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« Faut-il séparer le médico-social du social ? »

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Le rapport Balladur sur la réforme des collectivités publiques a remis en lumière la nécessité de simplifier l'organisation territoriale française. En première ligne, le champ de l'action sociale, déjà bousculé par la révision générale des politiques publiques et la création des agences régionales de santé. Docteur en droit public, Robert Lafore tente de clarifier le débat.

Comment s'est structurée l'organisation territoriale en France ?

Elle repose sur le modèle hérité de la IIIe République et structuré en trois niveaux : la communauté politique globale avec l'Etat, le local avec la commune et, faisant charnière entre les deux, le département. Jusqu'en 1982, ce dernier était une simple assemblée de notables, le pouvoir exécutif étant confié au préfet. Ce modèle très cohérent et solide persiste aujourd'hui, bien que complété et amendé. Il est en effet devenu progressivement inadapté en raison des évolutions de la société. Le niveau de base, constitué par la commune, s'est révélé de moins en moins opératoire, du fait notamment de la montée en puissance des agglomérations. La structure départementale est devenue, elle aussi, inadaptée, car ne correspondant pas aux politiques d'aménagement et de structuration économique du territoire. Dès les années 1950, on a inventé les syndicats de communes et les districts puis, dans les années 1960, l'entité régionale. Mais une habitude bien française voulant que l'on ne supprime rien, on s'est contenté de multiplier les strates. Ce qui a abouti à l'extrême complexité de ce que certains nomment le millefeuille de l'organisation territoriale. Aujourd'hui, tel que je lis le processus, avec beaucoup d'incertitudes et de zones d'ombre, ce modèle tend à se repositionner autour des intercommunalités, des régions et de l'Etat. Sans compter l'Europe, qui se rajoute à cette construction.

Les deux phases de la décentralisation, en 1982 et 2004, n'ont-elles pas permis de simplifier la donne ?

A partir des années 1980, avec la décentralisation, on a effectivement tenté de résoudre le problème des rapports entre l'Etat et le local. Il n'était plus possible de gérer une administration et un développement économique et social territorial uniquement à partir d'impulsions données sur le plan national. C'est à ce défi qu'a tenté de répondre la décentralisation, en donnant une réelle capacité d'action aux entités décentralisées. Mais comme on créait de nouvelles strates pendant que l'on décentralisait, on se retrouve aujourd'hui avec une répartition complexe et très segmentée des rôles entre les différents niveaux. D'autant qu'à la décentralisation s'est ajoutée la déconcentration des services de l'Etat, qui ne se révèle pas non plus un modèle d'efficacité. L'administration déconcentrée de l'Etat demeure en doublon de celle des collectivités territoriales, puisqu'elle a gardé dans chaque domaine un certain contrôle des compétences ou d'une partie d'entre elles. On a bien tenté de mettre de la cohérence en rajoutant des instances de coordination et de régulation, mais cela n'a fait que rendre le système encore plus illisible.

Justement, le rapport Balladur préconise d'aller au bout de la logique de la décentralisation, en transférant aux départements les compétences résiduelles de l'Etat en matière d'action sociale...

Il propose en effet de transférer aux départements les compétences restant à l'Etat dans les domaines du handicap, de la médecine scolaire, de l'enfance en difficulté ou encore de la prise en charge par la protection judiciaire de la jeunesse. Mais cela me laisse un peu perplexe. On départementaliserait ainsi un peu plus le handicap, mais les futures agences régionales de santé (ARS) resteraient à la fois les financeurs et les autorités de tutelle pour tout le secteur médico-social. Du côté des services de l'Etat, on ne sait pas non plus très bien comment tout cela va évoluer. Bien sûr, avec la création des ARS, les DDASS et les DRASS vont être réorganisées, mais cela ne change pas fondamentalement le problème. Les futures directions régionales de la cohésion sociale, héritières des DRASS, géreront quelques compétences « croupion ». Quant aux DDASS, elles deviendront des antennes départementales des ARS. Au final, l'Etat continuera de gérer une part de l'action sociale.

Mais les services déconcentrés de l'Etat ne permettent-ils pas de garantir, entre autres dans le domaine de l'action sociale, une certaine égalité entre citoyens de différents territoires ?

Le principe d'égalité est important mais, selon moi, il n'a du sens qu'appliqué au droit à certains types de prestations, essentiellement monétaires. En revanche, il n'en a pas pour ce qui touche aux logiques d'accès à l'emploi, à l'insertion, à l'information... tout ce qui se concrétise par du soutien individualisé, de l'information ou du service. Ces prestations me semblent plutôt devoir être contextualisées et construites, selon les territoires, en fonction de la situation et des ressources locales. Bien sûr, si l'on se retrouve finalement avec des structures de formation professionnelle très développées en Aquitaine mais inexistantes dans le Nord-Pas-de-Calais, il y aura un problème. Mais nous n'en sommes pas là.

Le rapport Balladur propose que les départements délèguent aux groupements de communes l'exercice de certaines compétences, en particulier en matière d'insertion sociale et professionnelle. N'est-ce pas contradictoire avec le souci de clarifier le rôle de chacun ?

Il s'agit en réalité de contourner l'impossibilité de proposer la suppression des départements. Ce qui serait le meilleur moyen de faire capoter toute réforme des collectivités territoriales. Cette idée, si elle était appliquée, pourrait vider l'instance départementale par le bas. En effet, le département serait incité à confier, de lui-même, une part de ses compétences d'action sociale aux entités intercommunales. Ce qui me paraît d'ailleurs relever du bon sens. Par exemple, en matière de handicap, je verrais volontiers les conseils généraux demeurer maîtres des prestations monétaires et déléguer tout ce qui touche aux dispositifs d'insertion et d'accompagnement à l'échelon intercommunal, en particulier aux centres intercommunaux d'action sociale, qui possèdent une bonne connaissance des besoins des usagers. Une autre proposition du rapport Balladur me paraît nettement plus radicale. Il s'agit du transfert de l'exercice de plein droit des compétences sociales des conseils généraux aux métropoles. Si elle était retenue, cette proposition décapiterait purement et simplement les départements. Avec 10 métropoles proposées, et peut-être 15 ou 20 à terme, la moitié de la population française relèverait, en matière sociale, directement des métropoles. Dans cette hypothèse, le département se replierait sur la gestion du seul territoire rural.

Les collectivités ont à peine eu le temps d'absorber la deuxième phase de la décentralisation que l'on veut à nouveau modifier leurs compétences. N'est-ce pas trop tôt ?

C'est l'un des problèmes de la tradition administrative française. On accumule les réformes sans en évaluer les effets, et on court après des objectifs dont on sait par définition qu'on ne les atteindra pas, parce qu'on n'en a pas vraiment les moyens politiques. On se contente de simples adaptations, ce qui ne fait que déplacer les problèmes et impose de nouvelles adaptations. On est pris ainsi dans une sorte d'entropie, les structures utilisant de plus en plus d'énergie pour s'adapter. On ne cesse de parler de coordination et de clarification des compétences, mais on n'y parvient jamais.

Que faudrait-il faire en priorité pour clarifier le système ?

Le chantier prioritaire consiste sans doute à déterminer ce qu'est l'action sociale, et quelles activités en font partie. Les politiques du troisième âge, entre autres, relèvent, pour une part, des départements et, pour une autre, du médico-social, qui va échoir aux ARS, du fait de la dimension sanitaire de la dépendance. Il faut donc déterminer si le médico-social et le social doivent se séparer totalement, avec un alignement du médico-social sur le sanitaire. L'Etat serait alors le maître d'oeuvre du médico-social, au nom des financeurs que sont les systèmes de protection sociale, le social relevant pour sa part des seuls départements et intercommunalités. Si cette logique s'impose, que l'on en tire les conséquences et que l'on ne continue pas à départementaliser le médico-social. Si l'on souhaite une régulation cohérente, il importe de ne pas distinguer le financement des établissements et des services, la gestion des personnes et l'établissement des schémas. Reste que le clivage entre social et médico-social ne me paraît pas constituer une bonne idée. La logique de l'action sociale est préférable à celle de la médicalisation et le champ du handicap n'a pas grand-chose à gagner à être traité comme l'hôpital public.

REPÈRES

Docteur en droit public, Robert Lafore enseigne à l'université de Montesquieu-Bordeaux IV. Par ailleurs, il est membre du conseil scientifique de l'Ecole des hautes études en santé publique (EHESP) et du conseil d'administration de l'Uniopss. Il est notamment l'auteur, avec Michel Borgetto, du Droit de l'aide et de l'action sociales (Ed. Montchrestien).

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