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Pour la création d'une Agence nationale des Français de la rue

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Des « états généraux des SDF » étaient organisés le 26 janvier dernier à Paris, à l'initiative de l'ancienne secrétaire d'Etat Nicole Guedj. L'occasion pour elle de présenter l'idée, qu'elle défend depuis 2003, d'un guichet unique mutualisant les ressources des structures sociales en vue d'améliorer la prise en charge des personnes sans abri. C'est ce projet qu'elle expose ici, associée à Patrick Henry, pionnier des consultations médicales pour les SDF.

«Après la période de voeux et de grand froid, les sans-abri sombrent habituellement dans l'oubli. Mais ils sont aujourd'hui près de 100 000 dans la rue et plus de 360 y sont morts en 2008. Nous avons l'espoir qu'en 2009 les vagues d'attention survivront à celles du froid : les SDF sont aujourd'hui suffisamment nombreux pour susciter et maintenir une mobilisation des responsables politiques et de l'opinion. Une politique publique globale doit être mise en place pour lutter contre cette forme indigne d'exclusion.

Martelons-le encore, les solutions d'urgence ou de fortune, telles une ration calorique ou la mise à disposition d'un lit, ne suffisent pas à répondre aux besoins de ceux de nos concitoyens, sans abri, sans travail, souvent sans papiers et quelquefois sans famille, dont les droits premiers comme ceux à la dignité et au respect sont menacés. Bien sûr, nous dit-on, certains ont choisi de vivre dans la rue. C'est faux, mais le romantisme peut plaire...

Dans la rue, on croise des migrants en quête d'une meilleure situation, des femmes seules qui sombrent dans l'alcoolisme et la prostitution, des travailleurs dont le budget reste insuffisant pour prétendre à un logement décent, mais aussi de plus en plus de jeunes adolescents en perte de repères... Cette population marginalisée est très disparate et il est fondamental d'opérer une distinction entre la grande exclusion et la précarité. Si les deux sont inadmissibles, elles ne relèvent pas du même diagnostic et n'appellent pas les mêmes réponses.

La grande exclusion est un syndrome médico-psycho social qui ressemble à ce qui est décrit en psychiatrie comme l'état dans lequel se retrouvent les victimes après un attentat. C'est une rencontre avec des psychismes : la personnalité est tétanisée, l'espace, le temps, le corps, les autres, tout cela disparaît dans un non-lieu, un non-moment. Le morcellement se fait dans les corps mais aussi dans l'esprit qui se réfugie souvent dans un passé fantasmatique. Une nostalgie malsaine se confronte à un présent de souffrance. L'esprit ne parvient plus à se projeter dans l'avenir. C'est un état de mélancolie sociale. Dès lors, la mission consiste essentiellement à aider les personnes à tenter de rassembler les morceaux de leur vie, qu'ils soient d'ordre administratif, médical ou psychiatrique.

Il est vrai qu'il est nécessaire d'organiser la réponse à l'urgence par des places d'hébergement d'urgence, la stabilisation par des logements-relais, la réinsertion par des résidences... Des expériences intéressantes se mettent en place et les pouvoirs publics ont réalisé d'incontestables progrès. Mais, hélas, l'exclusion résiste.

Des institutions disparates

Si l'on pouvait rassembler l'ensemble des offres de prestations existantes en un guichet unique d'accueil et d'information, ce serait une avancée considérable. Le diagnostic se ferait en amont puis serait suivi d'une réorientation concrète, adaptée aux besoins de chaque individu. Pour atteindre l'objectif de la réinsertion durable, il faut être autonome et avoir le choix de sa vie, ce qui n'est pas envisageable lorsque l'on est dans la galère de la survie. En outre, les difficultés administratives auxquelles doivent se confronter une population qui n'est justement plus en mesure de le faire résultent d'un système et d'institutions complètement disparates.

Ce que nous proposons, c'est une «porte d'entrée» que chacun pourra ouvrir. C'est davantage d'organisation, une meilleure coordination et un véritable partage d'informations entre l'ensemble des acteurs du secteur. Ce n'est ni la création d'une énième strate bureaucratique, ni une façon, bien au contraire, de déposséder les associations de leur noble mission de secours et encore moins un moyen de ficher les marginaux.

Ce que nous préconisons, c'est la mise en place d'antennes locales pour offrir aux sans domicile fixe un suivi social et sanitaire ainsi qu'un soutien psychologique et éventuellement psychiatrique. C'est de leur prodiguer des conseils en matière d'orientation et de formation. C'est de leur garantir un accès à leurs droits en matière d'identité, de prestations sociales (revenu minimum d'insertion, allocations familiales, retraites...) et désormais de droit au logement opposable. C'est de leur permettre de respirer et d'espérer.

Ce qui est en cause et qui a été débattu récemment à Paris à l'occasion d'«états généraux des SDF» à Sciences-Po, c'est la proposition de Nicole Guedj de créer une Agence nationale des Français de la rue (1). La forme reste à préciser, le nom pourra changer, mais une vraie convergence de vues conduit à soutenir une telle solution qui, est-il besoin de le rappeler, veillera à servir tous les sans-abri sur le sol français, sans aucune discrimination. Lorsqu'en son temps, le nombre des sans-emploi a dépassé le seuil des 100 000 personnes, on a créé l'Agence nationale pour l'emploi. Pourquoi aujourd'hui les 100 000 sans-abri ne bénéficieraient-ils pas d'une Agence nationale des Français de la rue ?

Une réflexion à l'échelle communautaire

Mais rappelons aussi que si la question des sans domicile fixe se pose de façon critique dans notre pays, ce n'est pas un «mal» français. Il faut penser cette question à l'échelle communautaire et créer une Agence européenne des sans-abri pour faire émerger une réflexion commune, échanger les bonnes pratiques et développer des politiques de coopération entre les pays membres.

Au-delà de nos frontières, la fin de l'année 2008 a été marquée par d'indécents scandales bancaires et financiers nécessitant de lourdes opérations de sauvetage. En 2009, il n'y a plus aucune excuse à ne pas porter secours aux sans-abri, tombés dans la rue au péril de leur vie. »

LES AUTEURS

Nicole Guedj est présidente de la Fondation Casques Rouges pour l'action humanitaire d'urgence et de développement et conseillère régionale (UMP) en Ile-de-France. Elle fut par ailleurs secrétaire d'Etat aux programmes immobiliers de la justice puis secrétaire d'Etat aux droits des victimes (2004-2005). E-mail : contact@nicoleguedj.com.

Patrick Henry, médecin, alcoologue, est chargé de mission « lutte contre la grande exclusion » à la RATP. Il est aussi membre de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale. E-mail : patrick.henry@ratp.fr.

Notes

(1) Les actes des « états généraux des SDF » sont disponibles sur le site www.agencenationaledesfrancaisdelarue.com.

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