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Contrat d'autonomie

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Depuis 1984, Notr'Asso développe à Paris un accompagnement global des jeunes en difficulté pour leur permettre d'accéder à l'autonomie. Un dispositif particulier qui associe travail éducatif et soutien psychologique par des psychanalystes en libéral.

Casquette blanche vissée sur le crâne, écouteurs dans les oreilles, Malik (1) consulte ses SMS avant de s'extirper de son fauteuil et de s'engouffrer dans la salle où l'attendent un ordinateur et l'éducateur scolaire chargé de l'aider dans son travail. Sur un coin de table, Carmen, jeune fille élégante et souriante, déballe un colis et montre à l'éducatrice spécialisée les produits de beauté qu'elle a commandés. Avec ses plantes vertes, sa grande table centrale où traînent des livres sur les paysages d'Afrique ou les cultures du monde, ses bibliothèques en bois surplombant des canapés accueillants, le grand salon de Notr'Asso (2) est tout à la fois un lieu d'échange et un espace chaleureux où peuvent se poser des jeunes aux histoires chaotiques et douloureuses. Agés de 17 à 21 ans et pris en charge par l'aide sociale à l'enfance (ASE), certains traînent déjà un long parcours institutionnel derrière eux et supportent de plus en plus mal la vie collective en internat. A l'inverse, d'autres sont accueillis pour la première fois à l'ASE. Soit parce que la vie de famille est devenue impossible, soit parce qu'il s'agit de mineurs isolés, arrivés récemment en France après avoir fui une situation dramatique dans leur pays d'origine.

C'est le cas de Mawete, venue rencontrer son éducateur référent pour faire le point sur sa situation. En 2004, elle a quitté l'Angola, ravagé par des décennies de guerre civile, et laissé toute sa famille, avant d'être prise en charge dans un foyer. « Je ne supportais plus les contraintes du foyer, les horaires... A ma majorité, j'ai demandé à venir à Notr'Asso, parce que je savais qu'ici je pouvais avoir mon studio », confie la jeune fille.

Créée en 1984 en plein coeur de Paris, à l'initiative de jeunes et de leurs éducateurs, Notr'Asso a développé au fil des années une forme particulière d'accompagnement individualisé destiné à favoriser l'accès à l'autonomie de ces jeunes en difficulté. Ce dispositif, qui autorise la prise en charge chaque année de 32 garçons et filles venant de Paris et des départements limitrophes, combine suivi éducatif, soutien psychologique, soutien scolaire et hébergements individuels. « Pour les adolescents et jeunes adultes accueillis ici, il s'agit d'abord d'accepter de se poser en acteurs de leur propre vie. Nous voyons des jeunes qui, lorsqu'ils arrivent, demandent à l'éducateur à quelle heure est l'extinction des feux, et qui ne réalisent pas d'emblée l'engagement que demande ce cheminement vers l'autonomie. Nous leur expliquons que nous allons les soutenir, les aider là où ça coince, renforcer les domaines où ça se passe bien, mais qu'ils doivent désormais aussi s'occuper d'eux-mêmes », explique Patrick Tite, le directeur de Notr'Asso.

Une évaluation avant admission

Etre intégré dans ce dispositif ne relève donc pas de la simple formalité. Pour évaluer la situation et les motivations d'un jeune, plusieurs rendez-vous sont organisés au préalable avec le directeur et les éducateurs, puis dans le cabinet du psychanalyste - psychologue clinicien ou psychiatre - chargé de le suivre à l'extérieur. Ainsi, en 2008, lors de la procédure d'admission, trois candidats ont été refusés. Le cadre n'était pas assez « contenant » pour le premier, un jeune montrant des comportements violents ; le deuxième présentait une personnalité trop immature pour ce processus d'accès à l'autonomie ; quant au troisième, il n'a pas véritablement fait de demande d'entrer dans la structure. A l'issue de ce processus d'admission, le jeune accepté dans le dispositif signe un contrat précisant les engagements qu'il devra respecter. Il est alors tenu de rencontrer son éducateur référent deux fois par semaine et de se rendre au moins une fois par semaine chez le psychanalyste qui le suit, dans le cadre du soutien psychologique mis en place par l'association. Un premier bilan est réalisé au bout de trois mois afin de mesurer l'investissement du jeune et de décider de la poursuite ou de l'arrêt de la prise en charge, le second cas de figure ne se présentant cependant que très rarement. Des évaluations ont lieu ensuite tous les six mois. Ce mode de prise en charge peut paraître contraignant pour le jeune, mais il s'explique aussi par la durée moyenne de l'accueil, qui ne dépasse pas une vingtaine de mois en moyenne. « Ça passe très vite, souligne Patrick Tite, ce qui signifie que le jeune doit vraiment «être au charbon». » Pour la plupart, si les jeunes acceptent de se plier aux règles de fonctionnement mises en place par Notr'Asso, c'est d'abord dans l'espoir d'accéder à un logement et aux perspectives qu'il offre d'une vie plus indépendante. Ils doivent cependant faire l'expérience de cette autonomie de manière progressive, en s'installant en premier lieu, pendant environ trois mois, dans une chambre d'hôtel parisien, puis dans un studio au sein d'une résidence hôtelière, avant de s'essayer à une véritable vie autonome dans un studio indépendant loué par l'association. Le logement est gratuit, mais son occupant doit déposer une caution d'environ 1 000 € à Notr'Asso et assurer son entretien quotidien. De la sorte, l'équipe peut mesurer sa capacité à prétendre, par la suite, à son propre logement.

Vincent Chartier est l'un des quatre éducateurs spécialisés employés par Notr'Asso. Son rôle consiste à accompagner chaque jeune qui lui est confié dans tous les aspects de sa vie quotidienne : santé, scolarité, insertion professionnelle, démarches administratives, gestion du budget, socialisation, autonomie dans le logement... « On les aide, bien entendu, à régler leurs problèmes administratifs, à gérer leur budget, à rechercher un logement, à s'occuper de la carte Vitale... Mais ensuite, rapidement, on va parler du petit copain ou des problèmes avec la famille. On essaie d'instaurer une relation de confiance. » Dans le petit bureau encombré de dossiers qu'il occupe avec un autre éducateur spécialisé, il discute avec Mawete. Un travail important a été fait à son arrivée pour régler les formalités administratives liées à son statut de jeune mineure isolée arrivant de l'étranger. Aujourd'hui, elle a trouvé un travail dans un restaurant parisien, mais s'inquiète auprès de son éducateur de sa sortie dans quelques mois du dispositif. Elle va avoir 21 ans et doit commencer à chercher son propre appartement.

Pour sa part, Marie-Claire Fresquet rend visite à des jeunes installés dans les studios d'une résidence hôtelière de l'est parisien. Elle rencontre d'abord Melinda, qui est très énervée parce qu'elle n'a pas eu le temps de mettre un peu d'ordre dans son studio et peste contre une installation électrique défaillante qui la prive momentanément de la télévision. L'éducatrice repassera un peu plus tard. A l'étage du dessous, elle est accueillie par Farida Belmahi dans un studio d'environ 25 m2 parfaitement rangé. L'ambiance est tout à la fois sérieuse, comme le prouvent le petit bureau et l'ordinateur de cette jeune étudiante en administration économique et sociale, et encore un peu tournée vers l'enfance, avec des coeurs en feutrine collés au mur et une peluche blanche posée à côté du téléviseur. En revanche, dans le studio, aucune photo n'est visible de sa famille, d'origine algérienne. Cette dernière n'a jamais accepté son petit ami et a totalement coupé les ponts depuis trois ans avec la jeune femme, qui ne reçoit plus aucune nouvelle. « Ce n'est pas facile de se retrouver seule. J'aime bien être entourée, et c'est pour ça que j'ai choisi de venir à Notr'Asso où la relation avec l'éducateur est plus personnelle qu'à l'ASE. Et puis le soutien du psychanalyste est très important. Je peux parler de mon enfance, des relations avec mon amoureux... », raconte Farida. Elle envisage d'ailleurs de passer à deux séances par semaine avec son psychanalyste.

Un suivi psychologique parfois difficile à accepter

Action complémentaire au suivi éducatif, le soutien psychologique assuré par des praticiens libéraux exerçant en cabinet constitue un élément central de la démarche originale d'insertion sociale et professionnelle mise en place par Notr'Asso. Une démarche financée par l'association, qu'il n'est pas toujours facile de faire accepter aux jeunes, admet le directeur : « Beaucoup d'entre eux, c'est vrai, acceptent ce soutien psychologique aussi du fait de la possibilité d'avoir leur propre logement. Mais c'est à nous de les surprendre. Peu à peu, ils découvrent l'intérêt d'une forme d'accompagnement qui n'est pas axé sur le quotidien, et d'un espace qui leur appartient et où ils peuvent dire des choses qu'ils n'exprimeront pas ailleurs. » De fait, chacun investit à sa manière ce suivi avec un psychanalyste. Quelques-uns, à l'image de Zoé, arrivée à Notr'Asso voici deux ans après d'importants problèmes familiaux, préfèrent rester dans une relation distanciée et ne pas aborder certains épisodes difficiles de leur vie. « Ça m'aide surtout dans ma façon de parler, pour me sentir plus à l'aise avec les autres », explique cette jeune fille blonde, qui prépare aujourd'hui un BTS. Peu habituée à ce type de suivi, Mawete a, quant à elle, mis en place un mode de discussion assez courant et dit parler avec son psychanalyste « normalement, comme avec n'importe qui ». Elle non plus n'arrive pas à parler de son passé. Dans cet accompagnement vers l'autonomie, les psychanalystes partenaires de Notr'Asso insistent sur la nécessité d'instaurer un mode d'intervention adapté à des jeunes confrontés à des traumatismes douloureux et qui rechignent à l'idée d'entreprendre un suivi psychologique.

Des « pathologies du lien »

Meubles anciens, large divan confortable faisant face à un bureau, lumière tamisée... Rien ne vient perturber l'impression de tranquillité et d'intimité de la vaste pièce dans laquelle Nicolas Péraldi, l'un des neuf psychanalystes associés à cette action d'insertion sociale, reçoit ses patients. « Toute la gageure, avec ces jeunes qui ne sont souvent pas demandeurs et préfèrent oublier leur passé, c'est de ne pas se figer dans une représentation type du psychanalyste. Il s'agit dans un premier temps de les laisser parler, sans focaliser sur un élément particulier, un symptôme, pour pouvoir ensuite reconstruire avec eux des éléments de leur vie à l'aune d'événements de leur passé. J'essaie de leur faire entendre que les difficultés auxquelles ils sont confrontés au quotidien ont un rapport avec des conflits intrapsychiques liés à leur histoire. » Séparations, ruptures, maltraitances... les psychanalystes mettent l'accent sur la discontinuité qui caractérise les histoires de ces adolescents et jeunes adultes. Corinne Castets, psychologue psychanalyste également associée au dispositif, évoque de son côté les véritables « pathologies du lien » dont souffrent nombre des jeunes qu'elle voit dans son cabinet : « L'autonomie, c'est pouvoir à la fois penser seul et avec les autres. Or, du fait de leur histoire, ces jeunes n'ont pas pu constituer une continuité psychique suffisante pour pouvoir se penser demain dans le monde, se penser comme des adultes capables de vivre. C'est cet aspect narcissique qui est très fragile. »

L'une des spécificités du projet développé par Notr'Asso tient dans la manière d'articuler deux modes d'intervention - éducatif et psychologique - qui répondent par nature à des logiques et des temporalités différentes. L'objectif commun étant de favoriser l'accès à l'autonomie de ces jeunes isolés, fragiles et souvent d'une grande immaturité affective, et de restaurer chez eux une confiance et une image d'eux-mêmes souvent très dégradées. Ce travail d'articulation passe d'abord par des échanges réguliers et informels entre les éducateurs et les psychanalystes. Une situation devenant soudainement compliquée, une évolution préoccupante et inexpliquée vont nécessiter de confronter les points de vue et les analyses des uns et des autres. Claude Ripoche, éducateur spécialisé, évoque ainsi le cas de cette jeune fille de 20 ans arrivée en juillet dernier à Notr'Asso et gravement traumatisée par les maltraitances subies de la part d'adultes. « Ce qu'elle a vécu la rendait malade physiquement et l'empêchait de travailler avec la réalité. Après avoir discuté avec son psychanalyste, nous en avons conclu que les soutiens éducatifs et psychologiques n'étaient pas suffisants et qu'il fallait qu'elle rencontre un psychiatre. »

Pour préserver cette relation de confiance et respecter la confidentialité de ce qui est livré par les jeunes à chaque professionnel, le partage d'informations entre éducateurs et psychanalystes doit se faire avec beaucoup de précaution. « Tout ce qui est d'ordre psychique reste dans le cabinet du psy », et le jeune est informé de ces échanges par son éducateur. « Si je trouve, par exemple, qu'un jeune est déprimé, qu'il ne travaille plus à l'école ou qu'il ne raconte plus rien en entretien, je vais téléphoner au psychanalyste pour voir comment ça se passe, explique Vincent Chartier. De son côté, il va s'arranger pour ne pas me raconter les choses en détail, tout en attirant mon attention sur un élément susceptible d'expliquer un problème ou un blocage non réglé chez ce jeune. Les psychanalystes vont mettre des mots sur certaines choses qui leur paraissent importantes et que nous, éducateurs, pouvons souvent ne pas voir parce que nous sommes pris dans le quotidien. » Il faut veiller à ce que cette collaboration n'entraîne pas une confusion des genres, rappellent certains psychanalystes, qui doivent néanmoins prévenir l'équipe à partir de deux absences consécutives d'un jeune. Espace protégé et bien séparé de l'institution, le cabinet du psychanalyste n'est ni un lieu de décision ni un endroit où l'on pourrait soumettre les jeunes à un quelconque devoir de résultat. En outre, le temps du réel et celui du psychisme ne répondent pas aux mêmes mécanismes, explique-t-on du côté des psychanalystes. Récemment, une jeune fille, pour laquelle la perspective de changer de logement au sein de Notr'Asso réactivait des angoisses liées à un sentiment d'isolement, a révélé ses peurs à Corinne Castets. « Le fait de déménager à ce moment-là provoquait chez elle la répétition d'un traumatisme, et j'ai donc appelé son éducateur pour lui expliquer que c'était prématuré. J'ai été entendue, et on a pu lui donner un peu plus de temps pour penser la suite de son parcours ici. »

Le temps, c'est justement ce qui manque à ces jeunes dont le 21e anniversaire marque une date butoir, avec la fin de la prise en charge par l'ASE. Au total, sur les 48 jeunes accompagnés en 2008 au sein de Notr'Asso, 14 ont quitté l'association en ayant trouvé un emploi (CDI, CDD ou CNE) et 5 disposaient de leur propre logement ou étaient en voie de l'obtenir. « Doit-on pourtant pousser aussi rapidement ces jeunes de 18 ou 19 ans dans la voie d'une insertion professionnelle ? s'interroge le psychanalyste Nicolas Péraldi. Nous contribuons à cette dynamique d'insertion en essayant de ne pas être dans le normatif. Ce qui nous intéresse, c'est davantage la façon dont ils vont pouvoir se saisir des différents éléments de ce dispositif pour modifier les chaînes auxquelles ils se sont aliénés, et réaliser leurs propres projets. Je trouve qu'il vaudrait parfois mieux les pousser vers la formation, et les «narcissiser» par ce biais, que de leur demander de trouver un travail à tout prix. »

Défendre la particularité de la formule

Des préoccupations que la tutelle a parfois du mal à entendre. D'autant, soulignent les professionnels, que, pour certains jeunes, les effets du processus mené par les éducateurs et les psychanalystes ne se font sentir qu'après la sortie du dispositif. « Il faut expliquer souvent qu'on ne travaille pas seulement sur les trois ou six mois à venir, mais que les résultats peuvent se faire sentir trois ou quatre ans après », observe Vincent Chartier. D'où la nécessité, défend Anne-Marie Lafont, chef de service de Notr'Asso, « de faire remonter la particularité de notre fonctionnement, via l'organisation de réunions plus régulières avec l'ASE. Certains de ses inspecteurs ont, en effet, une vision approximative du soutien psychologique mis en place, ou assimilent Notr'Asso à un internat ».

Pour faciliter la coordination interne entre l'action éducative et le soutien psychologique, l'association a mis en place une série de temps de travail réguliers. Outre une réunion hebdomadaire de supervision clinique animée par un psychanalyste extérieur, qui aide notamment les éducateurs à prendre un peu de recul dans des situations très conflictuelles, une rencontre se tient tous les trimestres entre l'équipe éducative et chacun des psychanalystes pour faire le point sur la situation des jeunes. Enfin, une réunion annuelle est organisée afin d'inciter l'ensemble des intervenants - éducateurs et psychanalystes - à réfléchir aux moyens d'optimiser cette double approche. Au final, cette complémentarité fonctionne bien, estime Anne-Marie Lafont, même s'il faut parfois savoir trancher quand les exigences éducatives et le point de vue d'un psychanalyste divergent. « Dans ce cas, il faut regarder les engagements pris par le jeune auprès de l'ASE. S'il est indiqué dans le cadre du renouvellement de son contrat d'aide au jeune majeur qu'il doit trouver un travail, on ne peut pas trop tergiverser. » Un choix pas toujours facile, car l'accès à l'autonomie financière et matérielle peut prendre du temps. Tout comme l'important travail de soutien psychologique réalisé auprès des jeunes.

Zoé enfile son manteau en sortant de son entretien avec son éducateur. Elle a encore du mal à se projeter après ses études en BTS et commence à parler du moment où elle devra quitter l'assocation. « Pour l'instant, ça me fait un peu peur, parce que je n'ai pas de travail et pas d'appartement. Mais ici j'ai appris à faire des choses pour moi et à être moins timide. Je suis plus forte vis-à-vis de l'extérieur », lance la jeune fille, avant de rejoindre son studio dans le sud de Paris.

Notes

(1) Les prénoms des jeunes ont été changés, hormis pour Farida Belmahi.

(2) Association Notr'Asso : 39, rue de Palestro, 75002 Paris - Tél. 01 43 47 21 22 - www.notrasso.fr.

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