L'examen du projet de loi pénitentiaire a démarré le 3 mars au Sénat dans un climat tendu. Alors que, conformément à la révision constitutionnelle, c'est le texte amendé en commission des lois qui est discuté (et non le projet initial du gouvernement), les parlementaires de l'opposition ont contesté la procédure d'urgence déclarée sur le texte le 20 février. La conférence des présidents du Sénat devait se prononcer sur cette requête le 4 mars au soir. Cette procédure accélérée est « injustifiable » pour un texte attendu depuis dix ans, annoncé par la garde des Sceaux comme « un grand rendez-vous avec la France » et sans cesse ajourné, estiment les organisations membres des « états généraux de la condition pénitentiaire ». Elle est, à leurs yeux, tout autant « illégitime », puisque le texte gouvernemental « semble être resté au milieu du gué » selon les acteurs du milieu pénitentiaire, qui espèrent son enrichissement au cours de la lecture parlementaire.
Car, même largement amendé par la commission des lois du Sénat, le texte est loin de répondre aux attentes. Si le volet sur les aménagements de peine est accueilli plus favorablement, les associations comme l'opposition déplorent le manque de dispositions sur les droits des détenus, notamment en matière de travail, de réinsertion et d'accès aux soins. Le texte ne se résout toujours pas à considérer le détenu comme un sujet de droit, déplore l'Observatoire international des prisons. Un projet né d'une contrainte - notamment celle de se conformer aux règles pénitentiaires européennes et de désengorger les prisons - plutôt que d'une réelle volonté politique, alors que les texte législatifs favorisent « toujours plus l'incarcération », a regretté le sénateur PS des Hauts-de-Seine et ancien garde des Sceaux, Robert Badinter. L'inquiétude est d'autant plus grande que le gouvernement entend revenir sur son texte initial par voie d'amendements. Parmi les points de désaccord : le principe de l'encellulement individuel, que les sénateurs ont souhaité réaffirmer, alors que le gouvernement privilégie le « choix » entre cellule individuelle ou collective, ou la durée maximale de placement en cellule disciplinaire, fixée à 30 jours par la commission, que le gouvernement souhaite porter à 40 jours.
Pour le reste, alors que la garde des Seaux insiste sur « l'enjeu essentiel » du développement des alternatives à l'incarcération, les associations et les professionnels de la justice pénale estiment que le texte aurait pu aller plus loin. « Il est incroyable qu'une loi comme celle-ci ne contienne rien sur la libération conditionnelle », pointe Matthieu Bonduelle, secrétaire général du Syndicat de la magistrature. Ce qui a conduit dix associations et syndicats (1) à soumettre aux parlementaires une proposition d'amendement visant à introduire un système de libération conditionnelle d'office aux deux tiers de la peine. Celle-ci a été reprise par des parlementaires communistes et socialistes. Le système existe dans plusieurs pays européens, argumentent les organisations, et a fait ses preuves en matière de prévention de récidive et de réinsertion, alors que la libération conditionnelle est en France sous-utilisée (autour de 6 000 mesures chaque année). « Aujourd'hui, elle est accordée aux détenus «méritants» qui ont pu ficeler un projet », explique Sophie Desbruyères, secrétaire générale du Snepap-FSU. Ce qui est, poursuit-elle, inégalitaire et se heurte à la réalité sociale et économique actuelle. « Il s'agit de modifier la responsabilité de l'administration pénitentiaire dans la préparation à la sortie, dans son suivi du condamné hors les murs. Aujourd'hui, un détenu sans logement se voit refuser cette mesure. Si l'on sait qu'il y a accès de droit, l'administration aura la responsabilité de trouver une solution. » Un changement de philosophie dans la mission pénitentiaire, soulignent les auteurs de l'amendement, qui nécessiterait un renforcement des effectifs de travailleurs sociaux, dont les besoins sont déjà estimés à 25 % de personnels supplémentaires. Ils insistent également sur le caractère contraignant et encadré de cet aménagement de peine, dont le contenu est individualisé : « Il peut y avoir 19 obligations possibles, dont celles quasiment automatiquement prononcées sont l'insertion par le travail, le suivi d'une formation professionnelle, de soins et l'indemnisation des victimes », ajoute Ludovic Fossey, secrétaire général de l'ANJAP (Association nationale des juges de l'application des peines). Et l'ensemble des organisations de pointer le décalage entre les aspirations, étayées par l'expérience du terrain, des professionnels, et les ambitions du gouvernement.
(1) Le Syndicat de la magistrature, l'Association française de criminologie, l'Association nationale des juges de l'application des peines (ANJAP), la Fédération des associations de réflexion action prison et justice, le Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire (Snepap-FSU), le Secours catholique, le Génépi, Ban Public, l'Association nationale des visiteurs de prison et ACAT-France.