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La réinsertion, une partition qui se joue à plusieurs

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Profitant du programme européen Equal, la mission locale du Pays basque et le SPIP des Pyrénées-Atlantiques ont, avec une dizaine de partenaires, construit une plateforme de compétences, dite « Lotu ». Objectif ? Favoriser l'accès direct des jeunes sous main de justice, en particulier sortant de prison, aux entreprises marchandes.

«Je veux être comme tout le monde, avoir un logement ordinaire, un travail normal... Les stages, les emplois aidés, ras le bol ! » C'est en gros ce que disaient les jeunes sous main de justice que rencontrait à la maison d'arrêt de Bayonne Serge Prisselkoff, conseiller en insertion à la mission locale Avenir Jeunes Pays basque (1). C'était avant le lancement de l'initiative « Lotu », en 2005. Engagée depuis longtemps auprès des 16-25 ans les plus précaires, la mission locale avait en outre déjà dressé un autre constat : celui de l'inadaptation à ces jeunes des programmes habituels d'accompagnement. Aussi, dès 2002, avait-elle entamé une réflexion sur les moyens de relever le défi de leur insertion sociale et professionnelle.

Un partenariat « haute couture »

C'est donc dans le souci d'offrir aux jeunes sous main de justice une réponse ciblée, cohérente et globale, avec en ligne de mire, l'accès à l'emploi en entreprise marchande, que « Lotu » a vu le jour. Autour de la mission locale et sous l'égide du juge de l'application des peines du tribunal de grande instance de Bayonne, une dizaine d'acteurs de la justice, de l'emploi, de l'entreprise, de la formation, du logement, ont ainsi accepté de bousculer leurs pratiques. En effet, si l'innovation « Lotu » - « lien » en basque - a une caractéristique, c'est bien sa « conception haute couture du partenariat », précise Sylvie Châles-Courtine, enseignante-chercheuse à l'Ecole nationale de l'administration pénitentiaire (ENAP), chargée de son évaluation. « Chacun apporte ses outils habituels, mais la façon dont on les gère en commun rend les réponses plus efficientes », résume Fantxoa Hastaran, directeur adjoint de la mission locale.

Le partenariat s'est construit en plusieurs étapes. Entre 2002 et 2004, la mission locale a prospecté des entreprises de son réseau afin de travailler les logiques de mise en relation entre jeunes sortant de prison et chefs d'entreprise. Organisées à la maison d'arrêt, des journées de rencontre ont aussi démontré que des firmes étaient prêtes à s'engager. « Il s'agissait d'inciter les détenus à s'interroger sur leur parcours après leur sortie de prison, à connaître les métiers qui recrutent, voire à nouer un premier contact, et de faire découvrir la réalité carcérale à des chefs d'entreprise », témoigne Fantxoa Hastaran. Puis le fonctionnement morcelé des acteurs a été pointé. « Nous travaillions tous avec de multiples partenaires, mais nous nous trouvions dans des relations binaires. C'est le juge de l'application des peines qui, de par sa vision globale du parcours des jeunes et de ses incohérences, a perçu que nous pourrions agir autrement », reprend-il. En 2004, la mission locale, le service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) des Pyrénées-Atlantiques, le juge et des entreprises profitent alors d'un appel d'offres du programme européen Equal (2) et obtiennent des fonds, dans le cadre de son « Action 1 », pour élaborer leur projet et établir un comité de pilotage ou « partenariat de développement » (PDD) (3) ; en 2005, l'initiative est retenue, pour l'« Action 2 » d'« expérimentation », qui s'étalera de septembre 2005 à décembre 2007. 101 jeunes sont alors intégrés, dont 80 % accompagnés par le SPIP en milieu fermé ou ouvert. Les 20 % restants sont composés de jeunes suivis par l'Association de contrôle judiciaire du Pays basque (ACJPB) ou de mineurs relevant de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). En 2008, Lotu est enfin sélectionné pour l'« Action 3 », de « dissémination », visant à faire connaître les bonnes pratiques et à faciliter leur reproduction. Un volet auquel participe l'ENAP et qui a donné lieu, à Biarritz, à un colloque organisé par les acteurs du dispositif (4).

Pour fonctionner, « Lotu » s'est doté de plusieurs outils. Tout d'abord, d'une commission de régulation chargée de valider les entrées des jeunes dans le projet, de suivre leur évolution, d'ajuster l'accompagnement. Cette instance centrale se réunit chaque mois. « Au départ, elle ne comprenait que les partenaires du secteur justice et la mission locale, puis nous l'avons élargie aux autres acteurs de «Lotu» : logement, employeurs... Nous avons également inclus une psychologue pour nous aider à analyser les situations, sachant que nous avons choisi de nous adresser aux jeunes les plus en difficulté », raconte Maite Etcheverry, assistante sociale du SPIP. Ce service repère les jeunes en fonction de leur situation pénale, afin d'anticiper au mieux leur sortie, et la mission locale les rencontre à la maison d'arrêt. Depuis « Lotu », celle-ci s'y rend désormais une fois par semaine. « Aujourd'hui, nous voyons tous les jeunes de moins de 26 ans qu'ils soient en détention provisoire, en fin de peine ou non, et qu'ils soient voués ou pas à intégrer «Lotu» », témoigne Jean-Marc Abadie, conseiller en insertion. Le principe est de mettre le jeune au centre. « C'est au système de s'adapter à lui et non l'inverse, assure Serge Prisselkoff. La mission locale est chargée d'établir une relation de confiance avec le jeune ; et le dispositif fonctionne sur sa libre adhésion, le respect de son rythme et de sa logique. » Le jeune est suivi par un binôme, garant de l'accompagnement et du sens donné à l'exécution de la peine, formé du conseiller de la mission locale et du travailleur social justice référent. Les trois acteurs cosignent un contrat. « Le jeune s'engage à respecter sa mesure de justice et les deux autres à mettre en oeuvre les moyens nécessaires pour mener à bien son projet. On part ensuite de ses besoins et on regroupe les partenaires utiles », précise Maite Etcheverry. Il s'agit donc d'organiser une plateforme de compétences et de faire agir ensemble les acteurs du réseau impliqués. Cela suppose pour chacun d'être prêt à revoir ses représentations de l'autre (voir encadré, page 34).

Premier besoin : l'emploi. Le jeune est mis directement en contact avec l'une des entreprises acceptant de relever le défi, en fonction de son profil et de ses centres d'intérêt. « En général, le jeune n'en revient pas qu'un chef d'entreprise accepte de le rencontrer, témoigne Serge Prisselkoff. Ensuite, on met en place une évaluation en milieu de travail, ce qui permet au jeune de montrer ce qu'il sait faire et à l'entreprise de le tester. Si cela s'est bien passé, on attend qu'il y ait un besoin. On ne fait pas de forcing. » Les entreprises et fédérations d'entreprises associées à la démarche sont très investies. C'est le cas, par exemple, de Guyenne & Gascogne. « Quand je rencontre les jeunes qu'on me propose, je leur explique clairement les règles du jeu et je m'assure qu'ils sont bien volontaires pour réintégrer la vie normale via l'entreprise. Beaucoup ont une sensibilité à fleur de peau et on ne sait pas toujours comment les prendre. Il faut leur consacrer plus de temps qu'aux autres, expliquer davantage... Tout cela est un peu plus compliqué, mais cela en vaut la peine », assure Bertrand de Montesquiou, président du directoire de cette enseigne de la grande distribution. « Cela demande un accompagnement de notre part et beaucoup de pédagogie », confirme Serge Lagaronne, directeur de Eiffage Construction Pays basque Landes, où le jeune bénéficie d'un tuteur pour faciliter son intégration et d'« un passeport jeune » visant à faire le point sur son parcours, son vécu de l'entreprise, ses aspirations. « Face à ces jeunes, il faut un peu de tolérance. Cependant, nous devons aussi veiller à ne pas créer de déséquilibres par rapport aux autres salariés », analyse-t-il. Pour parvenir à ce résultat, les partenaires ont appris à se connaître et à respecter d'autres logiques que les leurs. « Si l'on a pu embaucher des jeunes, c'est parce qu'un travail important a été effectué en amont. Les travailleurs sociaux ont fait de grands efforts pour comprendre les besoins de l'entreprise », témoigne Bertrand de Montesquiou. L'accompagnement socio-professionnel offert au jeune est reconnu comme un gage de réussite - même si des échecs peuvent exister - tout comme l'est la qualité du choix des jeunes envoyés. Les entreprises apprécient en outre la proximité instaurée entre les acteurs, qui les assure d'un soutien efficace en cas de difficulté. La mission locale travaille d'ailleurs sur la durée le maintien dans l'emploi.

Des étapes à franchir au préalable

Pour certains jeunes toutefois, les plus en difficulté, l'accès à l'emploi durable en entreprise nécessite au préalable de franchir quelques étapes. L'un des atouts essentiels est la présence de l'agence d'emploi Adecco au sein du « partenariat de développement ». « En fait, la plupart du temps, quand on nous appelle pour un jeune, il est déjà dans notre fichier. Donc, «Lotu» nous autorise à fonctionner davantage en action qu'en réaction. Plutôt que de subir la situation d'un jeune, nous pouvons anticiper et prendre en compte ses problématiques : absences, condamnations en suspens... et échanger avec le SPIP et la mission locale pour régler tout ça », explique Didier Garcia, responsable à Adecco pour les agences BTP et transport de la côte basque. Avec l'intérim, les jeunes peuvent, de leur côté, bénéficier assez vite de missions. « Pour eux, il n'y a pas d'obligation sur la durée et cela permet un retour progressif à l'emploi. Nous leur servons de strapontin. Ils reprennent des repères et cela crée une spirale positive car, même si la mission est courte, la mener à terme les aide à reprendre confiance », assure Didier Garcia. Pour compléter le dispositif et faciliter l'embauche, « Lotu » fait également intervenir des structures du secteur de la formation tel Etcharry formation développement ou encore des groupements d'employeurs pour l'insertion et la qualification (GEIQ).

Sur les 101 jeunes suivis, 94 n'avaient aucune formation professionnelle. Au final, ce sont plus de 300 mises en relation avec une cinquantaine d'entreprises du bâtiment, de l'industrie, de la restauration, de l'hôtellerie, de la distribution, de la propreté, de l'agriculture et de l'agroalimentaire qui ont été réalisées et une centaine de contrats conclus.

Autre besoin essentiel et récurrent des jeunes, qui, dans la moitié des cas, ont connu l'errance : le logement. Pour apporter une solution et éviter la précarité de l'hébergement d'urgence, des intervenants du Pact Habitat et Développement (Pact HD) rencontrent les jeunes, au besoin en prison, l'idée étant d'intervenir le plus tôt possible. « Nous menons tout un travail d'accompagnement en lien avec les partenaires. Nous proposons notamment des logements temporaires, individuels, loués et gérés par le Pact, de manière à voir comment le jeune réagit. Nous avons aussi un partenariat avec un hôtel à qui nous louons un studio et avec les HLM », détaille Isabelle Garrouteigt, conseillère en économie sociale et familiale du Pact HD. « Comme pour l'emploi, nous procédons par étapes jusqu'au logement durable. » Le jeune peut bénéficier d'une allocation logement temporaire mais doit aussi apporter sa contribution, qui est adaptée à son budget. Lorsqu'il n'a pas, ou pas assez, de ressources, le fonds d'intervention établi par « Lotu » est sollicité. Si celui-ci sert surtout à payer des frais de logement, ce n'est pas sa vocation exclusive. Pour les acteurs, il a aussi une vertu pédagogique. « Quand le jeune voit que l'on est prêt à lui accorder une aide financière, cela peut le réconcilier avec la justice », observe Serge Prisselkoff.

Plus globalement, l'accompagnement a le mérite « d'aider le jeune à intégrer la mesure de justice dont il fait l'objet, en donnant du sens à la peine, et de favoriser la compréhension par tous les partenaires de ses contraintes », résume Maite Etcheverry. En outre, « Lotu » contribue à faire sortir ces jeunes de l'état de victime dans lequel ils s'enferment. Ce que défend Serge Prisselkoff : « Pouvoir les mettre en lien direct avec les lois du marché et dans de bonnes conditions, les empêche, si cela ne fonctionne pas, de dire «on n'a rien fait pour moi». » Pour certains, « Lotu » a aussi permis d'obtenir un aménagement de peine. « Cela a même été possible en faisant valoir des missions d'intérim grâce à l'implication d'Adecco », assure l'assistante sociale. De son côté, Sophie Mercier, juge de l'application des peines à Bayonne, confirme : le dispositif est « une vraie chance » pour l'insertion. « Quand un jeune est suivi, je sais qu'il ne se débat pas seul face à ce nécessaire retour à l'emploi et qu'il bénéficie d'un accompagnement global. «Lotu» a comblé un vide en offrant une passerelle, et c'est une garantie de sérieux. J'ai davantage confiance et cela facilite l'octroi d'aménagements de peine. » En expérimentant des parcours, le dispositif autorise également les jeunes à passer d'un fonctionnement d'échec à une dynamique de réussite. « Ils se prouvent qu'ils peuvent entreprendre des choses. Cela leur donne l'occasion de réactiver leurs propres richesses qu'ils ignorent, et de se rassurer. Souvent, ces jeunes ont peur de changer de trajectoire », constate Maite Etcheverry.

Quelques failles demeurent cependant. « Nous avons réussi à accorder nos violons, mais des acteurs sont encore insuffisamment avec nous. Il reste des efforts à faire, en particulier pour que des décisions de justice ne mettent un projet en l'air... », pointe André Montaut, directeur de l'ACJPB. Les partenaires sont en effet amers face à certaines situations. Telle, par exemple, celle de ce jeune qui, malgré l'obtention d'un aménagement de peine, d'un CDI après un passage en GEIQ et la réussite d'un CAP, a été condamné à une peine de prison ferme par une autre juridiction pour des faits antérieurs. « Les efforts ont été balayés d'un trait. Après comment faire pour que ces jeunes ne se découragent pas ? », s'interroge Maite Etcheverry.

Très satisfaits toutefois de l'expérimentation réalisée grâce aux crédits européens, les acteurs impliqués ont souhaité poursuivre au-delà de 2007 la dynamique collective. En 2008, ils ont réussi à obtenir un financement du Fonds interministériel de prévention de la délinquance et un soutien de la Fondation Moral d'acier. Malgré la reconnaissance de la plus-value de la démarche par de nombreuses institutions (5), son avenir demeure incertain au-delà de 2009 (la mission locale poursuit son soutien en 2009). « Nous sommes dans une phase transitoire. Nous analysons en quoi et comment «Lotu» génère un plus, en vue de demander des aides ciblées », explique Fantxoa Hastaran. Un plus dont le coût « s'élève de 30 000 à 40 000 € par an », évalue Xavier Baylac, directeur général d'Etcharry formation développement. Néanmoins, « «Lotu» était notre expérimentation, aujourd'hui, c'est notre façon de faire. L'important, c'est que ce ne sont plus les personnes qui jouent, mais les institutions qui ont réellement décidé de se partager le jeu. Nous avons revendiqué ce mode de fonctionnement comme une démarche novatrice, mais nous n'avons rien fait d'autre que de travailler dans le bon sens en conjuguant nos talents respectifs et en sortant de l'illusion partenariale où nous étions. » Reste, modère Annie Jeanne, présidente de l'Association nationale des directeurs de missions locales, qu'« animer un réseau est un véritable travail. Cela prend du temps et il faut des financements si l'on veut le pérenniser. Sans pilote, cela ne fonctionne pas sur le long terme. »

L'INSERTION PROFESSIONNELLE DES DÉTENUS EN CHANTIER

Aménagements de peine, maintien des liens familiaux, travail pénitentiaire, formation professionnelle, préparation à la sortie... figurent parmi les leviers à activer pour favoriser la réinsertion des détenus et lutter contre la récidive. En matière d'emploi, « le code de procédure pénale institue un droit au travail et fixe à l'administration pénitentiaire une obligation de moyens en vue de procurer aux détenus qui en font la demande une activité professionnelle », rappelle Thierry Alves, directeur interrégional adjoint des services pénitentiaires. Pour tenter de dépasser certains blocages : image de la prison, contraintes pénitentiaires..., un plan « Entreprendre » a été initié en 2008. « Il vise à repérer, dans chaque région, sur quoi peser pour favoriser l'implication des entreprises et améliorer l'accès à l'emploi des personnes pendant leur détention. Cela peut concerner des points très techniques : s'organiser pour faciliter les rendez-vous, aménager une zone de stockage... », explique Philippe Pottier, adjoint à la sous-direction des personnes placées sous main de justice à la direction de l'administration pénitentiaire. Par ailleurs, complète Thierry Alves, l'administration pénitentiaire s'est fixé « pour objectif de créer 2 000 postes supplémentaires de travail en production d'ici fin 2009 ».

Le « Grenelle de l'insertion » a, quant à lui, mis en évidence la nécessité de mieux qualifier l'offre pour que l'expérience acquise soit davantage exploitable à la sortie de prison. A cette fin, la première piste à suivre est la validation des acquis de l'expérience (VAE). « Il existe en détention des activités intéressantes, tel le service général (entretien des bâtiments, cuisine...), qui doivent pouvoir être valorisées », souligne Loïc Duroselle, adjoint au chef de cabinet du Haut Commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté. L'idée est « d'identifier des filières prioritaires qui permettront, par l'aménagement des conditions d'exercice en prison, des plateaux techniques, un accompagnement, de renforcer le recours à la VAE ».

La deuxième piste est la formation professionnelle. Aujourd'hui, celle des détenus relève, par exception, de l'Etat et non des régions. « Nous avons vu que le maintien des détenus dans ce dispositif spécifique était un handicap pour eux. D'où l'idée, dans le projet de loi pénitentiaire, de rattacher leur formation à celle du droit commun, même s'il faut prévoir des passerelles », rappelle Philippe Pottier. Une phase expérimentale est prévue et plusieurs régions se sont d'ores et déjà portées volontaires. « Cela devrait assurer l'adaptation des formations menées dans un établissement aux besoins locaux », assure-t-il. La formation devrait en outre permettre, en s'articulant de façon cohérente avec la VAE, de compléter des parcours de qualification.

Autre axe intéressant, issu du « Grenelle de l'insertion » et repris dans le projet de loi pénitentiaire : l'entrée des structures d'insertion par l'activité économique (IAE) en détention. En la matière, tout reste à inventer. Mais la question sera avant tout, selon Loïc Duroselle, « de réfléchir au moyen de faire entrer les compétences liées aux structures de l'IAE en détention dans le contexte contraint des enveloppes budgétaires ». Une réponse à laquelle il réfléchit notamment avec l'Association nationale des directeurs des ressources humaines. Enfin, un dernier volet à travailler est, dans le droit-fil de « Lotu », le placement direct en entreprise marchande à la sortie de prison. Pour cela, « la relation de l'administration pénitentiaire avec les acteurs sociaux et économiques est fondamental », reconnaît Thierry Alves, tout en évoquant le protocole d'accord national signé par le ministère de la Justice et le Medef en mai 2008. Celui-ci vise à faciliter le retour à la vie active et à favoriser « l'emploi des personnes détenues en mobilisant les fédérations professionnelles et les Medef territoriaux ». C'était avant la crise...

F. R.

TRAVAILLER SUR LES REPRÉSENTATIONS

S'il est coutume d'évoquer l'ignorance entre le monde de l'insertion et celui des entreprises, cette assertion apparaît exagérée à maints acteurs.

« Quand on s'occupe des gens, on voit que chacun a des compétences et qu'elles peuvent s'articuler », estime Arnaud Farhi, secrétaire général du Comité national de coordination et d'évaluation des groupements d'employeurs pour l'insertion et la qualification (GEIQ). Pour lui, « la coopération progresse, des partenariats se montent et, peu à peu, entreprises et acteurs de l'insertion parviennent à collaborer ».

Des rapprochements existent

La perception des entreprises d'insertion, accusées de concurrence déloyale à leurs débuts, a notamment évolué.

« Le travail social s'est en fait organisé pour aller vers l'entreprise et aujourd'hui, on se rend compte qu'il y a des résultats et un rapprochement », assure Christian Chasseriaud, président de l'Aforts (Association française des organismes de formation et de recherche en travail social). Même s'il estime que, confronté à la montée des exclusions, « le travail social s'est depuis peu détourné de l'entreprise. On doit retrouver la capacité de communiquer. »

Du côté des entreprises, l'avancée est cependant bel et bien perçue. « Sur le terrain, ça bouge beaucoup. Des rapprochements, de la sous-traitance entre entreprises classiques et d'insertion, de l'ingénierie, se mettent en place. Le mouvement doit s'amplifier mais il existe », affirme Jean-François Connan, directeur du développement durable à Adecco chargé de la responsabilité sociale. Quant aux raisons évoquées, elles tiennent d'abord au pragmatisme et aux besoins de recrutement. Mais il y a aussi « des rencontres de personnes, des modifications de représentations... », pointe-t-il.

Ces modifications ne peuvent toutefois se limiter aux acteurs. Dans cette logique, certains mots, tel « inemployable », sont à bannir, car ils stigmatisent les publics dont on vise l'insertion. « Lorsqu'on se sent impuissant à apporter une réponse, ce terme ressort. Or, avec cette idée d'inemployabilité, on sent s'opérer un glissement vers la notion de handicapés sociaux », alerte Christian Chasseriaud.

Dans la même veine, Fabien Tuleu, directeur délégué de l'Agence nouvelle des solidarités actives, rappelle combien il est « impératif de creuser la question des représentations et de valoriser davantage les compétences que les manques ». L'entreprise, avec ses fonctionnements et ses besoins, peut justement s'avérer une richesse pour modifier le regard, en particulier sur les jeunes en difficulté. Ainsi, défend Arnaud Farhi, « en son sein, on peut s'apercevoir de potentialités passées inaperçues à l'école, et obtenir des réussites ». Mais pour que l'entreprise admette le jeune, encore faut-il qu'elle n'en ait pas elle-même une image négative. Ce qui est souvent le cas avec ceux sous main de justice. « Les chefs d'entreprise sont influencés par l'image déplorable qu'en donnent les médias », assure Annie Jeanne, présidente de l'Association nationale des directeurs de missions locales. A l'inverse, les jeunes n'ont pas non plus toujours une vision très positive de l'entreprise, qui ne les attend pas à bras ouverts et semble peu s'engager pour eux.

Changer la perception des entreprises

Pour modifier l'image dépréciée qu'auraient les entreprises de ces jeunes, le Conseil national des missions locales (CNML) tente, depuis 2006, de développer les relations avec les acteurs économiques, dont les grandes entreprises. Sont signées des conventions nationales, ensuite déclinées au plan local. « Il s'agit de favoriser les rencontres entre chefs d'entreprise et conseillers d'insertion, afin qu'ils confrontent leurs réalités, et de travailler avec tous les acteurs d'un territoire pour avancer sur l'insertion », explique Amaria Sekouri, chargée de mission. Lorsqu'une entreprise accepte de dépasser ses a priori, elle en tire des avantages. « En pénétrant en prison, en s'intéressant aux problématiques des personnes placées sous main de justice, l'entreprise reconnaît puiser des éléments riches pour ses propres perspectives et modifier considérablement ses représentations tant des publics que des professionnels du secteur de l'exclusion », analyse Sylvie Châles-Courtine, enseignante-chercheuse à l'Ecole nationale de l'administration pénitentiaire (ENAP). L'intérêt est ainsi partagé. « Les jeunes y gagnent en s'engageant dans de nouvelles trajectoires, même si c'est compliqué ; les entreprises s'y retrouvent en fierté d'appartenance, en relations avec leur territoire, en business tout simplement », résume Jean-François Connan.

La tendance à solliciter les entreprises pour consolider le tissu social s'accroît. « On assiste à un vrai changement. Dans les années 80, le modèle consistait à confier l'insertion à des spécialistes sans trop chercher à savoir ce qui se passait derrière. Désormais, on considère qu'un dispositif moderne d'insertion relève de la société tout entière », affirme François Courtine, directeur de recherche à l'ENAP. Cela oblige à revisiter certaines approches. Ce que soutient Xavier Baylac, directeur de Etcharry formation développement. « Si l'insertion passe par le collectif, il serait bon que les acteurs impliqués appréhendent ensemble les questions de la société. Les travailleurs sociaux ont leur culture, leurs logiques et leurs contraintes, les autres acteurs idem. Toutes sont légitimes, mais les découvrir dans l'urgence pour répondre ensemble à un problème est un pari impossible. »

F. R.

Notes

(1) Mission locale Avenir Jeunes Pays basque : 74, rue d'Espagne - 64100 Bayonne - Tél. 05 59 59 82 60.

(2) Equal 2004-2008 visait à « combattre les discriminations, réduire les inégalités, pour une meilleure cohésion sociale » . Pour répondre à sa dimension transnationale, un partenariat de coopération a été constitué avec des porteurs de projet en Pologne, Slovaquie, Italie et Espagne.

(3) Le PDD rassemble : Adecco, l'ACJPB, l'ENAP, Etcharry formation développement, le GEIQ BTP Landes et Côte basque, la mission locale Avenir Jeunes Pays basque, l'Ordre des avocats du barreau de Bayonne, le Pact-HD Pays basque, la PJJ des Pyrénées-Atlantiques, le SPIP des Pyrénées-Atlantiques.

(4) Le 2 décembre 2008 à Biarritz - « L'entreprise, acteur-clé dans les parcours d'insertion . »

(5) « Lotu » a été retenu par le Haut Commissariat aux solidarités actives dans le cadre de l'appel à projets « Pour de nouvelles expérimentations sociales », qui permet au volet recherche mené par l'ENAP de se poursuivre.

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