Le nouveau ministre de l'Immigration, Eric Besson, veut que les pouvoirs publics emploient « tous les moyens » à leur disposition pour démanteler les filières de l'immigration clandestine. C'est ce qu'il a fait savoir le 5 février en signant, à l'occasion d'une visite à la préfecture de police de Paris, une circulaire relative à la délivrance d'un titre de séjour aux immigrés illégaux victimes d'une des infractions constitutives de la traite des êtres humains ou du proxénétisme qui décideraient de coopérer avec les forces de l'ordre, possibilité ouverte par la loi du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration (1) et son décret d'application du 13 septembre 2007 (2). Une mesure « trop peu souvent mise en oeuvre » aux yeux d'Eric Besson, qui, pour relancer le dispositif, explicite dans sa circulaire les conditions dans lesquelles ces étrangers victimes peuvent obtenir un droit au séjour en échange d'une aide à la police (sur les réactions associatives, voir ce numéro, page 22). Lors de sa visite, le ministre a également rappelé avec insistance que ces personnes sont censées pouvoir bénéficier non seulement d'un titre de séjour mais aussi d'un « accompagnement social renforcé ». Il souhaite à cet égard qu'un partenariat soit développé entre les services de police et les associations afin de « traiter au mieux le volet social » du dispositif.
Lorsque le législateur a ouvert cette possibilité d'admission exceptionnelle au séjour, l'idée était surtout d'inciter les prostituées étrangères à dénoncer réseaux et proxénètes. Les infractions visées ne concernent toutefois pas uniquement les personnes qui seraient victimes d'exploitation sexuelle mais également, a tenu à rappeler Eric Besson, celles qui seraient exploitées dans le cadre du travail forcé ou de servitude, d'esclavage domestique ou encore de mendicité forcée.
En tout état de cause, il appartient aux services judiciaires, et à eux seuls, de qualifier les faits invoqués, y compris lorsqu'une personne se présente directement en préfecture sans avoir engagé de démarches auprès des services de police ou de gendarmerie. Dans cette dernière hypothèse, le ministre demande aux préfets de veiller à mettre en place, en liaison avec les forces de l'ordre, un « traitement personnalisé et immédiat de la victime », en raison de la « fragilité psychologique particulière » des personnes concernées. « Qu'elles se présentent d'elles-mêmes, qu'elles soient repérées par [les services de l'Etat] ou signalées par des associations d'aide aux victimes, [elles] doivent faire l'objet d'un accueil et d'un accompagnement particulièrement attentifs », a insisté Eric Besson lors de sa visite, qui attend des préfets qu'ils entretiennent « les meilleures relations avec les associations les plus sérieuses et les plus reconnues ».
A l'occasion de son audition par les services de police ou de gendarmerie, la victime doit être informée de ses droits, les forces de l'ordre pouvant s'appuyer, pour ce faire, sur des associations reconnues pour leur action d'aide aux victimes. Une fois qu'il a été entendu et que les faits ont été établis, l'étranger dispose d'un délai de réflexion de 30 jours, pour lui « permettre de se soustraire à l'influence de ses exploiteurs » et décider ensuite, en toute connaissance de cause, de collaborer ou non avec les autorités françaises en vue de l'interpellation et de la condamnation des auteurs de l'infraction. Il reçoit alors du préfet un récépissé de même durée, non renouvelable, dont le modèle est annexé à la circulaire. Pour mémoire, durant ces 30 jours, aucune mesure d'éloignement ne peut être prise à son encontre.
Les victimes des infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme ayant choisi de coopérer avec la police peuvent accéder à une carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale ». Cette possibilité est ouverte dès lors qu'elles ont décidé de collaborer avec la justice française, que le délai de réflexion soit échu ou pas, indique Eric Besson. La demande d'admission au séjour doit être accompagnée du récépissé de dépôt de plainte de la victime ou bien faire référence à la procédure pénale engagée. « Il s'agira en l'occurrence d'avoir une justification du témoignage ou du dépôt de plainte et non de connaître le contenu de la procédure engagée, celui-ci étant couvert par une obligation de confidentialité », explique encore le ministre. Ensuite, les préfets remettent le récépissé prévu pour toute demande de carte de séjour. Un document qui « couvre » l'étranger le temps, pour la préfecture, de vérifier qu'il ne pose pas de difficultés sur le plan de l'ordre public et qu'il a effectivement rompu tous liens avec les auteurs des infractions dont il est victime.
Le cas échéant, l'instruction aboutit à la délivrance de la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale ». Celle-ci ne peut être inférieure à six mois et est renouvelable jusqu'à l'achèvement définitif de la procédure judiciaire engagée, incluant les éventuels délais de recours. Si la personne cesse de coopérer alors que la procédure judiciaire n'est pas achevée, qu'il apparaît que les faits invoqués ne sont pas réels ou que la victime a conservé un lien avec les auteurs des infractions, le titre de séjour peut être retiré et l'étranger expulsé s'il ne peut revendiquer un droit au séjour à un autre titre.
Lorsque la condamnation des personnes poursuivies sera devenue définitive - c'est-à-dire après épuisement de toutes les voies de recours -, la victime pourra se voir accorder une carte de résident. « Les critères d'éligibilité à cette carte sont similaires à ceux prévus pour l'octroi de la carte de séjour temporaire antérieurement détenue puisqu'il s'agira de vérifier que la victime a définitivement cessé tous liens avec le milieu qui l'a exploitée ainsi que l'absence de trouble public », indique la circulaire. Mais « si des doutes persistent sur la stabilité de la situation de la victime, en particulier sur la solidité et la pérennité de sa réinsertion », les préfets devront simplement renouveler la carte de séjour temporaire de l'intéressé puis, à son échéance, réexaminer la possibilité d'accéder à la carte de résident. Le ministre demande aux représentants de l'Etat de fonder leur appréciation sur des éléments objectifs recueillis dans les mêmes conditions que celles prévues pour la délivrance de tout autre type de titre de séjour. « Il est par conséquent exclu d'exiger une attestation de bonne conduite de la part des associations qui assurent la prise en charge des victimes, celles-ci n'ayant pas qualité pour évaluer le comportement des victimes dans le cadre d'une admission au séjour. »
Quid en cas d'absence de condamnation des auteurs ? Si la réalité des faits que la victime a rapportés n'est pas remise en cause, les préfets sont invités à examiner « avec bienveillance », dans le cadre de leur pouvoir d'appréciation, la possibilité du maintien du droit au séjour de l'intéressé.
De même, si la victime a elle-même été condamnée dans le cadre de la procédure judiciaire qu'elle a contribué à initier, pour des infractions mineures au regard des faits jugés et de sa contribution au démantèlement du réseau qui l'a exploitée, ils peuvent « envisager favorablement » le maintien de son droit au séjour. « Tel pourrait être le cas par exemple de la victime interpellée pour racolage », indique la circulaire.
(1) Le dispositif est plus exactement apparu pour la première fois dans la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure. Mais celle-ci ne prévoyait pour les victimes des infractions de traite des êtres humains ou de proxénétisme acceptant de coopérer avec la police que la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour, là où la loi du 24 juillet 2006 prévoit la délivrance d'un véritable titre de séjour.