnaissent la nécessité d'une plus grande souplesse. « En prison, même si l'on dit son inaptitude à traiter une information ou un dossier, les personnes veulent vous voir car elles ne savent comment faire », témoigne Gérard Valleix, délégué du médiateur à la maison d'arrêt de Villepinte (Seine-Saint-Denis). Ce que confirme son homologue, Christian Grua, qui tient, depuis l'été 2007, la permanence hebdomadaire du centre pénitentiaire des Baumettes, à Marseille : « A l'extérieur, je n'ai aucun problème pour dire si je suis compétent ou non, les choses sont claires. En prison, notre rôle est plus ambigu. On est là aussi pour aider. » Toutefois, s'ils se penchent à l'occasion sur des questions relatives au travail en milieu carcéral ou aux confusions de peines, les délégués restent inflexibles sur le fait qu'ils n'interviennent pas dans les décisions de justice. « A mon arrivée, en 2007, beaucoup de récriminations portaient, par exemple, sur les refus du juge de l'application des peines d'accorder une permission de sortir. J'ai dû recentrer les choses », témoigne André Patignier, qui assure chaque semaine la permanence du centre de détention de Joux-la-Ville (Yonne).

« L'information est bien passée »

Chargée de faire connaître le dispositif, la direction de l'administration pénitentiaire semble avoir bien joué le jeu. « Il y a eu des affichages clairs en détention et la communication a été importante », assure Charlotte Cloarec, secrétaire générale adjointe du Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire (Snepap)-FSU, alors conseillère d'insertion et de probation au centre pénitentiaire de Liancourt (Oise). « L'information est bien passée et des notes ont été rédigées à l'intention de la population pénale », confirme Samuel Aze, CIP à la maison d'arrêt de Borgo (Haute-Corse) et représentant de l'Union générale des syndicats pénitentiaires (UGSP)-CGT. A Joux-la-Ville, la présence du délégué est mentionnée dans le livret d'accueil remis aux arrivants et des plaquettes sont disponibles çà et là. A Villepinte, une communication spécifique a été mise en place pour mieux prévenir les détenus. « Chaque semaine, avant ma permanence, je vais au quartier arrivants et, durant une demi-heure, j'explique au groupe mon rôle. J'apporte en outre des réponses non à des litiges mais à d'éventuelles interrogations. Comme il y a beaucoup d'étrangers, cela permet aussi que les uns traduisent aux autres », explique Gérard Valleix.

Pour obtenir un entretien, les détenus ont la possibilité d'écrire sous pli fermé. Les personnes sont reçues en tête-à-tête et, selon les lieux, dans un bureau réservé, au parloir avocat, au service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP)... Comme à l'extérieur, la personne est censée avoir effectué une réclamation auprès de l'administration mise en cause, avoir reçu une décision négative (réponse écrite ou silence de deux mois) et apporter un dossier complet. Là encore, la souplesse s'impose. « Nous devons inévitablement oeuvrer différemment. En milieu pénitentiaire, les personnes ont peu de pièces. Il y a davantage de déclaratif », reconnaît Gérard Valleix. « Comment les détenus pourraient-ils prouver avoir entamé une démarche alors qu'en pratique, même faire des photocopies est problématique ? Nous sommes forcés de nous adapter », renchérit Christian Grua. Il arrive ainsi que les hommes du médiateur aident les détenus à faire leur réclamation. « Je liste éventuellement des points à évoquer, mais je ne rédige jamais le courrier à leur place. J'essaie de faire en sorte que la personne soit actrice de sa démarche », précise Gérard Valleix. Au besoin, il propose à la famille d'apporter des éléments lors de sa permanence à l'extérieur. Les détenus sont souvent en proie à des difficultés multiples. « On touche à tout le droit public : la santé, l'armée, l'université, les régimes sociaux, fiscaux... Les détenus cumulent en général les problèmes. Lorsqu'une personne a été interpellée dans la rue, avec un véhicule, des soucis avec la police vont suivre ; comme ses revenus vont s'arrêter, cela va engendrer des ennuis bancaires ; si elle est impliquée dans un trafic de stupéfiants, elle peut devoir payer une amende astronomique... Au début, le détenu va focaliser sur ce qui lui arrive au niveau pénal, puis tout le reste va le rattraper », analyse Christian Grua.

Une fois l'affaire exposée, le délégué effectue les recherches nécessaires, appelle ses contacts et, selon les cas, restitue de l'information au détenu et le conseille, ou, s'il y a lieu d'aller plus loin, entame les démarches habituelles : écrire à l'administration locale visée, remonter la chaîne des acteurs impliqués..., en vue de trouver une solution amiable. La diplomatie est de mise, même s'il faut ensuite quelquefois user de fermeté. « Parfois, il suffit de montrer qu'on est là, explique le bénévole marseillais. On met de l'huile dans les rouages à tous les niveaux. Par exemple, pour améliorer l'accès aux soins externes qui pose problème tant aux détenus qu'aux médecins exerçant en prison, il m'arrive, dans tel ou tel service hospitalier, de glisser un mot en faveur du bon accueil des détenus atteints de pathologies lourdes ou de souligner que là quelque chose serait peut-être à revoir... Mais après, s'il y a un hic, je n'hésite pas à m'adresser à l'administration pénitentiaire. » Une simple lettre à l'en-tête du médiateur de la République permet souvent de dénouer une situation. Si elle reste sans réponse, les délégués rappellent la loi, voire évoquent les pouvoirs de coercition du médiateur. Enfin, en cas d'impasse, ils font remonter leur dossier aux services centraux de l'institution.

Lorsque la plainte concerne l'administration pénitentiaire, les délégués comptent sur la proximité établie. « Je vais voir le greffe, le SPIP ou la direction pour évoquer le sujet à chaud. S'ils m'offrent des éléments de réponse, je les prends en compte, sinon, je leur adresse un mail et je relance la fois suivante. Cela peut se formaliser par un courrier, mais aussi s'effectuer au détour d'un couloir, dans une relation plus personnelle », explique Gérard Valleix. « Il est essentiel de créer des rapports de confiance pour pouvoir parler des choses clairement et librement. De toutes façons, nous ne sommes ni le procureur de l'administration, ni l'avocat des détenus », observe Christian Grua. Les délégués veillent d'ailleurs à ne pas être instrumentalisés. « Si on veut rester crédible, il faut faire très attention à ne pas se laisser manipuler. C'est toujours une grande inquiétude de savoir, quand on intervient, si la réclamation est fondée ou pas », poursuit-il. Le taux de réussite des interventions auprès de l'administration pénitentiaire se révèle, selon le rapport d'activité 2007 du médiateur de la République, « équivalent à celui obtenu avec les autres administrations : il varie entre 60 et 70 % selon les établissements ».

« On détend l'atmosphère »

Globalement, les délégués reconnaissent la qualité des relations avec l'administration pénitentiaire. Dans ce même document, ils soulignent « son respect de leur indépendance et les conditions satisfaisantes de confidentialité ». L'accueil s'avère même plutôt bon. « Au début, on a perçu quelques craintes, puis chacun a trouvé ses marques. Nous sommes dans le partenariat, non dans l'opposition », assure Gérard Valleix. Aux Baumettes, Christian Grua affirme qu'avec la direction s'est établie « une véritable collaboration ». A Joux-la-Ville, André Patignier jouit aussi d'une totale liberté : « Je peux voir, si besoin, les détenus en cellule. J'ai même pu en rencontrer au quartier disciplinaire. Au greffe, à la comptabilité... partout, on me donne les renseignements dont j'ai besoin. » La direction et les personnels pénitentiaires semblent avoir bien compris l'intérêt de la venue des délégués, qui sert de soupape de sécurité. « On détend l'atmosphère. Les détenus savent que la médiature est indépendante du système pénitentiaire et des ministères, qu'on va les écouter et leur dire franchement si leur demande est justifiée ou non. Et lorsqu'on agit et qu'il y a des résultats, cela se sait. Comme ils parviennent enfin à avoir des réponses, ils cessent d'écrire des courriers à répétition, de focaliser sur leur situation, et l'agressivité diminue », explique Christian Grua, tout en pointant néanmoins l'urgence pour l'administration pénitentiaire de traiter efficacement la correspondance interne. Même écho à Joux-la-Ville : « Notre présence apaise les tensions. Tout le monde le dit : le directeur, les surveillants... D'ailleurs, ces derniers orientent des détenus vers moi », souligne André Patignier.

Du côté des travailleurs sociaux également, l'intérêt de la présence des délégués est clair. « Le détenu a souvent le sentiment que ses demandes sont vaines et cela pèse sur son moral. Là, il a un interlocuteur spécialisé, qui va l'aider dans ses démarches. Affronter l'administration est déjà difficile pour le citoyen lambda, alors, pour une personne incarcérée, qui ne peut se déplacer ni accéder librement au téléphone ! », observe Charlotte Cloarec. Et d'ajouter que, pour le Snepap-FSU, « favorisant l'accès des détenus au droit commun, ce dispositif va dans le bon sens ». De même en est-il pour l'UGSP-CGT qui salue comme un progrès tout ce qui participe au décloisonnement du monde pénitentiaire. « Il est encore trop tôt pour tirer des enseignements définitifs de la présence des délégués. Néanmoins, il est essentiel que les détenus y aient facilement accès et puissent faire valoir leurs droits, y compris par rapport à l'administration assurant leur garde », remarque Samuel Aze. En outre, ce dispositif « peut être un encouragement, notamment pour l'administration pénitentiaire, à procéder à des ajustements en cas de dysfonctionnement ».

Conseillers et délégués entretiennent des liens souvent étroits. Leur complémentarité étant en général reconnue, la cohabitation s'effectue sans heurts. « Le CIP peut être le point d'entrée. Nous n'avons pas vocation à traiter ce qui relève du droit commun. Lorsque les démarches administratives sont très spécifiques, nous ne sommes pas compétents et il est utile d'agir en pluridisciplinarité », explique Charlotte Cloarec. Le délégué paraît souvent d'un grand secours : il permet de débloquer des dossiers, voire décharge les CIP d'une part de l'activité qui leur revenait auparavant, sans qu'ils aient toujours pour autant les moyens de la mener. A Marseille, Villepinte ou Joux-la-Ville, le constat des délégués est à peu près semblable. Ainsi, résume Christian Grua, qui exerce « en totale symbiose » avec le SPIP : « Les CIP ont appris à travailler avec nous. La plupart des requêtes émanent des détenus, mais les travailleurs sociaux orientent aussi vers moi des personnes ou recourent à mes services lorsqu'ils rencontrent des problèmes avec les Assedic, les CAF, la préfecture, les caisses de retraite... »

Les délégués se rapprochent eux-mêmes du SPIP pour obtenir des informations utiles à la résolution de leurs dossiers (éléments de contexte, données administratives...), voire pour en mener certains de concert, ou du moins en cohérence. La collaboration est parfois automatique. « Quand je reçois un détenu, je lui demande toujours qui est son travailleur social. A la fin de la visite, je vais voir son CIP, puis on échange régulièrement », explique André Patignier. Néanmoins, « il y a des établissements où les délégués rencontrent systématiquement les travailleurs sociaux et d'autres où cela n'a pas lieu. La hiérarchie le fait mais pas les CIP et c'est dommage car cet échange peut aussi servir à réinterroger les pratiques », déplore Samuel Aze. Dans le rapport d'activité 2007 de l'institution, les 31 délégués alors en poste regrettaient, de leur côté, que, malgré des contacts avec les travailleurs sociaux des SPIP, « leur collaboration ne soit formalisée et vraiment productive que dans la moitié des cas ». Une remarque à laquelle Charlotte Cloarec réagit : « Tout cela est encore très récent. Il peut donc y avoir besoin de calages ici ou là. Mais il faut aussi que l'encadrement soit clair sur les missions de chacun. S'il prépare mal ses équipes à la venue du délégué, cela peut générer des problèmes. » De même, Samuel Aze témoigne que de nombreux conseillers d'insertion et de probation aimeraient être plus associés à la démarche, ce qui les aiderait à mieux orienter les détenus. « On sait que les délégués interviennent pour résoudre les problèmes administratifs mais la délimitation exacte de leur périmètre d'action reste parfois à préciser. » A la médiature, Jean-Paul Delevoye (voir encadré ci-contre) estime, quant à lui, que les délégués « doivent avant tout être des hommes de maillage et que leur tâche est aussi de rencontrer tous ceux qui travaillent sur la même personne. Car c'est la mise en réseau des acteurs qui permet d'accompagner au mieux le détenu dans sa vie carcérale et dans la préparation de sa sortie. »

Des rapprochements entre les intervenants semblent donc encore souhaitables dans certains lieux. Une remarque qui vaut également pour la jonction avec les points d'accès aux droits (PAD). Mais encore faut-il qu'ils existent. Car si la convention de 2007 prévoyait que le garde des Sceaux « garantit le fonctionnement d'un point d'accès au droit dans chacun des établissements où les délégués tiennent des permanences », force est de constater que bien des prisons n'en sont pas dotées. Le centre de détention de Joux-la-Ville en est ainsi dépourvu. « De fait, on me consulte sur des points de droit très éloignés de mon champ d'intervention : comment entamer une procédure de divorce, régler des problèmes de succession... ? Je fais au mieux pour orienter les personnes et on se débrouille comme on peut avec les CIP, mais ce n'est pas l'idéal », regrette André Patignier. Autre cas de figure fréquent : le PAD existe mais fonctionne mal. Ce que déplore Gérard Valleix à la maison d'arrêt de Villepinte : « Un juriste passe mais il n'y a ni vrai suivi ni communication en direction des autres acteurs. » Pourtant, la présence d'un PAD opérationnel se révèle un plus pour tous. Ainsi, aux Baumettes, Christian Grua se réjouit de la présence permanente d'une juriste. « Nous travaillons en concertation. Grâce à nos compétences réunies en droit public et en droit privé, les détenus parviennent à obtenir des réponses sur l'ensemble de leurs problèmes. »

QUELQUES CAS EMBLÉMATIQUES...

Accès aux soins : Mme D. a des implants dentaires ayant nécessité des greffes osseuses. Aujourd'hui, ceux-ci se sont dégradés. Devant la complexité des travaux effectués, le dentiste local refuse d'intervenir. Mme D. aurait besoin de revoir le spécialiste qui l'a opérée, mais il exerce à 170 km du centre de détention. Depuis un an, Mme D. se bat pour obtenir la possibilité d'aller le consulter. En vain. Condamnée à une longue peine, elle n'est pas encore accessible à une permission de sortir. Aussi, seule une extraction sous escorte peut être envisagée. Le délégué du médiateur a été saisi. Le dossier est en cours.

Gestion de l'argent : Lors de son incarcération, M. A. perçoit un versement de la CAF correspondant à un reliquat de RMI. Cependant, rien n'indique au régisseur de la maison d'arrêt à quoi correspond cette somme. Ce dernier la ventile donc et en réserve une part au titre des parties civiles. Transféré vers un autre établissement, le détenu rencontre le délégué du médiateur à qui il se plaint de la saisie de son RMI. Après de nombreux mois et diverses démarches auprès de l'administration, le délégué parvient enfin à faire valoir l'erreur involontaire du régisseur et à obtenir qu'il fasse intervenir son assurance. Le détenu a pu récupérer ses 345 € .

Titre de séjour : Né au Maroc, M. Z. vit en France depuis 1976. En cours de peine, la validité de sa carte de résident a expiré. Dans le cadre de son projet de réinsertion, M. Z. souhaite se présenter aux épreuves du code de la route. En l'absence de document d'identité valide, le dossier établi par les travailleurs sociaux est rejeté par la préfecture. M. Z., qui n'est pas susceptible d'expulsion à sa sortie de prison, effectue une demande pour en obtenir un auprès du service des étrangers. Refus. Explication : il n'est pas établi de titre de séjour à un étranger en prison. Le délégué est saisi. Ses démarches auprès de différents services préfectoraux sont infructueuses. Il se rend alors à la direction départementale de l'équipement, qui finit par accepter le dossier de M. Z. en l'état. Celui-ci a pu passer l'épreuve.

Carte d'identité : Français, M. F. veut renouveler sa carte d'identité avant sa sortie de prison. Mais la préfecture refuse, un établissement pénitentiaire ne pouvant être considéré comme un domicile. Le maire de la commune où est implantée la prison n'accepte pas de domicilier le détenu. Le délégué est saisi. Il intervient auprès du maire après avoir appris que les détenus sont recensés sur sa commune et qu'elle en tire donc bénéfice. Il lui rappelle également son obligation de notifier son refus par écrit, sans quoi il pourrait être amené à saisir le tribunal administratif. Son intervention dénoue le dossier que les conseillers d'insertion et de probation ne parvenaient pas à faire avancer. Aujourd'hui, les détenus sont domiciliés sans difficulté sur la commune.

JEAN-PAUL DELEVOYE
« Une démarche d'apaisement social »

Nommé médiateur de la République en 2004, pour un mandat de six ans non renouvelable, Jean-Paul Delevoye revient sur l'expérimentation des délégués dans les prisons, qui devrait être généralisée en 2010.

Quel bilan dressez-vous de l'intervention des délégués en prison ?

C'est une réussite. Lorsque nous avons évoqué l'idée d'instaurer des délégués dans les prisons, considérant qu'il s'agissait là d'un service public comme un autre et que les détenus devaient accéder au droit, la réaction de l'administration pénitentiaire était plutôt réservée. Elle jugeait cela inutile. L'expérimentation menée dans dix sites choisis par ses soins a vite prouvé le contraire. De 15 dossiers émanant de détenus chaque année, nous sommes passés à 750 - sur 7 500 détenus concernés. On a aussi constaté que la plupart des demandes n'impliquait pas cette administration et que la présence d'un délégué réduisait la violence. L'absence d'écoute et de dialogue, les démarches longues et inutiles... génèrent naturellement des tensions. L'administration pénitentiaire a alors pleinement adhéré à la démarche, qui va de surcroît dans le sens de sa volonté de se conformer aux règles pénitentiaires européennes, et nous a sollicités pour généraliser le dispositif. Nous devrions couvrir l'ensemble des établissements d'ici avril 2010.

Quelles avancées pour les détenus ?

Leur dignité est davantage respectée, certaines injustices, qui affectent aussi les familles, peuvent être réparées. Des réformes ont également été permises. Par exemple, les détenus recouvrent désormais à leur libération leurs droits aux prestations sociales en espèces, alors qu'auparavant une incarcération de 24 heures suffisait à les supprimer. Aujourd'hui, nous nous battons pour obtenir une égalité de traitement face à la redevance audiovisuelle : les détenus en mesure d'acheter un téléviseur n'y sont pas assujettis alors que ceux, moins fortunés, qui doivent le louer, la paient. Le ministère du Budget a donné son accord.

Sur quels points attendez-vous des progrès ?

Tout d'abord, le développement de l'accès au droit doit figurer dans la future loi pénitentiaire, ce qui n'est pas le cas dans le projet de loi. Ensuite, nous souhaitons la révision de certaines procédures administratives qui posent régulièrement problème. Nous demandons ainsi l'établissement d'un inventaire contradictoire des paquetages pour supprimer les litiges relatifs aux pertes de biens, ou encore des améliorations dans le renouvellement des titres de séjour pour les détenus étrangers. Les pratiques divergent d'un lieu à l'autre et la situation particulière qu'est la détention devrait être mieux prise en compte. Une autre priorité est l'accès aux soins, dont la continuité doit être assurée, sans omettre la dimension psychiatrique.

La question des soins est un sujet sur lequel le contrôleur général des lieux privatifs de liberté aura aussi à travailler... Comment vos institutions coexistent-elles ?

La vocation du contrôleur est de veiller à la préservation de la dignité humaine, à l'absence de traitements inhumains ou dégradants. La préoccupation du médiateur de la République est l'accès aux droits. C'est une autre forme de respect, celle du citoyen vivant dans un Etat de droit. Nos démarches sont complémentaires. Nous préparons d'ailleurs une convention afin que l'approche de nos institutions, toutes deux indépendantes, soit la plus partenariale possible. Nous réfléchissons aux moyens d'échanger nos points de vue, de confronter nos divergences, voire de livrer des combats communs pour faire avancer les choses. Aujourd'hui, rien n'est interdit, ni figé. Sur l'insuffisance des soins, peut-être pourrons-nous apporter au législateur ou au responsable politique des appréciations convergentes qui l'aideront dans sa décision...

Un défenseur des droits doit remplacer le médiateur de la République (3). Comment abordez-vous cette évolution ?

Après l'entrée des délégués en prison, la création d'un Pôle santé sécurité soins (4) , ma troisième ambition était l'inscription dans la Constitution du médiateur de la République. Aujourd'hui, c'est chose faite, sous le nouvel intitulé de « défenseur des droits », entité qui absorbera peut-être aussi d'autres autorités indépendantes. Une loi organique doit en clarifier les attributions et modalités d'intervention. Nous y travaillons d'ailleurs, soucieux que le défenseur dispose au minimum des droits actuels du médiateur - nous avons la garantie du président de la République sur ce point -, voire que ses pouvoirs soient étendus afin de mieux équilibrer encore le rapport entre administration et administrés. Certains pouvoirs, telle la recommandation en équité (5), devraient en outre être reprécisés. Une telle évolution, positive, ne changera en rien l'intervention des délégués en prison. Elle permettra en revanche de doter la France d'un véritable « ombudsman », pour reprendre le terme international.

PROPOS RECUEILLIS PAR F. R.

Notes

(1) Médiateur de la République : 7, rue Saint-Florentin - 75008 Paris - Tél. 01 55 35 24 24 - www.mediateur-republique.fr.

(2) Voir ASH n° 2492 du 2-02-07, p. 19.

(3) Voir ASH n° 2569 du 22-08-08 p. 17.

(4) Voir ASH n° 2590 du 9-01-09 p. 15.

(5) Lorsque le médiateur de la République estime que la décision de l'administration, bien que conforme à la loi, entraîne pour le citoyen des conséquences insupportables ou disproportionnées, il peut adresser à l'administration une recommandation fondée sur l'équité pour lui demander de revenir sur sa décision.

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