Quartiers du Petit-Bard et de la Pergola, à Montpellier. Des barres d'immeubles érigées dans les années 1960 pour les rapatriés d'Algérie accueillent aujourd'hui une population pauvre, composée en majorité de familles d'origine marocaine et de gens du voyage sédentarisés. La moitié des actifs sont au chômage. C'est là que l'association Césam migrations santé (1) a lancé sa mission Accompagnement santé scolaire, dont l'objectif est d'assurer la médiation et l'accompagnement des familles dans la prise en charge des problèmes de santé de leurs enfants, repérés à l'occasion des visites médicales et des bilans de santé scolaire.
« Cette action est partie du constat d'une véritable inégalité de recours aux soins, explique Claire Mourad-Péchayre, médecin de l'Education nationale, à l'origine du dispositif et présidente du Césam depuis juin 2008. Dans les quartiers favorisés, 80 % des pathologies repérées sont traitées. Contre seulement 20 % dans les quartiers du Petit-Bard et de la Pergola. Lors des bilans de santé obligatoires de grande section, en CE2 et CM1, les médecins scolaires dépistaient des problèmes de dents, d'yeux, d'oreilles, etc. Mais rien ne se mettait ensuite en place. L'enfant n'allait pas chez le dentiste, ni chez l'ophtalmologiste, ni chez le psychologue... »
Face à l'impact négatif, notamment sur le travail scolaire, de ces problèmes de santé non traités, des directeurs d'école, chefs d'établissement, inspecteurs de l'Education nationale et médecins scolaires se sont interrogés collectivement sur la façon la plus efficace d'améliorer la santé de ces enfants. Le projet d'un dispensaire sur le quartier a rapidement été abandonné. Déjà testé, il avait été jugé trop stigmatisant pour ces populations. Jouer sur la culpabilisation des parents ne semblait pas non plus approprié... « En 2003-2004, j'ai procédé à 60 signalements d'enfants négligés du fait de soins non effectués, se souvient Claire Mourad-Péchayre. Tout le monde considérait ces parents comme de «mauvais parents», mais rien ne bougeait. »
Après de multiples rencontres avec des familles et des habitants du quartier, notamment des « grands frères », afin d'identifier la source des blocages, l'idée émerge de recruter un psychologue arabophone qui assure l'interface entre la famille et le monde médical : médecin et infirmière de l'Education nationale, professionnels de santé, etc. Après un tour de table des partenaires (DDASS, conseil général de l'Hérault, Education nationale), l'association Césam, qui travaille depuis vingt-cinq ans à Montpellier dans le domaine de la santé des migrants, est choisie en 2005 comme support de ce nouveau dispositif. Najat Bentiri, psychologue sociale de la santé, d'origine marocaine et arabophone, est alors recrutée pour travailler sur le secteur REP (réseau d'éducation prioritaire) Alco, qui regroupe trois écoles maternelles, trois écoles primaires et un collège dans les quartiers du Petit-Bard, de la Pergola et des Cévennes.
« J'ai en charge annuellement 100 à 130 familles, explique-t-elle. Avant notre intervention, 20 % des enfants se trouvaient en échec scolaire dans des classes ordinaires, en raison de problèmes de handicaps. Les 80 % restants souffraient de troubles ophtalmologiques, dentaires, psychologiques, neurologiques, orthopédiques, endocrinologiques, etc. » Le suivi par le Césam dure entre quatre mois et un an et demi. Il commence avec le médecin scolaire. Lors d'un dépistage à l'école, celui-ci repère un problème de santé. « Nous voyons pas mal de caries dentaires, de problèmes d'hygiène alimentaire, d'obésité », détaille Mireille Borron, médecin scolaire, qui fait le point tous les quinze jours avec Najat Bentiri à l'école Louis-Armstrong sur les nouveaux cas et les suivis en cours, de la maternelle au collège. S'il s'aperçoit que la famille n'effectue pas les démarches ou risque d'avoir des difficultés à les mener, le médecin entre alors en contact avec le Césam pour requérir son intervention. De son côté, le directeur de l'école - qui n'est pas informé de la nature du problème de santé de l'enfant - adresse un courrier à la famille pour lui demander de rencontrer l'accompagnatrice santé une première fois à l'école.
Par la suite, Najat Bentiri reçoit les parents dans le bureau qu'elle partage avec la psychologue clinicienne de l'association, à la Maison de l'enfant et de la famille du conseil général, qui intègre également dans ses murs un lieu de consultation de la protection maternelle et infantile (PMI) et une halte-garderie. « Lors de cette rencontre, j'évoque le dépistage et cherche à comprendre pourquoi les parents n'ont pas effectué les soins préconisés par le médecin scolaire », explique la psychologue. Les raisons varient : absence de couverture sociale, incompréhension quant à la nécessité des soins, etc. Si les familles respectent assez facilement les rendez-vous concernant des problèmes auditifs et visuels, elles se montrent plus réticentes pour l'orthophonie, car se pose le problème du coût de la consultation, puisque 60 % du prix restent à leur charge. De plus, à propos d'une orientation vers un orthophoniste ou un psychologue, souvent les parents affirment qu'« à la maison tout va bien ». Ce que Najat Bentiri explicite : « Cela découle parfois d'une sous-estimation du problème. Ils peuvent, par exemple, ne pas avoir conscience des difficultés d'écriture de leur enfant parce qu'eux-mêmes ne savent pas écrire. C'est à moi d'expliquer les difficultés réelles de l'enfant, afin de les convaincre de la nécessité d'une prise en charge. Notre tâche n'est pas d'obliger les parents, mais de faire en sorte qu'ils se saisissent de la problématique. »
Amin, dont la mère, à la suite d'une demande de la psychologue scolaire, vient rencontrer dans l'après-midi l'accompagnatrice santé, avait été orienté par la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) vers un Sessad-CROP (centre de rééducation de l'ouïe et de la parole). Malheureusement, faute de place, il avait dû rester en classe de CP ordinaire. « Pendant un an, la famille a payé, sans mutuelle, les soins d'orthophonie. Mais elle a fini par arrêter, car c'était trop cher », se souvient Najat Bentiri. Pour aider l'enfant à reprendre la rééducation orthophonique, l'accompagnatrice santé a alors sollicité le médecin traitant, afin qu'il réclame une prise en charge en affection de longue durée. Elle a rassemblé les pièces nécessaires à l'établissement du dossier, de façon que les soins soient couverts en totalité. Finalement, après un an et demi d'interruption, le suivi d'Amin a pu reprendre. De plus, après notification de la MDPH, une auxiliaire de vie scolaire vient d'être embauchée pour assister individuellement le petit garçon à l'école, quatre demi-journées par semaine. « C'est formidable ! s'enthousiasme la mère. L'orthophoniste lui a fait beaucoup de bien. La maîtresse m'a montré ses cahiers. Il apprend à lire, à écrire les lettres, alors que l'an dernier il n'a rien appris, il est resté dans son coin. C'est grâce à vous... » Toujours attentive à souligner les compétences et le rôle positif des parents, la psychologue répond : « C'est vous qui vous êtes mobilisés. Amin sait que sa maman et son papa s'occupent de lui. Ne sous-estimez pas votre impact dans ses progrès. » A la fin du rendez-vous, elle propose à la maman d'emmener son fils à la médiathèque ou à la Maison pour tous.
Outre de soutenir les parents dans leurs démarches, le rôle des accompagnatrices du Césam consiste aussi à faire office de médiateurs entre les familles et les professionnels de santé. Najat Bentiri va ainsi accompagner Fatna, une petite fille en difficulté scolaire, avec sa mère et sa petite soeur chez l'orthophoniste qui la suit à l'extérieur du quartier. « J'effectue souvent des accompagnements lors du premier rendez-vous ou d'un retour de bilan, mais pas régulièrement, explique la psychologue. Selon chaque situation et chaque famille, l'accompagnement se révèle spécifique. L'objectif n'est pas de créer un lien de dépendance, mais de montrer aux familles qu'elles sont capables. » Aujourd'hui, il s'agit de régler un différend entre la mère de Fatna et l'orthophoniste. Cette dernière avait refusé de recevoir Fatna, arrivée trop en retard à un précédent rendez-vous. La maman, très en colère de ce refus incompréhensible pour elle, avait décidé d'arrêter le suivi. Pendant le trajet, Najat Bentiri lui explique la nécessité d'être ponctuelle aux rendez-vous et la rassure en lui disant que l'école est prévenue et laissera désormais Fatna sortir à 16 heures, afin qu'elle puisse arriver à l'heure. Comme la mère parle en arabe, Najat Bentiri lui rappelle gentiment qu'elle suit des cours d'alphabétisation et qu'elle peut donc s'exprimer en français. Dans le cabinet, le différend est rapidement aplani. L'accompagnatrice santé informe l'orthophoniste qu'un rendez-vous est pris en mai avec un neuropédiatre, mais qu'elle a demandé au médecin scolaire - le matin même, lors de leur réunion bimensuelle - de contacter l'hôpital pour essayer d'avancer la date. Elle explique aussi à la maman que, si elle n'a pas le droit d'assister à la séance de sa fille, elle peut interroger l'orthophoniste sur ses progrès, ses difficultés et la manière de l'aider à la maison.
Par sa seule présence, l'accompagnatrice santé permet aux familles d'obtenir plus de respect et d'écoute de la part des institutions. « Quand elle accompagne une famille à l'hôpital, ils sont davantage considérés par le corps médical », reconnaît Françoise Quilichini, psychologue scolaire sur le REP Alco. Même si, d'une certaine façon, cela va à l'encontre de l'objectif d'autonomisation des familles... « Quand un parent appelle l'hôpital, il a un rendez-vous dans quatre mois, alors que quand c'est moi c'est dans dix jours, observe-t-elle. L'une des raisons vient du fait que ces personnes ont souvent du mal à s'exprimer. Les familles ont aussi une attitude de sujétion par rapport au corps médical. J'essaie de rétablir un équilibre, tout en restant physiquement sur le côté ou derrière eux... »
C'est le cas de la mère d'Abdelkrim, qu'elle reçoit en fin d'après-midi. Habillée en djellaba bleue et voilée de noir, cette femme ne parle que l'arabe. Elle a toujours besoin d'un membre de la famille pour traduire ses propos. Son petit dernier, Abdelkrim, atteint d'une déficience neurologique importante à la suite d'une souffrance néonatale, est suivi depuis des années en neuropédiatrie. Pour l'encourager à faire les choses par elle-même, Najat Bentiri insiste pour que son grand fils qui l'accompagne appelle lui-même l'hôpital afin de prendre le prochain rendez-vous. Mais il ne parvient pas à aller au bout de la démarche et rend le combiné à la psychologue. Le médecin au bout du fil en profite pour aborder un autre cas. De peur d'oublier le rendez-vous, la maman demandera finalement à Najat de lui téléphoner quelques jours avant pour lui rappeler la date. Abdelkrim est l'un des enfants pour lesquels Najat Bentiri déploie le plus d'énergie, car il n'est pas scolarisé. « Sa situation est honteuse, s'indigne-t-elle. C'est le point noir de notre action : le manque de places dans des structures adaptées. » Malgré une orientation en institut médico-éducatif datant de deux années, le petit garçon n'a pas pu y être admis. Il reste donc scolarisé dans une école privée, qui apparaît de moins en moins adaptée. « Il faut que cette situation évolue d'urgence, indique Najat à la maman. Le psychiatre est de mon avis. Aujourd'hui, votre allocation vous sert à payer l'école privée, alors qu'elle devrait servir à la prise en charge médicale. Ce n'est pas normal. » Najat demande à la famille de solliciter l'assistante sociale afin que, de son côté, celle-ci les aide également à trouver une place dans un établissement spécialisé.
Régulièrement en contact avec les professionnels de santé et les personnels de l'Education nationale, les accompagnatrices santé du Césam croisent aussi fréquemment les éducateurs spécialisés et les assistants sociaux du conseil général de l'Hérault, avec lequel l'association a passé une convention. « Dans ce quartier, les problématiques sociales et de santé sont imbriquées, rappelle Najat Bentiri. Quand un problème de santé apparaît, ils me contactent. En cas de difficulté sociale, c'est moi qui les appelle. Je fais l'intermédiaire entre les intervenants de l'éducatif et du soin, afin que chacun puisse agir en faveur de l'enfant. » Ce sont justement les assistantes sociales qui ont fait remarquer à Najat les changements positifs intervenus dans les familles à l'issue d'une démarche d'accompagnement. « Quitte à y passer plus de temps, j'essaie toujours d'inciter les parents à développer plus d'autonomie, insiste la psychologue. C'est un travail permanent pour les remobiliser. Car pour qu'ils soient en réussite, il faut qu'ils se rendent compte qu'ils sont capables de faire par eux-mêmes. Quand je termine l'accompagnement santé, ils ont acquis un sentiment de compétence qui peut se transférer dans d'autres domaines, comme l'emploi. » La psychologue souhaite d'ailleurs utiliser l'échelle de Schwarzer et Jerusalem (2) dans l'intention de mettre en place très prochainement un outil d'évaluation de ce sentiment de compétence des familles avant et après l'accompagnement santé.
Le dispositif d'accompagnement santé du Césam est désormais reconnu. Il a été retenu, lors des Assises territoriales qui se sont tenues en 2008 à Montpellier, afin de représenter le programme de réussite éducative (PRE) de la ville. Et il a reçu un prix de la Fondation de France. « L'action est plébiscitée par les écoles et le conseil général, parce qu'elle fonctionne bien, se félicite Dominique Gilles, éducateur spécialisé de formation, directeur du Césam migrations santé depuis février 2008. Avec mon passé de travailleur social dans l'intégration, je peux témoigner que cette action représente un formidable outil d'intégration. Cela remet les parents dans leur rôle. Ils s'aperçoivent que les institutions ne sont pas si «méchantes» que ça. De même, ces dernières réalisent que ces parents aussi peuvent être de «bons» parents. » A la Maison de l'enfant et de la famille, en marge de la réunion hebdomadaire de coordination qu'elle partage avec Najat Bentiri et Meriem Reda-Besse, la psychologue clinicienne de l'association, Françoise Quilichini confirme : « Najat est précieuse. Au centre de l'intervention, elle assure un travail de lien entre tous les intervenants. Et permet d'éviter des signalements, lorsqu'un besoin de bilan ou de prise en charge apparaît et que les parents ne font rien. » Avant que Meriem Reda-Besse ne conclue : « Si Najat n'était pas là, beaucoup de choses ne seraient pas allées au bout, Quand des familles ne donnent pas suite, elle les relance. C'est un soulagement pour les équipes. Cette place est très importante, parce qu'elle coordonne ce qui se passe ici, à l'école, au centre médico-psycho-pédagogique, à l'hôpital... »
Le dispositif Accompagnement santé scolaire du Césam coûte 130 000 € par an pour deux postes et demi : celui de Najat Bentiri sur le REP Alco, auquel s'ajoutent un poste et un demi-poste créés, en 2008, sur Mosson et les Hauts de Massane, occupés par deux accompagnateurs santé (une conseillère en économie sociale et familiale et un professionnel en intermédiation sociale). Cette action est financée par le conseil général de l'Hérault, la DDASS-DRASS, l'Education nationale (par la mise à disposition de personnel et de locaux), et le programme de réussite éducative (PRE) mis en oeuvre par la caisse des écoles de la ville de Montpellier, chargée du pilotage et de la gestion des crédits alloués par l'Etat. Le budget 2009 vient d'être reconduit, grâce au soutien appuyé de ses partenaires de l'Education nationale, notamment les directeurs d'école.
(1) Césam migrations santé : Mas de la Paillade - 111, rue de Tipasa - 34080 Montpellier - Tél. 04 67 40 55 96 -
(2) Présentée en 1993, cette échelle permet de jauger le sentiment d'efficacité personnelle. Elle s'appuie sur le constat que les personnes en situation de précarité expriment des croyances plus faibles que d'autres en leurs capacités à faire face aux événements, et sont alors moins aptes à réaliser leur projets.