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Achever la réforme engagée avec la loi 2002-2

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Assigner à toutes les structures sociales et médico-sociales, dans le code de l'action sociale et des familles, une « mission de prévention et de veille partagée sur leur territoire de proximité », et changer leur mode de financement : c'est ce que propose Jean-Yves Barreyre, directeur du Cedias-Musée social et de la délégation Ancreai Ile-de-France, pour aller au bout de la réforme de 2002.

«La question sociale telle qu'elle se pose aujourd'hui en France, dans un contexte économique et politique instable et parfois quelque peu désordonné (future loi sur l'hôpital), exigerait d'achever la réforme engagée en 2002 par la loi rénovant l'action sociale. Au moins deux dimensions méritent d'être approfondies : celles du rôle effectif des structures héritées de l'ancienne loi de 1975 et de leur financement.

Les situations actuelles de difficulté sociales résultent souvent d'un cumul de problèmes sociaux, familiaux, économiques et sanitaires. Ces situations complexes ne sont plus marginales et nécessitent sur le territoire une coordination des services sanitaires, sociaux et médico-sociaux. Cette collaboration est induite par la législation sanitaire et sociale depuis le début des années 2000. La loi du 2 janvier 2002, en mettant l'usager au coeur des préoccupations sociales et de l'organisation des réponses, a rompu avec la logique d'établissements de la loi du 30 juin 1975 (à chaque question sociale, un établissement correspondant) pour introduire dans les pratiques une logique de services rendus. La loi du 5 mars 2007 rénovant la protection de l'enfance incite fortement à une collaboration des acteurs de terrain. Les schémas territoriaux d'organisation sociale et médico-sociale actuels prennent en compte cette logique de réponses transversale.

Pourtant, la construction historique de nos institutions sanitaires et sociales en secteurs d'intervention spécialisés freine considérablement ces évolutions. De plus, les «partenariats» actuels concernent des réponses à des situations déjà fortement dégradées et très rarement la prévention des risques, l'anticipation de problématiques graves en construction. Ces freins sont particulièrement dramatiques lorsqu'il s'agit de répondre aux situations relevant de plusieurs champs d'intervention comme les situations de handicap d'origine psychique ou celles des jeunes à difficultés multiples improprement appelés «incasables».

Par ailleurs, la réorganisation sanitaire à l'oeuvre, qui prévoit la création des agences régionales de santé, basée sur le principe du parcours de soins et du plan personnalisé de soins, devrait s'accompagner de garanties permettant d'articuler, en tant que de besoin, ces plans personnalisés de soins avec des plans personnalisés de compensation des handicaps sociaux. Si cela est fait, il faudra se donner les moyens de les mettre en oeuvre de manière concrète par une collaboration des différents services de soins, d'accueil et d'accompagnement.

C'est pour ces différentes raisons, qui ressortent de multiples travaux, rapports et publications officiels - dont ceux du Cedias que j'ai l'honneur de diriger -, que nous proposons d'introduire dans le code de l'action sociale et des familles (CASF), à la fin de l'article L. 312-1 qui répertorie les différents établissements et services sociaux et médico-sociaux, une mission première et commune à toutes ces structures de «prévention et de veille partagée sur leur territoire de proximité».

La « prévention des risques sociaux » en jachère

Ainsi pour prendre un exemple simple et concret, une collectivité locale pourrait bénéficier d'une veille partagée (à visée de bienveillance et de bientraitance) des situations de vulnérabilité de la part des différentes structures implantées sur son territoire comme les équipes de la maison d'enfants à caractère social, du centre médico-psychologique, du centre médico-psycho-pédagogique, de l'institut médico-éducatif, etc., en collaboration avec le centre communal d'action sociale (CCAS), la résidence sociale pour personnes âgées, les services sociaux de l'Education nationale (lorsqu'ils existent) et les services sociaux territorialisés du conseil général.

Dans l'état actuel de la législation, la mission de «prévention des risques sociaux» est attribuée à l'action sociale de manière générale dans l'article L. 311-1 du CASF, c'est-à-dire à personne, ou plutôt à la prévention primaire type protection maternelle et infantile ou à des organismes éducatifs et informationnels comme l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé. En somme, à ce qu'on appelait au XXe siècle la «propagande», dans le bon sens du terme, mais aussi avec des limites opérationnelles.

Cette mission de veille partagée constituerait pour les établissements et services sociaux et médico-sociaux la traduction du principe général de prévention des risques sociaux. De manière très différente, soulignons-le, de la loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance, dans laquelle la question a été traitée du point de vue du rapport entre les travailleurs sociaux et les élus, entre le social et le politique - et pas n'importe lequel : le chef local des forces de l'ordre. La notion de coordination sociale articulée au politique pouvait être soumise alors à toutes les dérives. En introduisant la mission de veille partagée à l'article L. 312-1, on se libère de l'objectif de prévention de la délinquance pour se situer au niveau plus général des risques sociaux, on n'articule pas directement cette mission avec «l'alerte aux politiques», on n'est plus dans la désignation d'un coordinateur par le politique mais dans le choix d'un référent de parcours par les professionnels.

La veille partagée signifie :

une attention particulière des structures sociales et médico-sociales, sur leur territoire d'implantation, et dans le champ de leurs missions institutionnelles, aux situations de vulnérabilité dont elles peuvent avoir connaissance ;

la possibilité d'échanger, dans le cadre de dispositifs locaux et concertés d'évaluation des vulnérabilités (c'est-à-dire inscrits et discutés sur le territoire par l'ensemble des habitants), sur les modes d'accès aux droits des personnes susceptibles d'être en situation de vulnérabilité : cela veut dire concrètement que les dispositifs «offrent» des accès aux droits (logement, accompagnement, soutiens, allocations, prestations) à des personnes ou des groupes et cela avant que la situation ne se détériore, mais aussi que ces personnes ou ces groupes ont tout loisir de refuser ces accès aux droits et de demander que leur situation soit retirée de l'examen du dispositif local constitué ;

les dispositifs locaux peuvent être coordonnés par le CCAS si celui-ci a les moyens de le faire ou par un autre dispositif ad hoc qui respecte la liberté de choix des personnes.

Mais l'amendement proposé a l'avantage d'éviter que n'importe quelle institution donne une fin de non-recevoir à une action de prévention, sous un argument lié à son fonctionnement institutionnel ou à son code déontologique. Parce que, dans la très grande majorité des cas, le fait d'écarter toute possibilité de prévenir le risque social se traduit par une forte dégradation sociale ou psychique pour les personnes en situation de vulnérabilité (même si le code déontologique, dont on ne connaît jamais la légitimité, est sauf), et c'est souvent ensuite une gabegie en termes de coût pour la collectivité.

Le financement au prix de journée ou à la place apparaît, dans le contexte des nouvelles organisations des réponses fondées sur les plans personnalisés, à la fois obsolète et contre-productif.

La loi 2002-2 et la loi de décentralisation de 2004 donnent aux territoires la compétence de l'organisation sociale dans le cadre de schémas quinquennaux.

Les nouveaux schémas territoriaux sociaux et médico-sociaux privilégient l'approche infra-territoriale et les réponses transversales pour répondre aux besoins à la fois sanitaires, sociaux et médico-sociaux de personnes en situation de précarité et ou de vulnérabilité. C'est donc cette notion de «situation» qui devrait structurer le mode de financement des structures participant à leur amélioration par les services qu'elles mettent à disposition des personnes.

Nous proposons donc que, lorsque un schéma territorial est arrêté, les structures inscrites sur ce territoire soient considérées comme des «ressources» participant à sa réalisation et que leur financement soit garanti pendant la durée du schéma (cinq ans).

Une mission de formation

Le mode de contrôle des budgets des structures ne devrait plus s'effectuer « à la place occupée » mais aux services rendus sur le territoire dans les situations problématiques.

Ce nouveau mode de financement devrait prendre en compte la mission première évoquée plus haut de «veille partagée», mais aussi la fonction remplie par les structures médico-sociales de formation des acteurs de droit commun (personnels d'accueil des villes, enseignants, etc.) telle qu'elle est notamment stipulée dans ce décret de la loi du 11 février 2005 sur le handicap qui tarde tant à paraître et qui doit permettre la collaboration entre l'Education nationale et les structures médico-sociales.

Ce mode de financement devrait s'accompagner d'un mode d'évaluation de la qualité des services rendus qui s'effectue à la fois sur le territoire de proximité et pour chacune des structures, ce qui bouleverse quelque peu la logique de l'ANESM (Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux) basée sur une évaluation structure par structure, même si les recommandations ou le guide d'évaluation interne tiennent compte des environnements. Nous proposons ici d'aller plus loin et de ne pas concevoir une «évaluation» interne ou externe d'une structure sans qu'une évaluation globale sur le territoire de proximité ait été faite.

Ce nouveau mode de financement et de contrôle financier suppose enfin une autre méthode de travail des inspecteurs de l'administration et des collectivités qui serait plus en cohérence avec l'esprit des lois sociales actuelles. »

Contact : Cedias-Musée social - 5, rue Las-Cases - 75007 Paris - Tél. 01 45 51 66 10.

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