En novembre dernier, j'avais souligné dans mon dernier Bloc-notes d'ASH Magazine - dont ce Point de vue prend le relais - la nécessité impérieuse d'un « Elysée du social » pour faire
face au tsunami qui se levait. Le « sommet social » réuni autour du président de la République le 18 février a voulu, de fait, entendre la foule impressionnante des manifestants protestant récemment contre la violence et l'injustice d'une tourmente sans précédent depuis 1945. Un krach désormais autant social que financier et économique, qui s'aggrave jour après jour.
Le seul fait que ce « sommet social » se soit tenu à ce niveau, avec le Premier ministre et les membres du gouvernement concernés ainsi que les numéros un des centrales syndicales et des organisations patronales, lui confère une singularité exceptionnelle. Jamais une rencontre de ce genre n'avait été organisée à l'Elysée. Si certains y ont vu une marque supplémentaire de la présidentialisation de la Ve République, c'est bien davantage la reconnaissance de l'ampleur et de la profondeur de la crise et de son impact social dévastateur, dès lors que rien ne permet d'espérer sa fin rapide, en dépit des milliards de dollars et d'euros injectés dans le puits sans fond du système bancaire et financier. Alors que, dans notre rituel social, les « Matignon » (comme en 1936 ou encore en 1995) ou les « Grenelle » (comme en 1968) constituaient des catharsis de sortie de crise, cet « Elysée » en signe, en réalité, le début.
C'est bien d'ailleurs ce qui explique que les mesures très ciblées et d'effet immédiat retenues à la suite d'échanges plus ouverts et moins convenus que d'ordinaire entre les participants soient inspirées avant tout par le souci de prévenir la spirale du pire : quand des CDD trop courts interdisent à un jeune au chômage d'être indemnisé, quand le chômage partiel est l'antichambre d'un licenciement rapide, quand la baisse des revenus pose à échéance rapprochée la question du loyer, quand le paiement de l'impôt n'est possible qu'au prix du prêt à la consommation de trop... Bien sûr, pesées avec un soin extrême au trébuchet de la situation des finances publiques, elles ont été immédiatement jugées par beaucoup comme trop modestes. Mais là encore, contrairement à tant d'engagements flamboyants réglés en monnaie de singe, les décisions prises ne se sont pas inscrites dans l'habituel théâtre d'irréalités économiques dont notre génie national a parfois le secret. Chacun était conscient que des priorités s'imposaient, même si, naturellement, chacun ne les situait pas au même niveau, dans la même perspective ou dans la même temporalité.
Là se situe de fait la martingale inédite de ce sommet. Un sommet en réalité à double détente. Au-delà des mesures d'effet rapide ciblées sur « le bas des classes moyennes », des chantiers de négociations ont été définis pour élargir, en matière de problématiques et de publics, les remèdes à la crise et à ses conséquences sociales. Un sommet social en a ainsi caché un autre : celui qui ne s'est pas contenté d'agir à court terme, mais qui a entendu faire de la crise une opportunité de réforme et de progrès social. Certes, à ce stade, seules des pistes parfois encore floues ont été ouvertes, par exemple en ce qui concerne la situation des jeunes. Et les instruments mis en place n'ont rien encore d'opérationnel, notamment le fonds d'investissement social annoncé pour faire converger les financements et les engagements des différents partenaires vers des actions communes, tout particulièrement en matière de formation et de qualification. Mais le champ nouveau ainsi ouvert au dialogue social est considérable. De la volonté conjuguée des acteurs de transformer la crise en accoucheuse de réformes depuis trop longtemps différées peut naître des progrès majeurs, qu'il s'agisse enfin de la mise en place d'un véritable contrat d'autonomie pour les jeunes ou de la construction concrète d'un droit opposable à la formation pour les actifs les plus fragiles et les plus précaires.
Pour autant, force est de constater que, malgré sa visée et son calendrier ainsi dédoublés, ce sommet social ne s'est intéressé pour l'essentiel qu'aux « inclus », ceux qui appartiennent au monde du travail ou n'en sont pas éloignés. Pouvait-il en être autrement, dès lors qu'il réunissait autour du chef de l'Etat uniquement les représentants des salariés et des entreprises, même si les organisations syndicales sont très loin de se désintéresser de la situation des plus fragilisés de notre société ? On ne peut que déplorer que le mouvement associatif n'ait pas été convié, ni même entendu lors des multiples consultations préparatoires. Sa présence a manqué pour faire valoir directement l'explosion de la précarité et de l'urgence sociale auxquelles il est confronté du fait de la crise et, au-delà du RSA et du DALO, les réponses à leur apporter, qui exigent aussi diagnostic partagé et volonté de tous au plus haut niveau. Au prochain « sommet social » de réparer cette absence. Car, n'en doutons pas, celui du 18 février en appellera d'autres !