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« Les outils financiers ont remplacé les solidarités »

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Face à la situation de surendettement que traversent nombre de familles, l'économiste Georges Gloukoviezoff pointe l'impact, parfois négatif, des crédits à la consommation ainsi que le manque de responsabilisation des établissements bancaires.

Le recours au crédit à la consommation a-t-il un lien direct avec la précarité des ménages ?

Statistiquement, il n'est pas possible de démontrer avec certitude l'existence d'un lien entre précarité et recours au crédit, car les chiffres dont nous disposons sont insuffisants. Sur l'ensemble des personnes confrontées à des problèmes de précarité, nous ignorons combien ont eu recours au crédit parce qu'elles ne parviennent plus à faire face à leurs besoins. En revanche, en ce qui concerne les personnes surendettées, on sait qu'il existe, dans plus de 90 % des cas, au moins un crédit dans leur dossier, et on observe une corrélation très étroite entre les situations de précarité et le surendettement. Sachant que le crédit à la consommation aide les populations précaires, en particulier les personnes seules et les familles monoparentales, à assumer des situations d'urgence ainsi que des périodes de rupture - une séparation, la survenue du chômage, etc. Il permet de supporter des variations de revenus et de couvrir les besoins de base, mais pas d'acheter des équipements luxueux. Cet endettement peut évidemment avoir des conséquences dramatiques lorsque les revenus du ménage diminuent, comme c'est le cas en ce moment avec le chômage technique que subissent de nombreuses personnes.

Qu'est-ce que la financiarisation des rapports sociaux, et en quoi pèse-t-elle sur l'endettement des ménages ?

Il s'agit de la clé de compréhension du problème du surendettement. Aujourd'hui, pour réaliser des projets, faire face à des difficultés passagères ou simplement mener une vie normale, il faut de plus en plus recourir à des moyens financiarisés, au lieu de trouver des solutions dans les solidarités familiales ou de proximité, ou de faire appel à l'aide des pouvoirs publics. Par exemple, en matière de garde d'enfants, très majoritairement, ce ne sont plus les grands-parents qui gardent les enfants, mais des personnes ou des services dont il faut payer au moins une partie du coût. De même, quant la voiture tombe en panne, on ne fait pas appel à la famille, mais on demande à un garagiste de la réparer ou on en rachète une. On a donc besoin d'argent pour faire face à tous ces besoins, et le fait de recourir au crédit présente l'avantage de ne pas créer d'obligation d'ordre moral à l'égard de ses proches. L'inconvénient est qu'il faut impérativement rembourser selon un échéancier fixe, et avec des pénalités si l'on n'y arrive pas. Le crédit relève d'une logique individuelle qui s'impose, dans la mesure où les solidarités publiques et privées se sont réduites. Mais si l'on parle de lutte contre la pauvreté et la précarité, il n'est évidemment pas la principale réponse.

Un meilleur encadrement des crédits renouvelables, notamment en matière d'information - comme le prévoit la proposition de loi Marini -, vous semble-t-il suffisamment protecteur pour les ménages modestes ?

Bien sûr, une meilleure information est toujours une bonne chose. Mais il faudrait, en parallèle, responsabiliser également les banques et les obliger à proposer des produits adaptés. Surtout pour les populations les plus modestes qui ont besoin de solutions sur mesure. Le recours au crédit n'est pas toujours une mauvaise réponse. Il l'est lorsque ses caractéristiques sont inadaptées aux besoins des emprunteurs. Si un crédit se révèle nécessaire, il faut d'abord dresser un diagnostic du besoin de financement, analyser les capacités de remboursement et établir un échéancier. Le problème est que, dans le système actuel, le risque financier est essentiellement supporté par les emprunteurs, et non par les réseaux bancaires qui ne sont donc pas incités à plus de vigilance. Il est ainsi dommage que la possibilité d'un entretien individuel et personnalisé ait quasiment disparu. De même, on pourrait mesurer la part de chaque établissement de crédit dans les dossiers de surendettement et dans les incidents de remboursement, par rapport aux types de clientèle qu'ils servent : bénéficiaires du RMI, personnes en situation précaire, à revenus modestes, familles monoparentales. Cela, couplé à un système d'incitations et de sanctions, aiderait sans doute à améliorer la qualité et l'adéquation de leurs services. Il n'empêche que, même en expliquant aux gens les risques que comporte le crédit, ils ont besoin d'argent. Si votre voiture tombe en panne demain et que le crédit « revolving » représente la seule réponse accessible, vous aurez beau avoir conscience du danger, vous ne pourrez faire autrement. Entre recourir à un emprunt en le payant, au final, fort cher et s'en dispenser mais ne pas s'en sortir financièrement, en réalité, il n'existe pas de bonne solution. Et que propose-t-on d'autre, hormis le crédit, aux personnes qui ont un besoin vital d'argent ?

Certains prédisent justement un accès au crédit de plus en plus difficile pour les ménages les moins solvables. Quelles seraient les conséquences d'un tel changement ?

Je demeure plutôt méfiant envers les prédictions, mais si les banques devaient prêter moins aux ménages précaires, encore une fois, quelle serait l'alternative pour ceux-ci ? Je ne pense pas que l'Etat providence soit dans une situation telle qu'il accepte de prendre le relais pour aider les personnes en difficulté financière. D'autant que ce sont aussi les difficultés de l'Etat social à faire face aux évolutions de la société qui contraignent une partie de la population à recourir au crédit, alors même qu'elle ne peut le supporter financièrement. Si l'accès au crédit bancaire se réduit, les solidarités anciennes, qui ont été remplacées par des mécanismes financiers individuels, ne vont pas se recréer d'un seul coup. Et il y aura toujours des personnes pour lesquelles, de toute façon, le recours à l'emprunt ne constitue pas une bonne réponse, dans la mesure où elles n'ont aucune capacité de remboursement.

Le dispositif actuel, articulé autour des commissions de surendettement, joue-t-il réellement son rôle ?

Il joue un rôle indispensable mais insuffisant. Lutter efficacement contre le surendettement n'implique pas seulement de traiter ses conséquences, mais également ses causes. C'est-à-dire la survenue des accidents de la vie, à la base de 75 % des dossiers de surendettement, ainsi que l'accès inapproprié au crédit pour des gens structurellement confrontés à la précarité. La création, en 2004, de la procédure de rétablissement personnel a représenté une véritable avancée, en évitant d'enfermer les gens dans un surendettement auquel ils ne peuvent faire face. Cette procédure n'est d'ailleurs pas assez utilisée, car dans l'inconscient collectif est toujours ancrée l'idée qu'il faut punir à un moment ou à un autre les personnes endettées. Or, dans l'immense majorité des cas, les personnes surendettées n'ont pas abusé. Il faut lever cette culpabilité qui pèse sur elles. Celles que je rencontre ressentent une immense souffrance. La majorité d'entre elles ont honte de ce qui leur arrive et les conséquences sur leur moral, et bien souvent sur leur santé, sont réelles. Se retrouver surendetté n'est absolument pas anodin, contrairement à ce que laissent entendre certains.

Quelles solutions pourraient, selon vous, être efficaces en matière de prévention du surendettement ?

Il existe deux pistes possibles. La première en direction des établissements financiers, avec la mise en place d'un système de régulation tel que je l'évoquais précédemment. La seconde piste pourrait consister à favoriser l'émergence d'un nouveau type de travailleurs sociaux qui, à l'image des conseillers en économie sociale et familiale, interviendraient spécifiquement dans le domaine des difficultés bancaires, en particulier celui des problèmes de crédit et d'endettement. Il faudrait, en outre, multiplier les structures d'accompagnement chargées d'aider les ménages bien en amont du surendettement, en établissant un diagnostic budgétaire complet, en assurant leur suivi et en les aidant à trouver des solutions. De plus, il existe le microcrédit personnel, un prêt à taux réduit conçu, entre autres, pour acheter une voiture ou financer des soins. Il est accordé aux personnes n'ayant pas accès au crédit bancaire classique par certains établissements de crédit, notamment coopératif, dans le cadre de partenariats avec des organismes sociaux ou des associations. Ces prêts, échelonnés de 300 à 3 000 euros, sont garantis à hauteur de 50 % par des fonds publics, et les emprunteurs sont suivis par des structures d'accompagnement. Les règles de ce microcrédit personnel sont fixées par le fonds de cohésion sociale. C'est un dispositif encore expérimental, dont l'un des effets positifs pourrait être d'inciter davantage les travailleurs sociaux et les banques à travailler ensemble, et donc à comprendre leurs logiques réciproques.

REPÈRES

Docteur en économie, Georges Gloukoviezoff est spécialiste des questions d'inclusion financière des particuliers. Il est, par ailleurs, membre de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale. Il a, notamment, dirigé la publication du rapport du Centre Walras Exclusion et liens financiers. L'exclusion bancaire des particuliers (Ed. Economica, 2004)

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