Une visite ministérielle de terrain à la rencontre des mineurs étrangers isolés, dans le nord-est de Paris, avec les intervenants sociaux de France terre d'asile, a été l'occasion de relancer cet épineux dossier laissé en suspens depuis des années. Eric Besson, ministre de l'Immigration, a, le 27 février, annoncé la constitution d'un groupe de travail chargé de se pencher sur l'ensemble des questions liées à ces jeunes, dont le nombre sur le territoire est estimé entre 4 000 et 6 000. Animé par son ministère, il réunira l'ensemble des administrations concernées (justice, affaires sociales, famille, intérieur et collectivités locales), des représentants d'organisations internationales telles que l'Unicef et le Haut Commissariat pour les réfugiés, ainsi que l'ensemble des associations oeuvrant dans le secteur, dont la Croix-Rouge française, France terre d'asile, la Cimade, Forum réfugiés et le Réseau éducation sans frontières. Ses conclusions sont attendues avant la fin du mois de juillet prochain.
Sans préjuger des conclusions des débats, France terre d'asile se réjouit « du retour de l'Etat » dans le pilotage du dossier, d'autant que le ministre a également annoncé la poursuite du financement du dispositif de prise en charge parisien au-delà de 2009. L'enveloppe accordée dans ce cadre à cinq associations pour un travail de repérage et de mise à l'abri s'élève aujourd'hui à 2,7 millions d'euros. « Ce sont 50 places d'hébergement qui sont pérennisées », souligne Pierre Henry, directeur général de l'association, ajoutant que, face à l'engorgement de cette capacité d'accueil, la Ville de Paris a, de son côté, décidé, en novembre dernier, d'ouvrir à titre expérimental 20 places supplémentaires. « Il faudrait également pérenniser les 25 places d'accueil hivernal », souhaite-t-il par ailleurs. En 2008, près de 700 jeunes - en majorité des Afghans et des Irakiens qui errent dans la capitale depuis la fermeture du centre de Sangatte - ont été accueillis par la plateforme de France terre d'asile, qui évalue leur situation avant de les orienter, notamment vers le dispositif de protection de l'enfance. Aujourd'hui, 715 jeunes étrangers isolés sont pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE), dont la moitié au titre du contrat jeune majeur.
Pour les associations comme pour les conseils généraux, le groupe de travail ne devra pas éluder la question du partage des responsabilités entre l'Etat et les départements. « L'urgence sociale et la politique migratoire incombent à l'Etat, qui ne peut pas transférer la charge de l'accueil aux départements les plus exposés, c'est-à-dire Paris, la Seine-Saint-Denis, le Nord et les Bouches-du-Rhône », estime Pierre Henry. Un point de vue largement partagé par la Ville de Paris, qui demande, outre le renforcement du dispositif de repérage et de mise à l'abri, « la mise en oeuvre d'un partenariat entre la collectivité parisienne et l'Etat pour la création d'une structure accueillant des mineurs isolés » et la mise en place d'une plateforme régionale d'évaluation et d'orientation. Celle-ci avait été envisagée en 2006, après avoir été successivement proposée dans un rapport du préfet d'Ile-de-France Bertrand Landrieu en 2003 et de l'inspection générale des affaires sociales en 2005, qui préconisait sa prise en charge par l'Etat. « L'accueil des jeunes étrangers isolés représente 10 % du budget de l'ASE, précise Myriam El Khomri, adjointe au maire de Paris chargée de la protection de l'enfance, et les structures de prise en charge sont saturées. Le débat doit être porté à un niveau régional, dans une approche concertée entre l'Etat et les collectivités locales. »
La Croix-Rouge, qui gère le Lieu d'accueil et d'orientation (LAO) de Taverny (Val-d'Oise), où sont accueillis les jeunes mineurs isolés passés par la zone d'attente de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, soit l'immense majorité de ceux arrivés par avion, attend également que les responsabilités publiques soient clairement définies pour apporter une solution pérenne à l'embolisation du dispositif, qui a pris en charge 132 jeunes en 2008. L'Etat vient de s'engager à assurer la pérennité des 30 places du LAO, dont la viabilité était menacée par l'instabilité de ses financements reposant sur des crédits d'hébergement d'urgence. « Mais cela ne règle pas la question du partage des compétences, estime Didier Piard, directeur de l'action sociale de la Croix-Rouge. La question du rôle du conseil général doit également être posée dès lors que la qualité d'enfant du mineur étranger prime. » L'organisation demande que ces jeunes bénéficient d'une protection adéquate tenant compte de leur statut d'enfant, mais aussi que la priorité soit donnée au rapprochement familial « afin que le mineur isolé puisse rejoindre dans les meilleures conditions sa famille » et que les règles européennes soient harmonisées dans ce sens.
Sur ce vaste sujet, le ministère et les membres du groupe du travail pourront s'appuyer sur les travaux déjà engagés et restés dans les limbes, sans occulter le sujet du financement. La loi du 5 mars 2007 reconnaît aux mineurs étrangers isolés le droit de relever de la législation sur la protection de l'enfance, mais « n'a pas apporté de réponse satisfaisante sur cette question », souligne Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny et de DEI (Défense des enfants International)-France. Comme plusieurs institutions l'ont déjà rappelé, notamment la défenseure des enfants ou encore DEI-France et France terre d'asile, dans leur contribution à l'examen de la situation française par le Comité des droits de l'enfant de l'ONU, de nombreux autres sujets relevant de la compétence de l'Etat restent à régler. Parmi eux : l'impossibilité pour beaucoup d'enfants de se voir représentés par un administrateur ad hoc à la frontière, les difficultés qu'ils rencontrent pour demander l'asile, la détermination de l'âge par l'expertise osseuse, ou encore l'avenir de ces jeunes une fois devenus majeurs.